Publié le 1 Dec 2019 - 16:02
BRADAGE DU DOMAINE PUBLIC MARITIME DE KAYAR

Le festin des spéculateurs

 

Avant l’élection présidentielle du 24 février 2019, une affaire de spoliation du domaine public maritime (Dpm), pour une superficie de 80 000 m2 à Kayar, soit 209 parcelles, avait éclaté, impliquant des hommes politiques et soutiens du président Macky Sall, des membres de l’opposition, collaborateurs directs et alliés du président du parti Rewmi, Idrissa Seck. Cette histoire, dite du bradage du Dpm, avait donné lieu à beaucoup d’accusations et contre-accusations. Celle-ci a révélé une autre spéculation foncière beaucoup plus ancienne et concerne, au premier chef, un promoteur qui a fini d’y construire son complexe hôtelier sur une superficie d’un hectare.

 

Derrière les dunes sableuses de Keur Abdou Ndoye, se trouve Kayar ! Un domaine public maritime long de plus 10 kilomètres qui fait l’objet de toutes les convoitises. Avec sa bande de filaos et sa vaste plage, Kayar n’est pas loin d’être un endroit paradisiaque. Sur place, des maisons sortent de terre, au bord de la mer. La pression foncière, ici, est suffoquante. D’autant que la commune située au pied de la mer totalise 176 sites de débarquement. Ce qui en fait l’un des centres artisanaux de pêche les plus importants du pays, avec une valeur marchande de 8 milliards de francs Cfa, selon des chiffres rendus publics en 2010.

Jadis terre de pêche, Kayar, située à environ 58 km au nord de Dakar, a connu, dès le début des années 80 et 90, sa première érosion côtière. Au fil des années, cette petite ville, érigée en commune depuis 17 ans, a étendu ses tentacules le long de la côte de l’ancienne communauté rurale. Déjà, en 1996, l’avancée de la mer avait précipité le déguerpissement des habitants de Darou Salam, l’un des quartiers les plus populeux de Kayar. Au mois d’avril 2015, la mer a encore frappé le quartier de Tenty Yoff. Conséquence : déplacement forcé des occupants. En janvier 2018, une sévère boule houleuse y a emporté des gilets de sauvage, détruit neuf stations d’essence, des maisons et des pirogues. Selon des documents du Plan d’action environnemental régional et du Centre national écologique consultés par ‘’EnQuête’’, si tout cela est arrivé, c’est à cause des changements climatiques. Bref, un phénomène naturel. Et que le taux de recul de la ligne de rivage, qui devait être de 1,20 m par an, n’y a pas été constaté.

Au moment où l’érosion côtière sévit avec son lot de dégâts, l’homme vient ajouter son grain de sel. Avec une activité clandestine qui y bat son plein : le bradage du Dpm. En effet, l’activité humaine exacerbe l’érosion côtière. Le domaine public maritime, qui s’étend de Keur Kalidou à Bereub, en passant par Ndiokhob Guedj, a fini d’être morcelé, agressé et vendu à des particuliers. Outre le lotissement de 2004 de la station balnéaire Nord et Sud qui a déjà absorbé les 2 km, une usine de transformation de poisson (Macef) appartenant aux Coréens, y a été implantée. Elle a vu le jour, entre 2012 et 2013, suite à l’avis favorable des autorités du défunt Conseil régional de Thiès. Actuellement, trois stations d’essence sont en train d’être construites sur le Dpm au quartier Tenty Yoff, suite, dit-on, à une délibération faite par le défunt maire Ndiassé Kâ (2014-2018).

Cependant, le projet phare de l’heure et qui retient l’attention des uns et des autres, c’est la construction de la première infrastructure hôtelière de la localité. Tout a commencé, dit-on, en 2013. Lorsque le promoteur Cheikh Guèye a entamé, sur une superficie d’un hectare sur le Dpm, la construction d’un complexe hôtelier. Alerté, le maire Lamine Dramé (2011-2014) l’a sommé d’arrêter les travaux, parce que ne disposant d’aucun document légal. Cheikh Guèye a promis à l’édile de Kayar d’offrir aux populations de Ndiokhob, sous la forme d’une responsabilité sociétale d’entreprise, une mosquée et des salles de classe, en contrepartie. Mais malgré le niet du maire, il a démarré la construction de la mosquée qui n’est toujours pas achevée.

