Publié le 3 Sep 2016 - 11:58
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

Une mesure, deux sens

 

Radié ou révoqué, Ousmane Sonko ? A lire la presse écrite et en entendant celle audiovisuelle, on a l’impression que les deux termes sont interchangeables et ont même signification. La personne frappée par la mesure d’exclusion de la Fonction publique de la République du Sénégal ne semble pas faire de différence entre l’une et l’autre notion. Dans une interview accordée au journal "L’Observateur" le 1er septembre 2016, il parle alternativement de radiation et de révocation ; d’autres que l’on croyait plus experts de la sémantique n’ont guère permis d’y retrouver son latin.

Sans doute que pour épargner cette perplexité au public, la presse aurait pu en un ou des encadrés expliquer les valeurs et portées juridiques et lexicologiques de chacun des mots. D’où l’importance d’avoir, dans une rédaction, un dictionnaire comme Le Petit Robert ou/et le Larousse (sans aucune intention de lui faire de la publication) qui définissent la radiation comme l’‘’action de rayer quelqu'un ou quelque chose d'une liste où il était inscrit. Par exemple : radiation des listes électorales’’.

Des révocations massives de fonctionnaires, il y en a eu au Sénégal, en 1980, quand le pouvoir d’Etat, mis dos au mur par le Syndicat unique des enseignants du Sénégal (Sudes), décida de révoquer des militants de cette formation syndicale. Une mesure qui ne doucha point les ardeurs des syndiqués qui expérimentèrent un système de solidarité ; lequel permit aux révoqués d’avoir un revenu mensuel.

Quid de la radiation ? Le Larousse la définit comme la ‘’mesure disciplinaire la plus grave prise contre un fonctionnaire, consistant dans son éviction des cadres de l'Administration’’. Là aussi, le Sénégal a connu un exemple spectaculaire en 1987 que fut la radiation (massive, elle aussi) de policiers accusés d’avoir déclenché une grève qui faillit tourner au bain de sang, la gendarmerie ayant été déployée, arme au poing et manifestants mis en joue, sur l’avenue Senghor (ex-Roume).

Le colonel Abdoulaye Aziz Ndao, (lui aussi sauvé in extremis de la radiation de la gendarmerie pour avoir écrit un livre explosif intitulé ‘’Pour l’honneur de la gendarmerie’’, dans lequel il raconte cet épisode qui poussa le Sénégal au bord de la tragédie. Radié aussi le commissaire de police divisionnaire de classe exceptionnelle Cheikhna Cheikh Saad Bouh Keita, ancien directeur général de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (Octris). ‘’Il avait, rappelle le portail www.seneweb.com, dénoncé un trafic de drogue au sein de la police, accusant son prédécesseur à l’Ocrtis, le commissaire Abdoulaye Niang, d’être à la tête de ce trafic. Il expliquait que lors des cérémonies d’incinération des drogues, les boulettes brûlées ne contenaient pas de cocaïne, mais de la farine’’.

Radiation ou révocation ? ‘’Les deux mots ont le même effet, répond Me Leyti Ndiaye, avocat au barreau de Dakar que nous créditons d’une fine maîtrise du français ; il n’y a pas un seul des deux qui soit inexact’’. Néanmoins, Me Ndiaye trouve que ‘’le bon mot est révocation’’.

Un autre à qui nous avons demandé la nuance entre les deux termes nous explique de manière sommaire et pédagogique que ‘’la révocation est une mesure relevant de la compétence du ministère de tutelle du fonctionnaire, alors que la radiation est une prérogative du président de la République’’. Qui dit mieux encore ? Nous sommes à l’écoute.

Ousmane Sonko révoqué, bonjour les révélations !? Et l’ex-inspecteur des Impôts et domaines ne semble pas décidé à se taire. Ce qu’il sait de compromettant contre ce régime, il le dira, sans état d’âme. Et la presse et l’opinion seront tout ouïe et demandeuses. Mais à chaque jour suffira-t-il son scandale rapporté par Sonko pris dans un jeu de tourbillon médiatique dont il aura de la difficulté à sortir sans risquer d’être banal voire insipide ? Mais d’ici là, le Snowden sénégalais fera suffisamment de mal et se sera attiré autant de sympathies des citoyens outrés par ce qu’il leur révèle sur la manière dont ce pays est dirigé.

Oui, Sonko peut être crédité d’un Ibm (indice de bruit médiatique) très élevé, si ce n’est pas le plus haut du Sénégal, par ces temps qui courent ; il n’y en a que pour lui ; et il en sera ainsi pour longtemps encore. Et pour les médias, c’est un filon très riche.

Un journaliste ne contrevient-il pas au code d’éthique et de déontologie en exprimant, dans un commentaire, éditorial, chronique et autres genres rédactionnels dits ‘’de l’opinion’’ son hostilité à un gouvernement ? La question m’a été posée hier à la suite d’une chronique du journaliste Pape Alé Niang dans la quotidien ‘’Direct Info’’ ; et j’ai répondu qu’il n’y a rien dans ce cas qui soit une infraction à la bonne conduite professionnelle. Le journaliste, à l’instar de tout autre citoyen, a le droit d’émettre son point de vue. Mais exprimer son opinion ne signifie pas distorsion des faits. Le commentaire, s’il est bien fait, peut aider le public à mieux comprendre un fait. D’où son importance.

 

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