Publié le 10 Oct 2020 - 06:47
BAH OURY (OPPOSANT GUINÉEN)

 “Si ça brûle en Guinée, il y aura un effet domino...’’

 

Le président de l’Union des démocrates pour la renaissance de la Guinée (UDRG), Bah Oury, était à Dakar, avant de s’envoler pour la France. ‘’EnQuête’’ l’a rencontré, pour revenir avec lui sur la lutte du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), la campagne électorale pour la Présidentielle qui bat son plein en Guinée et sur d’autres questions d’actualité. Entretien !

 

Qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui à Dakar ?

Je suis aussi du Sénégal. C’est tout à fait normal que, de manière régulière, je vienne me ressourcer, rencontrer mes relations, mes amis, élargir les contacts afin de présenter sous un autre éclairage l’évolution de la situation politique de Guinée. C’est très important de le faire ici, parce que nous y avons une forte communauté qui y est implantée depuis très longtemps. Parler avec nos compatriotes installés ici, échanger avec eux afin de leur montrer qu’il y a des alternatives possibles. C’est essentiel, surtout dans un contexte où les populations sont relativement inquiètes d’une évolution chaotique de la situation politique guinéenne.

N’avez-vous pas senti que votre vie était menacée, sachant que des bérets rouges ont fait une descente chez vous en Guinée, alors que vous étiez à Dakar ?

L’intimidation fait partie de la chose politique, mais il ne faut pas trop être paranoïaque. On risque de ne plus rien faire. Non, je ne sens pas ma vie menacée. Ce qui s’est passé n’est qu’un petit fait-divers. Je continue mon chemin. Ces pressions et intimidations ne peuvent en aucune manière flétrir ma détermination, mon engagement pour la démocratie, le respect des Droits de l’homme, le changement en Guinée. Je vais continuer le combat.

Concrètement, que devaient faire ces bérets rouges chez vous ?

J’ai été exilé de 2011 à 2015. Peut-être dans le contexte actuel, il y a des personnes qui estiment que ma présence en Guinée peut être gênante et m’amener ainsi que mon entourage à croire que ma sécurité doit être assurée. Non ! J’ai un programme que je dois dérouler ici au Sénégal avant de continuer sur la France. A la fin du mois, je retournerai à Conakry et j’assumerai mes responsabilités, comme ce fut le cas dans le passé.

Ne donnez-vous pas l’impression de fuir le possible chaos qui peut survenir en Guinée ?

Je souhaite que cela n’arrive pas. J’étais exilé, lors de la Présidentielle de 2015. J’ai contribué, indirectement, à ce que la Guinée ne connaisse pas une crise post-électorale sanglante. Le candidat de l’opposition en lice, à l’époque, avait demandé à la population de sortir. Il disait que quiconque meurt, qu’il sache que c’est Dieu qui l’a voulu ainsi. Je me suis insurgé contre cela, en disant qu’on en a assez de voir des gens mourir inutilement. Grâce à Dieu, cet appel a eu des effets qui sont allés au-delà de mes espoirs. On ne peut pas dire qu’on va toujours avoir les mêmes chances. J’attire l’attention de mes compatriotes de faire preuve de beaucoup de retenue et de lucidité dans ce contexte particulièrement troublé. Il faut mettre en avant l’intérêt collectif.

Vous êtes à Dakar, alors que la campagne présidentielle bat son plein en Guinée. Ne seriez-vous pas en train de fuir la tension notée en Guinée ?

La Guinée est en train de s’acheminer vers des élections controversées. Il faut souligner que ce ne sont pas des élections normales. Nous sommes dans un contexte où le pouvoir, depuis un an et demi, a détricoté les lois de la République, de la manière la plus grossière et la plus violente, pour changer de manière illégale la Constitution de la République de Guinée. La contestation dirigée par le FNDC a eu une forte ampleur. Je peux dire, sans me tromper, que 70 % des Guinéens n’ont pas souhaité un changement anticonstitutionnel qui remet les pendules à zéro pour permettre au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Dans un contexte d’oppression et de répression systématique qu’ils ont pu le faire. Aussi, le texte qui a été proposé, lors du référendum du 22 mars, n’a pas été celui promulgué par la suite.

