Publié le 12 Jul 2019 - 23:29
BAROMETRE GLOBAL SUR LA CORRUPTION - AFRIQUE

Les cœurs de cible du mal

 

La plus grande enquête sur les citoyens concernant la corruption en Afrique a rendu publiques ses conclusions, hier. Une enquête d’Afrobarometer en collaboration avec Transparency International qui a duré deux ans et qui n’a pas épargné polices, fonctionnaires des Etats, députés, chefs d’Etat et Premiers ministres, justices, services sociaux de base, leaders religieux... au Sénégal et en Afrique.

 

Les députés du Sénégal n’ont pas à rougir, si l'on considère leur classement par rapport à ceux de la République démocratique du Congo (Rdc) où 79 Congolais sur 100 perçoivent la corruption comme un phénomène réel qui touche leurs représentants. La 10e édition du Baromètre global de corruption (Cbg, sigle anglais) de Transparency International et Afrobarometer a encore épinglé les agissements nébuleux de pouvoirs publics de 35 pays du continent noir, avec plus de 47 000 personnes interrogées.

A la question de savoir si ‘‘tous les parlementaires, ou une grande majorité d’eux, sont-ils corrompus ?’’, seuls 24 % des Sénégalais ont estimé que leurs représentants à l’Hémicycle le sont effectivement. Par contre, ces élus peuvent s’inquiéter de cette statistique qui marque un statu quo, puisqu’elle est la même qu’il y a quatre ans.

Les juges et magistrats sont également logés à la même enseigne, avec le même score sur la même durée. Par contre, l’Exécutif peut se préoccuper de la perception des Sénégalais sur leur degré de corruption : 23 % ‘‘discréditent’’ le président de la République ainsi que le Premier ministre, de ce score, alors qu’ils étaient 22 % à le penser, quatre ans plus tôt.

Les fonctionnaires de l’Etat sénégalais sont les plus mal lotis, puisqu’ils obtiennent deux points malus, passant de 24 à 26 %. Les leaders religieux ne sont pas en reste, puisqu’ils acquièrent un point dans le mauvais sens (8 % en 2019) et partagent ce palmarès avec les leaders traditionnels (9 % contre 8). Charité bien ordonnée commençant par soi-même, les organisations non gouvernementales (Ong) sont incluses dans l’étude et affichent 12 % en 2019 sans référence antérieure.  

 L’éclaircie, dans cette grisaille de scores peu glorieux, est détenue par le privé, les dirigeants d’entreprises notamment, qui, au Sénégal, ont gagné 10 points sur la perception de la corruption dans leur secteur, passant de 38 à 28 %. Un énorme bond en avant qui n’enlève en rien celui de la police, ayant fait les choux gras de la presse, il y a quelques années, avec le rapport de l’Ofnac qui l’a épinglée comme l’un des corps les plus corrompus. Elle a amélioré ses statistiques avec deux points bonus, si l’on considère les deux années de référence (29 % en 2019 contre 31 % en 2014).

L’étude globale a été faite entre septembre 2016 et septembre 2018, avec une marge d’erreur de -/+3 et une fiabilité de 95 %.

Au Sénégal, elle s’est déroulée entre le 2 et le 19 décembre 2017, impliquant 1 200 personnes interrogées par le Carrefour d’études et de recherche-action pour la démocratie et le développement (Ceradd).

Les Africains pauvres (36 %), deux fois plus enclins à payer des pots-de-vin

Les résultats globaux de l’étude donnent certaines informations intéressantes sur le phénomène de corruption. ‘‘Sans surprise, les enquêtes révèlent que les plus pauvres sont deux fois plus susceptibles de verser un pot-de-vin - et plus susceptibles d'être victimes d’un comportement corrompu de la part des bureaucrates - que les plus riches’’, conclut le document.