En effet, le promoteur se prévalait de l’accord du maire précédent de Kayar, feu Masseck Guèye.

Les explications du promoteur Cheikh Guèye

Cette affaire charrie de nombreuses questions, alors que la construction du complexe est presque achevée. Elle est d’autant plus intrigante que de nombreuses personnes sont citées. Selon les documents consultés par ‘’EnQuête’’, le bradage du domaine public maritime de Kayar a été envisagé depuis bientôt 10 ans. Le 27 juin 2010, feu Masseck Guèye, alors maire de Kayar (2009-2011), avait signé et délivré au promoteur Cheikh Guèye un acte d’attribution provisoire d’une partie du Dpm. Mis au parfum de cette affaire, à son arrivée à la tête de la commune, feu Ndiassé Kâ, ancien édile de Kayar (2014-2019), a dit son refus catégorique de céder cet espace. Et le 20 mars 2015, il décida d’écrire au promoteur Cheikh Guèye pour lui demander des documents justificatifs lui permettant d’occuper cette superficie du Dpm. Ce dernier les lui apporta le 22 août 2016. Le maire d’alors apposa sa signature.

Aussitôt, le promoteur lança une nouvelle procédure pour s’acquitter des frais de bornage et d’autorisation de construire. A cet effet, une somme de plus d’un million de francs Cfa aurait été versée au Trésor public pour les frais de bornage. Cheikh Guèye dit aussi avoir saisi, le 9 mai 2012, par courrier n°00531, le Centre des services fiscaux de Thiès et le chef de la Division régionale de l’urbanisme et de l’habitat de Thiès.

Selon M. Guèye, le chef de service précité a, ensuite, écrit au receveur de l’Enregistrement des domaines et du timbre de Thiès qui, lui, a donné son avis favorable devant lui permettre d’occuper le terrain du domaine public maritime de Kayar. Ainsi, le 5 juin de la même année, le promoteur hôtelier dit avoir déposé à la mairie de Kayar son projet de construction du complexe hôtelier déchargé sous le n°90.

Sa recherche de la légalité ne s’arrête pas là. Après avoir déposé son projet ou son business plan sur la table de l’autorité municipale, Cheikh Guèye, patron de la menuiserie Khadim Rassoul, dit, dans ses documents, avoir repris le circuit des différents services administratifs (l’Urbanisme et l’Habitat et les Impôts et domaines) de Thiès pour recueillir leurs avis favorables.

S’estimant alors dans la légalité, le promoteur a entamé la construction de son complexe hôtelier qui, aujourd’hui, est en phase de finition.

Enfin, le 22 avril 2015, le promoteur ajoute avoir reçu l’avis favorable de la Commission d’aménagement du territoire et des domaines du Conseil départemental de Thiès. Qui, d’après lui, lui donne le droit d’occuper le terrain qui lui avait été cédé par le maire Masseck Guèye.

Le démenti de l’ex-receveur des Impôts de Thiès

Joint par ‘’EnQuête’’, l’ancien receveur des Impôts et domaines de Thiès confirme avoir reçu un courrier de Cheikh Guèye. Par contre, il précise qu’il n’a pas la compétence ‘’ni d’affecter ni d’autoriser des constructions’’ sur le domaine public maritime. ‘’Le receveur des domaines reçoit le dossier, procède à l’instruction. Il a, seulement, la compétence d’instruire le dossier. A ce que je sache, au moment de quitter le service des Impôts et domaines, le dossier de Cheikh Guèye n’avait pas encore abouti. Il était au niveau du conseil départemental qui devait délibérer pour émettre un avis, avant que le dossier ne soit transmis au gouverneur. A la période où que je quittais les Impôts et domaines (2018), le dossier était à ce niveau. Donc, il n’y a pas un courrier du receveur ni celui du Cadastre qui a autorisé Cheikh Guèye à construire ou à s’implanter. Non !’’, recadre l’ex-receveur de Thiès, par ailleurs allié du président Macky Sall, aujourd’hui à la retraite.

Aussi, rappelle-t-il qu’il n’a plus la compétence de parler des dossiers qui traitent des questions domaniales, parce qu’il a pris sa retraite depuis bientôt deux ans.