Au point de vue juridique, cela montre que la Guinée est en train d’évoluer dans un contexte de hors-la-loi. Participer à une élection dans ce contexte, avec un fichier électoral corrompu et décrié aussi bien par l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) que la CEDEAO (Communauté des Etat de l’Afrique de l’Ouest). C’est dernièrement que la CEDEAO a pu trouver des clauses pour contenter le pouvoir en place. Participer à tout cela serait, dans une large mesure, contribuer à aller dans le sens de l’aggravation de la crise guinéenne avec la mise à part de la primauté du droit au profit d’une volonté systématique de confisquer le pouvoir en usant de la violence.

Ce serait, en définitive, une façon de faire prospérer l’impunité dont ce pays n’arrive pas à se départir depuis les indépendances.

Vous avez activement participé aux activités du FNDC. La Présidentielle se tient malgré toutes vos contestations et vous décidez de venir à Dakar. Est-ce un aveu d’échec ?

Non, ce n’est pas un aveu d’échec. L’échec n’est pas absolu, il est relatif. Dans le contexte guinéen, nous sommes dans un environnement où la confusion a été longtemps la chose la mieux partagée. Dans l’espace politique, il y a plus d’attitudes de positionnement que d’attitudes liées à une réelle conviction pour un idéal démocratique. Les forces politiques fluctuent au gré des intérêts qui peuvent être les leurs. Il est vrai que l’élection est en train de se faire.  Il est certain que, sauf accident ou situation imprévisible, le président actuel se donnera tous les moyens pour être reconduit et dire qu’il a pu avoir un troisième mandat dans le cadre d’une compétition électorale ouverte. C’est cela qui était recherché. Les forces qui émergeaient de cette frange du FNDC et qui ont participé de fait à cette compétition électorale valident le processus électoral en cours. Elles nous enlèvent à nous autres qui avons décidé de ne pas participer, les moyens de pression et d’argumentation pour montrer l’illégitimité du processus politique qui va conférer un troisième mandat au président Alpha Condé.

Donc, l’un dans l’autre, il est bon que la population cerne les enjeux et se rende compte des états des forces politiques et leur nature. Il ne suffit pas de s’opposer au pouvoir en place pour revêtir le manteau de l’opposant idéal. Il faut que les populations se rendent compte que dans le champ politique, il y a des questions d’intérêt, d’ambition personnelle, etc. C’est une réalité partagée un peu partout dans le monde. Mais au-delà de cela, y a-t-il des forces inscrites dans la dynamique de faire prévaloir l’intérêt de l’Etat, de la nation et du plus grand nombre ? C’est ce champ de combat qui est le nôtre. Derrière tout ce qui est en train de se faire, on veut montrer qu’il est possible de faire émerger une alternative démocratique, crédible, capable demain de rassembler les Guinéens, de faire promouvoir une idée de progrès et de modernité du pays. La nature a beaucoup donné à ce pays, mais la manière dont il est gouverné lui cause le grand retard constaté dans son développement.

Quand vous dites qu’il ‘’ne suffit pas de s’opposer au pouvoir en place pour revêtir le manteau de l’opposant idéal’’, pensez-vous spécifiquement à Cellou Dalein Diallo ?

Je ne veux pas citer de nom. J’ai des relations très étriquées avec le président du parti que j’avais fondé il y a très longtemps. Nos relations ne sont pas au beau fixe. Aujourd’hui, ce n’est pas cela le plus important. C’est la situation du pays qui est beaucoup plus préoccupante et la nécessité, au-delà de ces compétitions politiques, de préserver la stabilité et la paix civile de la Guinée et de toutes ses communautés. C’est fondamental. Les rivalités, dans ce contexte actuel, sont superficielles.

Au-delà de la rivalité entre Cellou Dalein Diallo et vous, êtes-vous de ceux qui pensent que sa déclaration de candidature à la Présidentielle a brisé l’élan du FNDC ?

