Publié le 14 Apr 2019 - 23:41
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

La manie de mal formuler les questions

 

Quand le journaliste est en interview ou en entretien documentaire, ses bonnes questions appellent toujours de bonnes réponses. Tout le contraire d’un autre journaliste posant des questions quelconques, sans précision ou trop bateau pour en être. Sur telle chaîne de télévision dakaroise, qui a reçu, en dix jours d’affilée, différents interlocuteurs, les questions ‘’’immanquables’’, ‘’inévitables’’ semblaient être ‘’Pouvez-vous nous dire…’’, ‘’Ne pensez-vous pas que…’’

Des questions très risquées, en ce que le questionneur risque d’être pris au dépourvu et dans l’embarras, si l’interlocuteur sincère ou pernicieux répond juste et expressément par ‘’non’’ à la question ‘’Pouvez-vous nous dire…’’ Si un interlocuteur se prête aux questions d’un intervieweur, c’est qu’il peut dire et accepte. Pourquoi, alors, lui demander encore s’il peut ou s’il veut ? Une des règles apprises en école de journalisme est de formuler les questions de manière telle que l’interviewé ne puisse pas répondre par oui ou par non et en rester là, sans que l’on puisse le lui reprocher.

A moins que le journaliste ainsi contrarié - par la réponse courte et sèche provoquée par l’imprécision de sa question - soit assez outillé et adroit pour placer une bonne question-relance ou question-réplique. En interview, rappelons-le, on n’obtient de bonnes réponses qu’en posant de bonnes questions ; autrement dit, poser des questions mal formulées et on obtiendra de mauvaises réponses. Ou se faire tourner en bourrique par un interviewé retors.

Il en est ainsi chez beaucoup de journalistes  qui font comme s’il n’y a que la même manière de formuler les questions : ‘’Pouvez-vous nous dire…’’ Et si l’interlocuteur répond sèchement ‘’non’’, le journaliste n’en saura pas plus que s’il avait formulé la question de manière plus précise, sans la circonlocution du ‘’pouvez-vous…’’ Il peut parce qu’il s’est prêté aux questions ; il a accepté d’y répondre. Pourquoi lui demander encore s’il veut ou s’il peut ?

‘’Avez-vous un message à lancer ?’’, est de ces questions souvent posées pour clore un entretien. Est-il dit que tout interviewé a un message ou appel à lancer ? Tout dépend du contexte et du sujet de l’entretien. A la question ‘’Quel message lancez-vous ?’’, un ministre malien répondit au journaliste de Radio France internationale (Rfi) : ‘’Je n’ai pas la prétention de lancer un message, mais je voudrais juste dire…’’ Et il dira ce qui a pu avoir valeur de message. Il aurait pu répondre par non - et l’interview en serait restée là - ou bien répondre par oui et délivrer ce qu’il prétend être son message.

‘’Le dernier mot ?’’, est aussi une question que posent des intervieweurs sans imagination, pour ‘’chuter’’ un entretien. Pourquoi veut-on, à tout prix, qu’il y ait un dernier mot ? Et s’il n’y en a pas ? A moins que l’intervieweur veuille que l’interlocuteur ait ‘’le meilleur argument de son entretien avec le journaliste’’.

Des journalistes plus astucieux préfèrent ouvrir la question - qui peut être aussi fermée – si l’interlocuteur estime n’avoir rien à ajouter à tout ce qu’il vient de dire à son interviewer. ‘’Y a-t-il un point important que vous auriez voulu aborder et sur lequel je ne vous aurais pas posé de question ?’’.

Viennent, ensuite, les questions inductives. ‘’Allez-vous porter plainte ?’’ Il y a question inductive quand le journaliste formule la question de manière à ce que son interlocuteur réponde dans le sens souhaité par le questionneur. ‘’Des questions qui, par leur formulation, sortent de la neutralité et orientent la réponse en fonction de ce que vous désirez entendre. Elles sont à bannir, car les réponses qui en sortent n’ont plus rien de significatif’’, explique le site https://emergence-management.com.

Ainsi, il y a un art ou plutôt une manie de formuler les questions qui affaiblissent l’interview et font douter du journaliste. Comme l’écriture journalistique, la formulation d’une question doit être précise.

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