Publié le 2 Nov 2019 - 02:54
AVANT PROJET DE LOI GAZIERE

Le Sénégal prend les devants

 

Alors que l’exploitation du gaz du projet Grand Tortue Ahmeyim (Gta) est fixée pour 2022, le Sénégal tente de se doter d’un cadre législatif pour répondre aux défis et saisir les opportunités de cette manne gazière.  

 

Les pouvoirs publics sénégalais donnent un coup d’accélérateur à la législation sur le gaz. Dans la perspective de l’exploitation de cette ressource, le Sénégal a élaboré un projet de loi gazière, en collaboration avec les autres départements ministériels concernés. Un projet de loi qui fait référence à l’article 25 de la Constitution et ‘‘se veut inclusif et participatif impliquant l’ensemble de la population sénégalaise à qui appartiennent les ressources minérales’’, signale le document envoyé aux membres de la société civile pour leurs observations.

Depuis l’annonce des découvertes de gisements pétrolier et gazier, seul le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (Gta) a connu une décision d’investissement finalement et est présentement en phase de développement. Le ‘‘first gas’’ est prévu pour 2022, mais les autorités prennent les devants. Le présent projet de loi ne régit d’ailleurs que les activités intermédiaires (transport, stockage) et aval (traitement, marketing, consommation, vente au détail) du secteur gazier. En tout, 78 articles constituent la première mouture de ce qui devrait être la toute première loi gazière, une industrie encore embryonnaire, que le gouvernement a adopté en Conseil des ministres le 21 novembre 2018.

Une mesure qui entre dans la stratégie ‘‘gas to power’’, consistant à produire de l’électricité à partir du gaz naturel et qui requiert un cadre législatif, réglementaire et institutionnel favorable au développement du gaz.   ‘‘La présente loi a pour objet la mise en place d’un cadre juridique propice à la valorisation des ressources gazières, dans le respect des normes de qualité du gaz, de sécurité des installations, de préservation et protection de l'environnement dans une perspective de développement durable’’, proclame l’article 1er.

Le texte a tenté, dans l’article 3 dédié aux ‘‘Définitions’’, de lever les équivoques. Par exemple, au sens de la loi à venir, le Contenu local désignera ‘‘l’ensemble des initiatives prises en vue de promouvoir l'utilisation des biens et des services nationaux ainsi que le développement de la participation de la main-d’œuvre, de la technologie et du capital nationaux dans toute la chaîne de valeur de l'industrie pétrolière et gazière du Sénégal’’.  Pour tous les concepts allant des plus compliqués aux plus évidents, des définitions ont été explicitées à l’article 3.

Un plan de développement du secteur gazier est également prévu à l’article 6. Il ‘‘accorde la priorité à la satisfaction des besoins énergétiques nationaux. Il définit les priorités et les orientations de développements gaziers futurs, ainsi que les allocations de ressources entre les projets d'utilisation domestique de gaz et les projets d’exportation’’. L’initiative sera laissée au ministre chargé des Hydrocarbures, après avis de l’organe de régulation dont la durée sera fixée par arrêté.  D’ailleurs, ces deux entités seront au cœur de la supervision du déroulement des opérations intermédiaires et aval.

Le ministre chargé des Hydrocarbures et l’organe de régulation en gendarmes   

Bien que le ‘‘ministère chargé des Hydrocarbures’’ ne soit pas la désignation officielle de son département, l’actuel ministre du Pétrole et des Energies sera au cœur du processus de l’attribution des licences, de l’importation ou de l’exportation de gaz. Ce qui est sûr est que l’Etat du Sénégal tient à ne pas se laisser déborder par des opérateurs plus rompus à la tâche dans le secteur gazier. Dans le Titre 3 du projet de loi, concernant les ‘‘modalités d’exercice des activités intermédiaire et aval gazier’’, le ministre chargé des Hydrocarbures et l’organe de régulation sont dotés de prérogatives qui leur permettent de contrôler plusieurs segments de l’activité intermédiaire et aval du gaz. Si rien ne change avant l’exploitation, Makhtar Cissé sera vraisemblablement l’homme dont l’approbation sera précieuse, puisque les titulaires de licence ou de concession devront lui rendre compte d’éventuelles ‘‘perturbations capables de troubler la chaine d’approvisionnement’’.