C’est incontestable ! Il faut rendre à César ce que lui appartient. L’UFDG est un élément important du dispositif du FNDC. Le fait que ce parti se soit engagé dans l’accompagnement du processus politique actuel, en participant aux compétitions électorales, a amoindri les chances et les forces du FNDC. C’est la raison pour laquelle nous traversons, je pense, une période d’accalmie. Mais je suis certain qu’à l’issue de cette épreuve électorale, le sursaut est possible. La réalité sera plus perceptible, visible.

Vous ne croyez pas du tout qu’un des candidats peut battre Alpha Condé par les urnes, sachant que c’est le pari de Cellou Dalein Diallo ?

Il faut être réaliste et objectif. Un président de la République qui a utilisé tous les moyens, y compris la violence contre sa propre population pour pouvoir briguer un 3e mandat, qui a sous son aile la Cour constitutionnelle et la Commission nationale électorale indépendante, en plus d’avoir un fichier électoral qui lui est favorable, parce que peu crédible  malgré les déclarations tardives de la CEDEAO assurant que le fichier a été assaini, se donnera les moyens de passer. Dans ce fichier électoral, il y a beaucoup d’électeurs qui ne sont pas recensés dont ceux installés au Sénégal.

Hormis cela, il y a les forces de défense et de sécurité qui sont là pour servir les intérêts du pouvoir y compris par l’exacerbation de la violence. Le RPG est dans une situation complétement désastreuse. Une forte majorité des responsables qui avaient accompagné M. Alpha Condé dans a conquête du pouvoir, est aujourd’hui complètement en marge et n’est pas d’accord avec sa manière de faire. C’est l’Administration qui a pris le relais à travers les préfets, gouverneurs, etc. Comment pouvons-nous envisager d’avoir une élection crédible, dans ce contexte ? C’est une illusion de penser autrement.

Vous faites plus confiance aux politiques qu’aux fonctionnaires pour l’organisation d’une élection. C’est le contraire dans certains pays…

La Guinée n’est pas un Etat au sens régalien du terme. On a un Etat avec des administrateurs qui sont avant tout des militants politiques. On a une Administration qui est bâtie sur un système disons de servir le prince au pouvoir, rien que le prince au pouvoir y compris dans la captation des ressources qui n’ont rien à voir avec l’intérêt public. On a un conglomérat qui a intérêt à maintenir la situation politique comme telle. Ils y trouvent un avantage personnel. On a tout ce conglomérat qui se ligue pour maintenir la situation en l’état. Dans ce contexte, il y a des aspects utilisés comme ceux liés aux clans, aux ethnies. Donc, ce sont ces exacerbations de contradictions superficielles qui permettent de masquer les vraies contradictions sociales de la société guinéenne qui prospèrent. Dans l’Administration guinéenne, si vous voulez devenir gouverneur, vous devez chanter les louanges du pouvoir en place et rester le plus zélé possible pour garder son poste. Ce n’est pas leur gestion au sens de serviteur de l’Etat qui compte, mais leur zèle pour servir les intérêts politiciens qui l’emporte sur toute autre considération. On est dans un pays où l’Administration est à réinventer.

Au Sénégal, un ancien président a forcé la main pour se présenter une troisième fois à une Présidentielle. Il a perdu les élections qu’il a lui-même organisées. Pourquoi vous ne vous dites pas, même si les contextes ne sont pas les mêmes, qu’Alpha Condé peut perdre cette élection ?

Les situations ne sont pas comparables. La réalité politique du Sénégal est nettement plus évoluée que celle de la Guinée. Vous avez au Sénégal une société civile très forte. Vous avez des hommes et des femmes, dans l’espace politique, qui peuvent avoir des divergences, mais sont de qualité. Vous avez un processus qui a permis de générer une conscience citoyenne politique plus aigüe, à travers les assises avant l’élection de 2012. Le Sénégal a un Etat et des forces républicaines. Vous avez également des contrepouvoirs très efficaces qui ne peuvent pas se permettre de voir le pays aller à vau-l’eau. Ce qui n’est pas le cas de la Guinée qui, en réalité, depuis son indépendance, vogue de crise en crise, de répression systématique avec des tragédies qui ont jalonné ces 62 ans d’indépendance. C’est beaucoup archaïque, violent, barbare. Les réalités ne sont pas les mêmes.