L’échec d’une procédure

Mis en cause dans cette affaire de bradage, Cheikh Guèye a crié sur tous les toits et même juré la main sur le Coran, en 2018, avoir agi en toute légalité, en se basant sur les documents précités. Cependant, il n’est nullement mentionné, dans tous les documents brandis, qu’il s’est adressé à la Direction de l’Agence nationale des affaires maritimes (Anam) pour une quelconque autorisation d’occupation temporaire (Aot) ou à une permission de voirie. Car, il est clairement défini que le domaine public maritime appartient à l’État qui, seul, peut en autoriser certaines occupations, mais sous certaines conditions. L’Anam, elle-même, ne peut procéder à aucune délibération sur le Dpm. Le domaine public maritime ne peut faire l’objet d’aucune vente. C’est pour cette raison qu’elle ne délivre que des autorisations d’occupation temporaire à ceux ou celles qui le souhaitent.

Pour disposer d’une seule parcelle dans le Dpm, la personne physique ou morale qui le souhaite doit ‘’requérir l’avis technique favorable de l’Anam, suivi de l’Aot ou de la permission de voirie délivrée par l’administration des Finances’’, lit-on sur le site de l’agence. Pour bénéficier de l’avis technique sanctionnant l’autorisation d’occupation temporaire, il faut entreprendre une certaine démarche avec un certain nombre de documents, notamment le plan de situation réalisé par un géomètre agréé, une attestation d’engagement, la demande manuscrite adressée au Dg de l’Anam… Il y a également une redevance à verser. Elle est ‘’calculée sur la base de la superficie définie par le géomètre agréé, selon la nature de l’activité envisagée sur le site. Pour une activité commerciale, il sera facturé à 500 F Cfa/m² et pour une occupation non commerciale, c’est 100 F Cfa/m²’’, renseigne l’Anam.

Après cette démarche, l’agence délivre à la personne physique ou morale un acte de conformité ou de non-conformité avant toute installation envisagée dans le domaine public maritime. Or, M. Guèye n’a jamais exhibé ce document provenant de l’Anam. Dans sa procédure enclenchée, il manque l’avis technique favorable de l’Agence nationale des affaires maritimes. Quant à l’avis favorable du conseil départemental, les services de Yankhoba Diattara disent n’avoir jamais délibéré pour octroyer ce bout de papier à Cheikh Guèye. Encore que, sur le domaine public maritime, il n’est point permis la construction de bâtiments en dur. Ce qui est autorisé, ce sont des installations légères en bois. Parce qu’à tout moment, l’autorisation d’occuper délivrée par l’Anam peut arriver à son terme.

En revanche, Cheikh Guèye, que nous avons tenté de joindre à plusieurs reprises, avait déjà dit, l’année dernière, être dans ‘’toute la légalité’’. Une légalité qui lui a permis, d’ailleurs, d’entamer la construction de son complexe hôtelier sur le domaine public maritime de Kayar. Mais Lamine Dramé, ancien maire et actuel point focal du Forum civil à Kayar, bat en brèche. Selon lui, Cheikh Guèye s’est uniquement basé sur l’accord de principe de feu Masseck Guèye pour entamer la construction de son complexe hôtelier ‘’sans aucune légalité’’. Puisqu’avec l’agression du Dpm, les gens vont tenter d’extraire le sable marin. Et dès qu’il y a une extraction du sable marin, l’érosion côtière va encore frapper aux portes de Kayar.

Si, en 2018, le promoteur dit avoir reçu un acte de délibération concret des mains de l’ancien maire Masseck Guèye, au mois de mai 2011, d’après les informations recueillies, un édile n’est pas habilité à faire une quelque délibération sur le domaine public maritime.

Un bradage peut bien en cacher un autre

En 2018, il a fallu l’éclatement d’un scandale concernant un lotissement clandestin sur le Dpm de Kayar, à hauteur de Ndiokhob, sur une superficie de 80 000 m2, pour soulever une autre vieille occupation illégale. Encore à Ndiokhob. A quelques semaines de l’élection présidentielle, un lotissement clandestin y a été constaté, avec à la clé 836 bornes sur le domaine public de Kayar et sur la partie qui tend vers Dakar.