En effet, 36 % des Africains pauvres soudoient pour avoir accès aux services de base, contre 19 % d’Africains riches. Les jeunes sont également plus enclins à ‘‘corrompre’’ que les vieux. Une personne sur quatre qui a accès au service public est obligée de mettre indûment la main à la poche. Globalement, les Africains perçoivent la police (47 %), les fonctionnaires du gouvernement (39 %) et les parlementaires (36 %) comme les corps les plus corrompus.

Au Sénégal, l’étude de cette perception de la corruption n’épingle pas seulement les institutions. Les usagers des services publics et le service public lui-même confirment que le phénomène n’est pas unidirectionnel. Les statistiques révèlent que 15 % des usagers sénégalais du service public ont avoué avoir payé des pots-de-vin sur les douze derniers mois, alors que 43 % pensent que la corruption a augmenté sur cette durée. A cette question qui leur a été adressée (‘‘Le niveau de corruption a-t-il changé ces douze derniers mois ?’’) 6% d’entre eux ont estimé que ça a augmenté dans l’école publique, contre 3 % en 2014 ; 7 % ont pensé pareil des hôpitaux, dispensaires et centres de santé, contre 3 % auparavant.

Une perception qui interpelle d’autant plus qu’en 2019, 53 % des Sénégalais interrogés sont d’avis que le gouvernement fait un mauvais travail dans la lutte contre la corruption, alors que 32 % pensent que le gouvernement fait un bon travail. Quinze pour cent ont donné leur langue au chat.  Par contre, 52 % pensent que les gens ordinaires peuvent faire la différence dans la lutte contre la corruption.

Le phénomène devrait persister globalement, puisque l’étude avance que trois Africains sur quatre refusent de dénoncer le phénomène par peur de représailles. La Rdc (80 %), le Liberia (53 %) et la Sierra Leone (52 %) constituent le trio de tête d’un podium continental très peu élogieux, tandis que l’île Maurice, le Botswana et le Cap-Vert affichent des scores honorables (5 %, 7 % et 8 % respectivement).

Externalités négatives

‘‘En plus de son caractère endogène, le rapport dénonce également les externalités de la corruption. Les acteurs non africains jouent un rôle important, en alimentant la corruption en Afrique via une corruption extérieure et le blanchiment d’argent. ‘‘Les leaders politiques font des affaires avec des intérêts étrangers pour la promotion de leur intérêt personnel, au détriment des citoyens qu’ils sont censés servir’’, dénonce le document. Il épingle ainsi plusieurs pays qui exportent de grandes quantités de biens et services, et qui refusent d’enquêter ou de punir leurs compagnies qui se livrent à la corruption.

Le Brésil, l’Espagne, la France, la Belgique, les Usa, les Pays-Bas, l’Italie, la Chine, l’Australie, le Royaume-Uni, le Portugal figurent dans la liste des pays qui concourent à la pratique. ‘‘La corruption dans le secteur public ne vient pas du néant. Quand les ressources qui servent à financer les services sociaux de base comme la santé et l’éducation quittent le pays par millions, ce sont les citoyens ordinaires qui en souffrent le plus’’, avance l’Argentine Delia Fereiro Rubio, la présidente de Transparency International. La compagnie suisse Glencore, en République démocratique du Congo, et le milliardaire israélien Dan Gertler, tous deux sanctionnés par le gouvernement américain, l’an dernier, pour avoir procédé à des paiements douteux à Joseph Kabila, illustrent cet aspect extérieur du phénomène.

Les officiels et banquiers d’investissement mozambicains, impliqués dans un schéma de fraude et de blanchiment sur 200 millions Usd ; l’enquête engagée par l’Espagne contre la société nationale Defex pour corruption et blanchiment en Angola et au Cameroun ; les révélations du ‘’West Africa Leak’’ en 2018 sur la corruption, le blanchiment exposant les ‘‘bras longs’’ ouest africains... sont autant de preuves que la corruption alimente un système de prédation des ressources publiques. 

OUSMANE LAYE DIOP

 

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