Vous avez aussi un contexte juridique qui n’est pas le même que le nôtre. Monsieur Abdoulaye Wade était dans un cadre, disons, d’un changement constitutionnel qui avait été accepté par l’ensemble de la communauté politique sénégalaise. Il avait dit qu’il ne se présenterait pas pour un troisième mandat et après, il a dit ‘’wax waxeet’’ (j’avais dit, je retire ce que j’avais dit). C’est sa parole d’homme qui était mise en cause. Cela a mobilisé les politiques du Sénégal pour avoir une alternance qui a permis la victoire du président Macky Sall.

En Guinée, c’est un coup d’Etat qui a été organisé. On a des dispositions d’intangibilité dans la Constitution de 2010 qui dit qu’en aucun cas, un président ne peut avoir plus de deux mandats et que ces dispositions ne peuvent en aucune manière changer. Ce que M. Alpha Condé, avec une Cour constitutionnelle qui a fermé les yeux, a pu faire en disant qu’on ferme les yeux, a pu faire en changeant la Constitution. Les choses sont totalement différentes. Les réalités sociologiques ne sont pas les mêmes. Ce qui a réussi au Sénégal n’est pas susceptible d’être reproduit en Guinée.

Avez-vous analysé l’effet du boycott des Législatives de mars dernier avant de prendre la décision de boycotter la Présidentielle ?

Ce boycott a permis d’enlever toute légitimité à l’Assemblée nationale. C’est cet effet de déficit de légitimité que M. Alpha Condé, d’une manière stratégique et tactique, a réussi à impliquer certaines forces du FNDC pour qu’à travers leur participation, contribué à valider ce qui a été fait. C’est une façon de donner une prime à une certaine forme d’impunité. L’un dans l’autre, cela présente une certaine gravité. On ne peut pas condamner la participation aux Législatives et revenir d’un seul coup dire que ‘’je participe à la Présidentielle’’, alors que le contexte légal est défavorable. Rien ne justifie cela, sinon encourager demain et après-demain des pouvoirs autoritaires de même type à utiliser la violence pour s’imposer. Je crois que le président Alpha Condé avait même dit dans le journal ‘’Le Monde’’ qu’ailleurs ils ont tué, mais cela ne les a empêchés de faire ce qu’ils ont voulu faire.

 C’était pour dire qu’ici en Guinée également, nous allons tuer et cela ne nous empêchera pas de faire ce que nous voulons faire. Participer à valider cette thèse, d’une manière ou d’une autre, est un acte que je considère répréhensible pour la stabilité de la Guinée et pour l’émergence d’une culture politique citoyenne et responsable.

Est-ce que la politique de la chaise vide paie vraiment ?

Il n’y a jamais de politique de la chaise vide. De 2001 à 2005, les partis politiques, y compris celui de M. Alpha Condé, avaient boycotté les Législatives et la Présidentielle de 2003. Le général Lansana Konté est allé avec un candidat fabriqué pour légitimer l’élection. Nous avions également boycotté l’élection. Mais à cette période, face la nécessité pour le pouvoir de se réconcilier avec les partenaires internationaux, il a été obligé de lâcher du lest et de négocier avec les forces extra-parlementaires. Ce qui a permis d’avoir les lois sur la libéralisation des ondes, le financement public des partis politiques, la mise en place d’une commission électorale autonome pour superviser les élections et celle qui a permis l’amnistie de M. Alpha Condé. Ainsi, la politique de la chaise vide n’existe pas. L’absent pèse.

Pour la présente Présidentielle, soutenez-vous officiellement ou officieusement un candidat ?

