Publié le 21 Mar 2016 - 23:16
CARNET DE ROUTE INDE

Au pays des merveilles

 

L’Inde, ce n’est pas la porte d’à côté. Parcourir ce pays, qui est en fait un sous-continent, aurait été une terrible corvée sans la fascination qu’il exerce sur les nouveaux venus. Une nation aux dimensions insaisissables qui vous fait passer par tous les états avant toute appréhension des logiques qui y ont cours. Entre traditions, modernité, histoire, ambitions, dissensions..., l’Inde dans toute sa particularité. 

 

Dubaï vu d’en haut. Magnifique amalgame d’asphalte et de régions désertiques en ce samedi matin 12 mars 2016. La nuit précédente, il n’y avait pas grand-chose à voir sauf les lumières éclatantes des grandes villes d’Algérie, de Kairouan, des côtes d’Alexandrie époustouflantes, et de l’Arabie Saoudite à couper le souffle.

A l’aurore, le froid régnait en maître dans le vol de la compagnie Emirates. Entre -64° et -45° au dehors, et 30 mille pieds, affichaient les moniteurs escamotables derrière les repose-tête des sièges. Le fuselage de l’avion qui se perdait dans les amas nuageux laissait entrevoir par intermittence le contraste dubaiote qu’on survolait depuis le matin. Énormes étendues désertiques innervées de longues routes asphalteuses, d’immeubles, d’immenses pâtés de maisons, de complexes sportifs où l’on devinait des personnes minuscules s’agiter, l’émirat respire la prospérité.

L’escale à Dubaï, dans les installations de l’aéroport international, fief de la compagnie Fly Emirates, est un régal pour les yeux. De l’intérieur, on se croirait plus dans un gigantesque centre commercial de luxe que dans un terminal aéroportuaire. Seuls les rappels, à intervalle régulier, de la speakerine dans les haut-parleurs appellent quelques passagers pour l’enregistrement. Partout des hommes en tenue déambulent. ‘‘Nous n’avons pas l’autorisation de vous parler. Adressez-vous à mon supérieur’’, répond un balayeur à qui on demandait le code wifi. Habillés de tenue de travail, ils assurent les travaux subalternes. Visiblement des ressortissants du sud asiatique, ils balaient, nettoient, passent l’aspirateur, tandis que beaucoup d’Africains se retrouvent dans la restauration ou le gardiennage de magasins duty-free. A l’image de Georges, un serveur nigérian dans un coffee shop qui nous a assistés durant l’escale de 7 heures à Dubaï. Son anglais limpide différent de celui des serveurs asiatiques est comme une bouffée d’oxygène. Un repas servi avec convivialité deux heures avant le départ pour l’Inde.

Déchirements

Celui qui a trouvé le slogan ‘‘Incredible India’’ n’aurait sans doute pas été mieux inspiré. Tout est merveille dans ce pays, pour le néophyte. On y passe sans transition de la modernité à la tradition, de l’opulence la plus insolente à la pauvreté la plus miséreuse, du romantisme le plus enchanteur aux crimes les plus implacables. La résistance des traditions face à l’ouverture inéluctable de l’Inde ne faiblit pas. Progressiste et conservatrice, le pays s’englue dans ses propres contradictions qui de l’extérieur ne laisse rien paraître. 

A la descente du somptueux aéroport de Delhi, à l’extérieur de la ceinture de sécurité, des femmes et petites filles se tiennent à la queue devant les charriots métalliques. Les habits en guenille, les mains jointes dans une supplique pour quémander quelque chose fait penser aux leçons d’histoire apprises sur le pays. Des personnes que l’un des chauffeurs nous confirmera être des ‘‘intouchables’’ après l’esquive du responsable chargé de nous acheminer à l’hôtel.  Malgré le charme ambiant, la politesse des Indiens, la société de la plus grande démocratie du monde, continue d’obéir à des logiques ancestrales implacables. Les farouches Indiens qui sont tentés de faire déplacer ces cases de l’échiquier social peuvent le payer très cher. Les crimes d’honneur sont encore légion.

A l’image de cet assassinat dans le district de Tamil Nadu Tirupur relatée par la presse le lundi 14 mars. V. Shankar, un jeune homme de 22 ans de la caste Dalit, qui a eu ‘l’audace’ d’avoir épousé Kausalya, une fille de la caste Thévar, supposée supérieure, a été abattu par 3 hommes en moto alors que son épouse était grièvement blessée. Cette dernière avait déjà fait l’objet d’un enlèvement, raté, par sa famille pour la soustraire à son époux. Six personnes ont été arrêtées deux jours plus tard, dont le beau-père de la victime qui s’est rendu à la police, alors que la belle-mère, Anna Lakshmi, est en fuite avec son frère Pandi Durai (oncle de la mariée) pour leur rôle actif dans ce meurtre. Même l’expression de la conviction religieuse peut se révéler dramatique.

Le jeudi 17, Gabhru Bharwhad, 40 ans, est mort après avoir avalé du pesticide dans l’état du Gujarat. Cet activiste hindu, en compagnie de sept autres, manifestait contre l’abattage clandestin, dans cet état, et la consommation de la viande de vache. Pour cette dernière, ils exigeaient le statut spécial de ‘‘rashtra mata’’ (mère protectrice de la nation). Une forme de protestation extrême qui fait suite à une proposition tout aussi radicale, émanant des nationalistes, de rapporter la langue du leader du parti musulman AIMIM, Asaduddin Owaisi, qui refusait d’entonner le chant ‘‘Bharati mati ki jai’’ (Notre mère l’Inde). Le parti au pouvoir, le BJP, a même suspendu un de ses membres pour la déclaration présumée.