 Ils devront, en outre, lui soumettre leur plan prévisionnel d’approvisionnement (ainsi qu’à l’organe de régulation), leur rapport d’activité au niveau national, un plan de réhabilitation et de restauration.

Le ministre chargé des Hydrocarbures sera également l’autorité à laquelle il va falloir s’adresser pour obtenir une licence d’importation, d’exportation ou de réexportation, pour une durée de 5 ans, renouvelables éventuellement. Les licences d’agrégation, de transformation (25 ans de durée maximale), de stockage, de fourniture ; la concession pour transport par gazoducs, la concession de distribution par gazoducs (25 ans) sont tous assujettis à une approbation préalable de M. Cissé. Ce dernier accorde également les licences pour le transport et la distribution du gaz naturel liquéfié et du gaz naturel comprimé. Quant à l’organe de régulation, il ‘‘peut à tout moment et par tout moyen approprié de manière non limitative exiger des renseignements sur les activités du titulaire de licence ou de concession ; effectuer des inspections et contrôles sur les installations, les dossiers et les comptes du titulaire de licence ou de concession’’.

D’autres titres sur le régime fiscal et douanier ; les manquements, contrôles et sanctions dont le châtiment pécuniaire pourrait atteindre 300 millions pour défaut de concession, sont autant de garanties dont les pouvoirs publics sénégalais s’entourent pour l’exploitation prochaine du gaz.

Les textes de loi sénégalais plus ‘‘rompus’’ au pétrole

Contrairement au gaz, le Sénégal en est à son quatrième texte réglementaire, après l’ordonnance n°60-24 du 10 octobre 1960, la révision de la loi 86-13 du 14 avril 1986, la réforme de janvier 1998 (98-05) ainsi que la récente loi 2019-03 du 1er février 2019 portant Code pétrolier et sur le contenu local. Cette notion est un grand questionnement pour les deux ressources minérales. Le gouvernement sénégalais a adopté, le mercredi 9 janvier 2019 en Conseil des ministres, le projet de loi relatif au contenu local dans le secteur des hydrocarbures.

A son passage à l’hémicycle en janvier 2019, pour le vote du projet de loi sur le pétrole, le ci-devant ministre du Pétrole, Mansour Elimane Kane, assurait que des mesures sont à l’étude, du côté des pouvoirs publics, comme l’obligation pour les titulaires de contrats pétroliers de choisir leur sous-traitant, en priorité parmi les entreprises sénégalaises. Par exemple, les entreprises de droit sénégalais, dont le personnel technique et d’encadrement seraient constitué d’au moins 60 % de Sénégalais, répondant à la satisfaction des besoins de l’activité pétrolière et gazière, ainsi que le versement d’une contribution à la formation professionnelle, pourraient bien en profiter. *

Mais comme l’a souligné le ministre en travaux de commission, ‘‘l’Etat doit disposer de ressources humaines de très bonne qualité pour la préservation de nos ressources. La formation des cadres intermédiaires dans les secteurs du pétrole et du gaz pour la prise en charge de la maçonnerie de la menuiserie et de la chaudronnerie sera effective’’. Après la création du Cos-Petrogaz qui doit définir les orientations stratégiques pour l’exploitation des hydrocarbures, et l’Institut national du pétrole et du gaz (Inpg), le problème de la formation devrait être pallié, assure M. Kane.

En tout cas, un comité national de suivi du contenu local prévoit la publication de rapports annuels sur la ‘‘sénégalisation’’ dans les sociétés. L’objectif étant de savoir le nombre de nationaux et le nombre de remplaçants étrangers par les Sénégalais, informait le ministre.

Un contenu local qui intéresse particulièrement le secteur privé national encore novice dans ces questions et une société civile plutôt mitigée devant les choix gouvernementaux. Pour le texte sur le projet de loi gazière, les pouvoirs publics ont essayé d’avoir un regard extérieur, en recueillant les avis d’organisation de celle-ci. Le texte a été soumis à une quinzaine d’organismes. Le ministre du Pétrole et des Energies, Makhtar Cissé, s’est même plaint, avant-hier mardi, du manque de réactivité des certaines de ces structures, puisque, d’après lui, seul le Forum civil a répondu. Moundiaye Cissé de l’Ong 3D a toutefois pris son contrepied, en sa présence, et Seydi Gassama s’est plaint, hier, sur son compte Twitter, d’un ‘‘temps souvent trop court’’ pour ‘‘commenter les projets de loi’’.

OUSMANE LAYE DIOP

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