Non, pour toutes les raisons de principe et d’éthique que je viens d’évoquer. On a dénombré plus de 90 morts, entre octobre 2019 et maintenant. On ne sait pas ce qui va advenir dans les prochaines semaines. D’une manière ou d’une autre, s’impliquer dans ce champ est gravissime. Je ne participe pas. Je ne donne pas de consigne de vote pour qui que ce soit. Chaque citoyen, en âme et conscience, est libre de faire ce que bon lui semble. Personnellement, je pense que participer à ce processus, c’est donner l’idée qu’on peut se permettre n’importe quoi en Guinée.

Faites-vous partie de ces opposants guinéens qui n’ont pas de carte d’électeur, ce qui fait qu’aujourd’hui vous ne pouvez pas voter ?

J’ai ma carte d’électeur, mais je ne voterai pas.

Quelles seront les prochaines étapes de la lutte du FNDC ?

La Guinée a vécu longtemps dans la contestation. Le contexte actuel est en train de permettre la libéralisation de l’espace politique. On va savoir qui est qui, qui fait quoi et pour quelles motivations. Ce sont des questions extrêmement importantes et fondamentales dans un environnement où la population est plus orientée vers des critiques subjectives. Je pense que le processus en cours permet de clarifier les choses et de faciliter la décantation politique et la recomposition politique qui surviendra plus tard. Cela permettra de faire ressortir les grands enjeux et permettre à la Guinée de sortir de sa longue léthargie politique et d’obscurantisme.

Vous restez ainsi optimiste, malgré le tableau noir que vous avez décrit tantôt ?

Bien entendu, parce que nous sommes en train d’assister à la fin d’un cycle politique qui est en train de disparaître, de mourir et les tenants de ce dernier tentent, par tous les moyens, de se maintenir pour continuer d’exister. Mais la réalité sociologique est telle que cela ne pourra plus prospérer. Nous sommes dans cette lutte dialectique entre l’ancien et le nouveau. Le nouveau sera très prochainement le plus fort.

Donc, vous restez convaincu qu’Alpha Condé ne fera pas encore 5 ans au pouvoir ?

(Il rit) C’est du domaine de Dieu, mais je suis sûr que les forces du changement acquièrent de plus en plus de force. Aussi, les facteurs bloquants du passé sont en train de disparaître. La société guinéenne est en train, malgré elle, par les faits des choses, de se réconcilier. Toutes les portes sont ouvertes pour que la pauvreté ne quitte pas ce pays avec les clivages ethniques, les fausses promesses. Il y a également cette incurie d’une classe politique qui s’intéresse plus à son nombril qu’à l’intérêt général. Tout cela participe à présenter les choses sous un autre angle. Notre rôle, en tant que responsable, est de permettre aux Guinéens et à la sous-région de savoir qu’il y a des alternatives qui émergent, des alternatives d’espoir de changement.

A votre avis, qu’est-ce qui explique toutes les perturbations notées à chaque Présidentielle guinéenne ?

Je crois que nous n’avons pas réussi jusqu’ici à avoir un système qui s’inscrit dans la nécessité absolue d’assurer la dévolution du pouvoir de manière pacifique, apaisée et démocratique. On a des groupes d’intérêt qui se sont accaparés l’Etat. La politique est orientée vers la satisfaction d’intérêts matériels. Cette logique sociale est la caractéristique de la situation guinéenne. Lorsqu’on parle de violence, d’ethno-stratégie, on ne fait que masquer la vraie réalité. Si on est mû par la recherche de gains, on ne peut travailler à démocratiser le système. On ne peut pas assurer des élections crédibles et transparentes. On ne peut pas avoir un fichier fiable. Si on avait une personne, un vote, la classe politique ferait émerger des projets de société. Mais non, on fait tout pour empêcher que la majorité choisisse de la manière la plus paisible, la plus transparente. La lutte actuelle est pour la démocratie, mais également pour la citoyenneté.

Comment analysez-vous la décision d’Alpha Condé de fermer les frontières de la Guinée avec certains pays voisins dont le Sénégal ?