Au départ, deux personnes ont été citées et considérées comme les principaux acteurs de ce lotissement clandestin. Il s’agit du premier vice-président du Conseil départemental de Thiès, Yankhoba Diattara, cadre du parti Rewmi, et Pape Moussé Diop, Président de la Commission ad hoc en charge de la protection des domaines, allié et collaborateur du président Idrissa Seck. Ces deux partisans d’Idrissa Seck ont été mouillés par le président de la Commission de l’aménagement du territoire et des domaines au conseil départemental, Abdoulaye Sow, membre de l’Alliance pour la République (Apr). Par voie de presse interposée, chacun a tenté de se tirer d’affaire. Personne ne voulant être mêlé à cette affaire. Ainsi, rejetant les accusations d’Abdoulaye Sow, Yankhoba Diattara et Pape Moussé Diop ont contre-attaqué et désigné Abdoulaye Sow comme celui qui a délivré l’avis favorable au promoteur Cheikh Guèye à leur insu.

L’’’apériste’’ confie à ‘’EnQuête’’ : ‘’Dans cette affaire, il y a beaucoup de non-dits. Ils ont effectué, sans aucune autorisation, un terrassement de plus de 200 parcelles, soit 80 000 m², sur le domaine public maritime de Kayar. Moi, je leur parle du lotissement clandestin et eux, ils s’attardent sur le projet de Cheikh Guèye. Diattara et Pape Moussé sont les principaux auteurs de ce lotissement clandestin. Ce qu’ils ont fait est impardonnable. Ils l’ont fait. Donc, à eux d’assumer.’’ Il clame haut et fort son innocence. D’ailleurs, le sieur Sow a reçu le soutien du promoteur hôtelier. ‘’Dans cette affaire, Yankhoba Diattara ne raconte que des contrevérités. J’ai obtenu des papiers légaux qui m’ont permis de débuter les travaux du complexe hôtelier’’, disait Cheikh Guèye en 2018. Qui se défend d’être mêlé de près ou de loin au bradage dudit domaine public maritime.

‘’On peut ordonner la destruction de son complexe’’

Présenté au départ comme l’un des cerveaux dudit lotissement clandestin, Pape Moussé Diop souligne qu’il a mis une croix sur cette affaire Cheikh Guèye. Car, selon lui, ce dernier a acquis son terrain en se fondant sur des documents illégaux. ‘’Il a construit de façon illégale un hôtel sur le domaine public maritime. Les papiers qu’il a acquis pour la construction de ce complexe sont illégaux. Depuis lors, il manœuvre pour obtenir ces terres sans la délibération du conseil départemental. Je puis vous jurer que le conseil départemental, encore moins la commission régionale domaniale (avec à sa tête le gouverneur) ne se sont jamais réunis pour une quelconque délibération en faveur de Cheikh Guèye. Nous n’avons jamais remis un avis favorable à Cheikh Guèye. Tous les documents qu’il a montrés sont faux. Aujourd’hui, il fait tout pour que ce projet soit validé’’, fulmine le président de la Commission ad hoc en charge de la protection et de la gestion des domaines, précisant que le promoteur hôtelier risque de tout perdre, s’il ne fait pas attention.

’S’il persiste, on peut ordonner la destruction de son complexe qu’il a construit de manière illégale. Il y a une anarchie qui règne dans le domaine public maritime de Kayar. Et il faut que ça s’arrête. Il dit avoir obtenu un avis favorable de la part du conseil départemental. C’est faux, parce que, depuis notre arrivée, nous n’avons jamais distribué ou affecté une seule parcelle à qui que ce soit. Encore que le conseil n’a pas la prérogative d’affecter. C’est l’Anam qui délivre au demandeur l’autorisation d’occupation temporaire pour une période bien déterminée’’, a-t-il confié récemment à ‘’EnQuête’’, après plusieurs tentatives pour obtenir son avis.

Interrogé sur l’implantation de l’usine de transformation de poisson Macef et la construction de stations d’essence, Pape Moussé Diop dit ne rien savoir de cette unité. ‘’Je n’ai aucune information là-dessus. Je ne sais même pas à qui appartient cette unité et les stations d’essence. Nous allons vérifier et si on découvre qu’il y a un début de nouveaux travaux sur le Dpm, on va ordonner l’arrête immédiat de ces constructions illégales’’, dit-il.