 Émerveillement

Il serait presque possible de palper le romantisme ambiant qui flâne dans l’air indien. Un passé chargé de romantisme qui trouve ses racines dans l’âge d’or de la domination musulmane en Inde. Mais c’est sans doute le Taj-Mahal qui aura remporté le prix de l’émerveillement dans la délégation des 22 journalistes africains venus pour l’occasion. Après un trajet de plus quatre heures, de Delhi à Agra, le plaisir d’avoir vu le Taj efface tout désagrément. La réputation de l’une des sept merveilles du monde n’est pas surfaite. ‘‘A dream story that has come true ’’(Un rêve historique est devenu réalité), s’emporte une consœur d’Ethiopie émue par l’histoire de ce mausolée relatée par un guide. La preuve par le marbre, l’émeraude, l’onyx et... un éloge à la symétrie architecturale. De n’importe laquelle des quatre façades du mausolée, la vue est parfaitement la même. Séances de selfies à gogo, touristes étrangers et locaux sont complètement subjugués par les imposantes bâtisses. La preuve d’une histoire d’amour comme on n’en voit que dans les téléfilms indiens. Le prince Khurram qui deviendra plus tard l’empereur moghol de l’Inde sous le nom du Shah Jahan était fiancé à une fille de 14 ans, Arjumand Banu Begum.

En 1672, il l’épouse et lui fait porter le nom de Mumtaz Mahal (ornement bien-aimée du Palais). En donnant naissance à leur 14ème enfant en...19 ans de mariage, Mumtaz Mahal mourut. Mais pas sans avoir contraint sa majesté de mari à trois vœux : prendre soin et aimer tous les enfants qu’ils ont eus ensemble, ne jamais se remarier, et lui construire un palais en témoignage de l’amour qui les liait. Un vœu accompli par le Shah qui s’est vu trop beau. Sur l’autre berge de la rivière, le guide indique un immense espace aménagé par le souverain, qui cette fois a voulu se faire construire un autre Taj à sa propre gloire. ‘‘Son fils, décelant les premiers signes de la démence, le déposa’’, conclut le guide.

Mais le Taj Mahal n’est pas la seule source d’enchantement en Inde. A Hyderabad, dans l’Etat du Télengana, Ramoji Film City en est un aussi. La ville du film est l’alter ego indien de Hollywood, un point de passage obligé pour tout cinéphile. Une sorte d’immense studio de tournage et de Disneyland de... 8 093 713 mètres carrés que le livre des records Guinness a honoré du titre de la plus grande ville du film. Des premiers pas de la star Amintabh Bachan en 1996, date d’ouverture du complexe, au lac artificiel où le film Crocodile 2 a été tourné, ce bijou n’est pourtant pas le seul du pays. ‘‘Vous comprenez pourquoi nous sommes passés devant les Usa au nombre de films. Rien qu’ici, nous atteignons les 300 films par an’’, jubile Shatish Surve, l’un des conservateurs de ce site qui emploie plus de 7 000 personnes.  Aux maisons et bâtiments factices, dont un aéroport, une station pour trains, un hôpital, et une prison grandeur nature, s’alternent de complexes hôteliers réels. Mais c’est dans les studios de tournage qu’on prend la mesure du succès de Bollywood. ‘‘C’est ici que nous réalisons beaucoup de scènes d’intérieur de nos films’’, assure le conservateur. A l’intérieur une voix off résonne dans la salle. L’intérieur mime le décor de la cour d’un roi et sa cour. Un mariage de couleurs et de colonnades décorées aux figurines des mille et une déités qui plongent en plein dans la mythologie indienne. Un lieu de tournage grandeur nature à l’image du pays où surréel et réel de côtoient sans se toucher.

Priorité aux jeunes

L’Inde va vite. Petit signe pour le démontrer, les conducteurs sont très agressifs avec le klaxon. Sur les larges autoroutes de Delhi, de Agra, ou de Hyderabad, un concert de klaxons aigus des bus de transport, des tricycles appelés ‘atto’, des voitures de particuliers, coups de klaxons rageurs mettent à l’épreuve l’ouïe sensible. Une rapidité qu’incarne la jeunesse de la population. Que ce soit dans la presse, le think tank de la défense stratégique (Isda), les technologies de l’information (IT), la jeunesse est l’atout incontournable dont le pays se prévaut pour relever les défis de sa nouvelle stature de puissance économique. 

‘‘A 36 ans, je suis déjà l’un des plus vieux dans mon équipe ’’, déclare le rédacteur en chef de la version en ligne de Indian Express dans la salle réservée aux invités. Dans l’Etat d’Uttar Pradesh, dans les imposants locaux de cet établissement créé en 1932, la jeunesse est effectivement au cœur du journal. Dans une salle de rédaction qui ressemble à un immense centre d’appel, les cliquetis du clavier se mêlent aux commentaires du match de cricket opposant le Pakistan au Bengladesh.

Sur les faces souriantes qui se lèvent à notre passage, pas plus de la vingtaine pouvait-on aisément remarquer pour la plupart des 400 membres de l’équipe, dont les correspondants dans tout le pays. A l’image du blogueur Ayushman qui vient de boucler ses 20 ans : ‘‘Nous sommes jeunes et nous sommes fiers de compter parmi les gens qui feront l’avenir de ce pays.’’ Un défi que le pays est obligé de relever avec plus d’un milliard deux cent millions de personnes où les plus de 60 ans n’étaient que 5,9% de la population en 2005.

OUSMANE LAYE DIOP (ENVOYE SPECIAL)

 

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