La mentalité qui domine est celui de complotiste. Le pouvoir se dit qu’il y a toujours des possibilités de mouvements de mercenaires, de rébellion ou d’armes d’un pays vers un autre. C’est la rengaine depuis plus de 50 ans. Ce sont les mêmes réflexes qui sont en train d’être exécutés. Cela veut dire que le débat politique, la réalité du monde n’a pas effleuré le logiciel mental de ceux qui dirigent la Guinée. C’est pour cela que dès qu’il y a des problèmes, on pense à fermer les frontières. Il se dit également que le Sénégal est un pays où des opposants pourront avoir la possibilité d’agir en liberté. Idem pour la Guinée-Bissau. Mais ce sont plus les relations interpersonnelles qui le lient aux dirigeants de ces pays qui l’amènent à douter d’un certain nombre de choses. C’est purement politicien. Cela n’a aucun fondement. Il ne faudrait pas que les populations de part et d’autre se laissent impressionner par un vent qui passe.

Avez-vous l’impression que les Guinéens sont laissés à eux-mêmes ?

La communauté internationale, à travers la CEDEAO, est récemment passée à Conakry pour valider le processus engagé. Je pense que c’est un désastre, une perte de crédibilité. Le plus grave, c’est que, par subsidiarité, c’est à la CEDEAO d’indiquer à la communauté internationale la voie à suivre pour la résolution de la crise guinéenne. Malheureusement, cette CEDEAO n’a pas été à la hauteur de la mission et n’a pas eu la capacité de faire respecter ces protocoles et principes. On a montré que les situations de fait l’emportent sur les chartes, traités, protocoles, etc. Demain, n’importe qui, peu importe les textes, peut s’imposer et on sera obligé de vous reconnaître et même vous applaudir. Notre espace CEDEAO risque d’être fortement chahuté où les tensions, les facteurs de crise risquent de s’amplifier. C’est une préoccupation majeure. Au lieu d’aller dans le sens de la prévention des conflits, cette CEDEAO, par son attitude à Conakry, est allée dans le sens de l’amplification du conflit. Par jurisprudence, elle indique la possibilité, aussi bien en Guinée qu’ailleurs, d’utiliser des voies peu orthodoxes pour conserver ou accéder au pouvoir.

Donc, vous n’attendez rien des missions d’observation qui vont être envoyées ?

Il ne faut rien attendre d’elle. Heureusement que l’Union européenne a marqué sa défiance par rapport à l’attitude de la CEDEAO. En tant qu’Africain, cela me cause une profonde tristesse. Nous avons une crise migratoire du fait de la mal gouvernance de nos pays. Nous avons la crise sahélienne qui menace nos Etats. Nos pays ont beaucoup de problèmes. La CEDEAO aurait dû anticiper et faire preuve de fermeté. Elle est en train d’aggraver la situation de crise. C’est une responsabilité qu’il faut mettre en exergue pour indiquer qu’en tant qu’Africains, sommes-nous incapables de voir par nous ce qui est positif pour nos populations et que ce soit d’autres qui soient plus regardants sur ces choses-là ? C’est incompréhensible.

Quel est votre appel de Dakar ?

Je me souviens qu’en 1992 ou 1993, le président Wade, qui était ministre d’Etat de Diouf, avait, à l’époque, organisé une grande concertation de tous les partis politiques de l’Afrique, pour échanger sur la nécessité de coopérer, de se donner la main et d’envisager une politique continentale. C’était formidable et il y a eu l’appel de Dakar que nous avions tous signé.

Mon appel de Dakar sera beaucoup plus modeste. Je souhaite que les autorités sénégalaises se rendent compte que la Guinée est certes un pays souverain, mais de par les implications, la situation géographique, il y a des intérêts liés. Quand il y a eu Ebola en Guinée, cela a eu un impact négatif sur l’économie sierra-léonaise et libérienne. L’instabilité d’un pays frontalier constitue un risque pour la stabilité des pays limitrophes. Il y a nécessité d’avoir une dynamique proactive, au lieu de jouer aux sapeurs-pompiers. Il y a une coresponsabilité à prendre en compte. Si la Guinée brûle, l’ensemble de la région sera impacté. Par effet domino, cela va toucher toute l’Afrique de l’Ouest, surtout les pays côtiers.

BIGUE BOB

 

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