Action judiciaire en cours

Il faut aussi dire que certains protagonistes de ces différentes affaires sont présentement devant les juridictions. En effet, Abdoulaye Sow a porté plainte contre Yankhoba Diattara pour diffamation. Lors du procès en première instance, Abdoulaye Sow a soutenu avoir été diffamé par le vice-président du Conseil départemental de Thiès, dans la mesure où il n’est nullement mêlé à la délibération du conseil départemental ayant donné un avis favorable à Cheikh Guèye. Mais Yankhoba Diattara ne s’est pas défilé. A la barre, il a maintenu ses accusations. Au final, la diffamation n’a pas été retenue contre le secrétaire général national chargé de la vie politique du parti Rewmi. ‘’Débouté’’ par la justice, Abdoulaye Sow a interjeté appel. Le procès suit toujours son cours.

En attendant que la justice vide complètement le dossier dit du bradage, ces acteurs politiques continuent à se renvoyer la balle.

Lotissement clandestin abandonné

Aujourd’hui, le lotissement clandestin a été tout simplement supprimé. Car, à notre dernier passage sur le site, vers la fin du mois d’octobre, nous avons pu constater que toutes les 836 bornes ont été enlevées. Maintenant, ce qui reste à clarifier, c’est l’affaire du complexe hôtelier.

Contacté par ‘’EnQuête’’ M. Sow nie et rejette l’accusation selon laquelle c’est lui qui a délivré, à l’insu du conseil, l’avis favorable à Cheikh Guèye lui permettant de poursuivre ses travaux qui ont été arrêtés pendant un long moment sous le magistère du maire Lamine Dramé.

En 2018, lors d’un point de presse, les membres du mouvement dénommé And Défar Thiès dont est membre Yankhoba Diattara avaient tenté de disculpé leur camarade pour mouiller l’ancien receveur des Impôts et domaines de Thiès. Tous rejettent la faute sur Abdoulaye Sow.

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LE BRADAGE DU DPM VU PAR UN HAUT GRADE DES EAUX ET FORETS

‘’Les Niayes sont menacés de disparition, avec ces constructions anarchiques’’

Le bradage du domaine public maritime (Dpm) de Kayar ne laisse pas indifférentes les hautes autorités des Eaux et forêts, chasse et conservation des sols. Jetant un regard sur cette spéculation foncière illégale, ce haut gradé et expert environnementaliste soutient que, dans cette affaire, c’est l’État lui-même qui manque de rigueur et ‘’piétine ses propres règles’’.

 

Les Niayes s’étendent sur 180 km de long et sur 5 à 30 km de large, le long du littoral maritime, entre Dakar et Saint-Louis. Aujourd’hui, il y sévit une activité clandestine, au vu et su de tous. Ce bradage, entamé depuis bientôt 10 ans, menace, au premier plan, l’écosystème marin, avec des risques d’érosion côtière accrue.

Ainsi, cette autorité des Eaux et forêts soutient que si les uns et les autres veulent s’accaparer les domaines publics maritimes, comme c’est le cas à Kayar, c’est à cause du laxisme des autorités étatiques. Aussi, précise notre interlocuteur, cette activité peut créer des désastres écologiques.

‘’On parle aujourd’hui de développement durable. C’est bien. Mais encore faudrait-il penser aux catastrophes écologiques. Sur le cas du bradage du Dpm de Kayar, c’est inadmissible et il y a des choses à revoir. Et il y a un laxisme notoire de la part de l’État. Il piétine lui-même ses propres lois établies pour la protection de ses domaines. Avec ces constructions anarchiques, ce sont les Niayes qui sont menacés de disparition. Aujourd’hui, chaque citoyen veut avoir un pied dans la mer. C’est bien. Mais personne n’a le droit de morceler le Dpm et même une petite partie de la plage. Il appartient à l’État de sévir pour mettre fin à ce bradage’’, confie notre source.

Poursuivant son raisonnement, l’environnementaliste affirme que les questions environnementales sont insidieuses.

