Publié le 15 Jan 2017 - 21:59
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

D'anciens RG reconvertis journalistes

 

La presse sénégalaise va voir arriver de nouveaux journalistes aux profils bien particuliers : anciens agents de renseignements généraux reconvertis dans l'investigation journalistique !  Ils seront à l'œuvre dès que des candidats auront répondu à l'appel d'offre du portail sénégalais www.leral.net qui, ces temps-ci, fait diffuser sur une chaîne de télévision sénégalaise son offre de recruter d'anciens agents de renseignement destinés à se reconvertir dans le journalisme d'investigation.

Y a quoi ? Y a rien, nous réplique un responsable à Leral.net, joint au téléphone. En clair, rien à redire de cette étrangeté qui paraîtrait "pas du tout éthique" à un professionnel attaché au respect des principes de déontologie du journalisme. Rien à signaler, argue notre interlocuteur qui estime que le recours à de tels personnels au profil particulier va permettre au portail en question de faire des investigations approfondies que ne pouvaient faire les journalistes classiques. Et surtout parce que, dans la réalité, bien des organes de presse sont fournis en exclusivité et servis en investigation par des collaborateurs en service dans le renseignement d'Etat, des détectives privés et autres agents infiltrés. La démarche de Leral.net n'est pas si nouvelle que cela au Sénégal ; elle a été précédée, il y a quelques années, par un journal ayant publié dans ses colonnes l'offre de collaboration à d'anciens policiers.

En fait, le recours à des "consultants" militaires et policiers est une démarche routinière dans le cinéma et dans la presse. Beaucoup de films de guerre n'auraient pas autant de vraisemblance ni de réalisme sans l'apport des consultants militaires, souvent d'anciens officiers supérieurs, qui orientent l'action, conseillent dans le jeu et la direction d'acteurs interprétant des rôles militaires. Il en est de même pour la télévision à l'occasion de manifestations militaires couvertes par la télévision et co-commentées par d'anciens militaires voire des militaires encore en activité (par exemple, à la parade des 4-Avril au Sénégal, 14-Juillet en France etc.) Ou, en tout cas, en faisant des journalistes experts en stratégie militaire ou dans les questions touchant aux armées. "Chaque journal a son consultant militaire qui analyse la guerre", explique au quotidien Le Monde, l'historien français des médias, Chritian Delporte.

Ici, au Sénégal, un certain journal en-ligne revendique à tout bout de champ avoir un "Ari" agent de renseignement infiltré. Forfanterie, clause de style ou réalité pour faire signifier avoir des sources dans des lieux insoupçonnés.

Pour en revenir à la question vitale voire philosophique, éthique et déontologique qui est en train de se poser au sein de la presse sénégalaise, c'est ce recours à d'anciens agents de renseignement préposés à un travail journalistique. Mame Less Camara, formateur, ancien correspondant à Dakar de la BBC, rappelle un précédent fort dangereux qui a eu lieu au Niger. Là-bas, en 1997, paraissait le journal "L'Enquêteur", créé par un ancien des RG nigériens, mais qui, en réalité, était utilisé, en sous-main, contre ses adversaires politiques par le chef de l'Etat nigérien de l'époque, Ibrahim Barré Maïnassara. En sera victime le correspondant de Rfi à Niamey, Moussa Kaka qui, à chaque fois qu'il faisait sur Rfi un duplex pas au goût du président Maïnassara, devait s'attendre à lire une violente réplique à la une de l'Enquêteur. Et c'est ainsi que L'Enquêteur rapporta un malheureux geste du journaliste chez l'ambassadeur de Belgique au Niger.

Les chartes des devoirs des journalistes professionnels de Paris (1918) et Munich (1971) stipulent que le journaliste ne saurait confondre son métier à celui de policier. Que dire alors quand l'ancien policier se met au journalisme ? En fait, là non plus, sous ce soleil, il n'y aurait pas grande nouveauté, puisque les journalistes de terrain habitués aux conférences de presse et bien d'autres manifestations publiques savent que ces dernières sont "couvertes" par des policiers des renseignements généraux se faisant passer pour des journalistes et même à l'occasion, présentant des cartes de presse d'un organe de presse inconnu au kiosque. D'où l'insistance de certains journalistes pour l'unicité de la carte de presse.

Il y a aussi l'éventuelle tentation de se venger de quelqu'un qui leur refuse un entretien ou qui les aurait brimés.  Ces brimades dont sont souvent victimes des journalistes.

Le risque est que ces journalistes reconvertis, n'ayant pas de quoi se mettre sous la dent, rien à proposer à leur organe de presse, dépoussièrent de vieux "Br" (bulletins de renseignements). Et la pente savonneuse risque de mener à un étalage de la vie privée d'individus et bien d'autres dangers. Mais là, notre interlocuteur de Leral.net rassure que ces anciens des Rg ne publieront rien qui porte préjudice à la sécurité de l'Etat ni à la vie privée des personnes. Tant mieux.

"Ces policiers ne sont ni utilisables quand ils sont en fonction ni recyclables quand ils ne le sont plus", martèle Mame Less Camara.

Tout cela pose l'éternelle question de savoir qui peut être ou/doit être journaliste. L'entrée de cette profession est si béante que n'importe qui peut y faire son entrée. Peut-être que c'est à cause de l'essence libérale même de la presse ; à cause de ce fait que qui a du talent, qui a des idées peut les faire prévaloir dans un organe de presse. Et c'est ainsi que des individus (qui se révèleront de véritables gredins) sont devenus journalistes. Rien ni personne ne peut leur dénier ces titres et qualité.

Jean Meïssa DIOP

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