Bradage = augmentation des risques d’érosion

Pour éviter de plonger Kayar dans un désastre écologique, notre interlocuteur invite l’État à sévir, en appliquant la loi dans toute sa rigueur. ‘’A l’État d’être plus regardant sur la surveillance des Dpm et barrer la route à tous les bradeurs. Les conséquences de ce qui passe aujourd’hui peuvent ne pas être ressenties tout de suite. Mais si on ne fait rien, les gens se rendront compte, dans 10 ans, de leurs mauvais actes. C’est comme les dunes. On peut, d’un seul coup, trouver des montagnes de sable et, quelques jours après, zéro sable marin. Donc, il faut savoir que les Dpm ne sont pas à morceler et à vendre. Le domaine public maritime de Kayar appartient à l’État du Sénégal, donc à tous les citoyens. Tout citoyen doit avoir accès à la mer pour contempler les vagues et profiter de la plage. Rien que pour ça, le Dpm ne doit pas profiter à une catégorie de personnes. Même les plages de Saly n’appartiennent pas aux promoteurs hôteliers’’, martèle le colonel des Eaux et forêts.

Cependant, il reconnait que la ville doit grandir. Par contre, dit-il, pas en avançant vers la mer. ‘’Il faut maintenir les cuvettes entre Bayakh et Kayar. Il faut également savoir que le fait de brader le Dpm et d’y construire peut augmenter la sensibilité de l’érosion côtière, éolienne et même la pollution. Et si les gens insistent toujours à vouloir construire sur le domaine public maritime, comme c’est le cas à Kayar, la plage va disparaitre d’ici 5 à 10 ans. En 1987, on parlait du phénomène des changements climatiques et certains pensaient que c’était du bluff. Aujourd’hui, nous le vivons et c’est la triste réalité. Encore une fois, dans cette affaire dite du bradage, ce sont les Niayes qui sont menacés de disparition’’, regrette notre interlocuteur.

MORCELLEMENT DU DPM

Des lois violées et des auteurs impunis

Dans cette affaire du bradage du domaine public maritime (Dpm) de Kayar, quatre lois de la République ont été violées par les auteurs de la spéculation et qui restent impunis.

Le domaine public maritime appartient à l’État. Même si les régions (conseil départemental avec l’Acte III de la décentralisation), communes et communautés rurales (communes rurales)… ont bénéficié du transfert de compétences avec la loi n°96-07 du 22 mars 1996 portant transfert de compétences, cela ne donne le droit pour autant aux autorités locales d’effectuer un morcèlement dans le domaine public maritime. Car, tel que défini par l’article 12 du Code du domaine de l’État sont autorisées sur le Dpm : ‘’Les installations légères, démontables ou mobiles n’emportant pas emprise importante du domaine public ou modification de son assiette. Leur retrait ne donne lieu au paiement d’aucune indemnité.’’

Or, dans le cas du complexe hôtelier, mais aussi de l’usine de transformation de poisson et des stations d’essence en gestation, il ne s’agit pas d’installations légères ; les bâtiments sont construits en dur. Là-dessus, la loi ne souffre d’aucune ambiguïté.

Pour ce qui concerne l’affaire dite du bradage du Dpm de Kayar, les différents auteurs précités et qui continuent toujours de se renvoyer la faute ont violé quatre lois de la République. Il s’agit de la loi n°2008-43 du 20 août 2008 portant Code de l’urbanisme, la loi n°76-66 du 2 juillet 1976 portant Code du domaine de l’État, le Code de l’environnement de 1983 (article 86), mais aussi le Code général des collectivités locales, en ses articles 59, 60, 61, 62.

Dans l’affaire du bradage du Dpm de Kayar, aucune personne n’est inquiétée par la justice. Et pourtant, le Code de l’urbanisme, en son article 80, dispose que : ‘’Toute personne qui s’adonne à de telles pratiques doit être punie à des peines d’emprisonnement allant de 6 mois à 2 ans de prison ferme et une amende de 5 à 20 millions de F Cfa.’’ Le Code du domaine de l’État, quant à lui, prévoit, en son article 20, le paiement des redevances au niveau du Trésor public et des poursuites pénales. L’article L86 de l’environnement, pour sa part, prévoit également des poursuites pénales, de même que les articles 59, 60, 61 et 62 du Code général des collectivités locales.

Cependant, depuis l’éclatement de cette affaire, aucune des personnes qui se renvoient la balle n’a été convoquée par la justice pour tirer cette affaire au clair. Si le dossier du lotissement clandestin a atterri devant les tribunaux, c’est parce qu’Abdoulaye Sow, qui s’est senti diffamé par le président du Conseil départemental de Thiès, Yankhoba Diattara, a décidé de porter plainte. Mais, à part les deux, tous les autres n’ont jamais reçu de convocation.

PAR GAUSTIN DIATTA (THIES)

 

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