Publié le 13 Nov 2019 - 01:35
CHANGEMENT DE DOMICILIATION DES RESERVES DE L’UMOA

Les précisions de l’économiste Chérif Salif Sy 

 

Moyens de paiement internationaux, les réserves de change sont, en général, déposés dans des comptes à l’étranger, pour des raisons de sécurité, selon l’économiste Chérif Salif Sy. Dans un entretien avec ‘’EnQuête’’, il lève le coin du voile sur le changement de domiciliation des réserves des pays de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa), notamment ceux de la zone Cfa, logées au Trésor français. 

 

Le chef de l’Etat béninois, Patrice Talon, a annoncé, vendredi dernier, dans une interview diffusée sur Rfi et France 24, que le changement de domiciliation des réserves de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) logées auprès du Trésor français, est acté.

Interpellé par ‘’EnQuête’’ sur la question, l’économiste sénégalais, qui a travaillé depuis des années sur le franc Cfa, précise qu’il y a eu une ‘’mauvaise présentation’’ des choses de la part du président béninois. ‘’En général, les réserves de change sont des moyens de paiement internationaux. Et pour tous les pays en général, on les dépose dans les comptes à l’étranger. A côté des réserves de change, il y a des réserves d’or. Celles-ci, effectivement, les pays peuvent les rapatrier. Mais les réserves de change, en général, on les garde à l’extérieur. C’est comme des bijoux de famille. On les met dans un endroit qu’on considère comme le plus sûr’’, explique Chérif Salif Sy.

Pour l’économiste, ancien conseiller du chef de l’Etat Macky Sall, le président béninois connait le problème. Sur ce point, M. Sy pense qu’il ‘’n’a pas été très précis’’. ‘’Il a un éminent ministre, ancien du Fonds monétaire international (Fmi) Abdoulaye Bio Tchané, qui était un haut responsable du Fmi. Je ne pense pas qu’il ait confondu les choses. Les réserves de change sont des moyens de paiement internationaux toujours déposés à l’extérieur dans des comptes à l’étranger. Un pays peut en avoir plusieurs. Le Nigeria en a à Londres, aux Etats-Unis, etc. Par contre, les réserves d’or, on peut les rapatrier’’, insiste notre interlocuteur. L’essentiel, selon lui, c’est de mettre ces réserves dans un ‘’endroit sûr’’.  Car elles sont différentes des ressources que conservent les banques centrales dans les pays.

La Banque centrale ‘’ne peut pas garder ses réserves’’

Ainsi, il rappelle que l’Allemagne avait ses réserves d’or, depuis la Seconde Guerre mondiale, aux Etats-Unis. C’est l’année dernière qu’ils les ont récupérés. La Chine, pendant plus de 35, voire 45 ans, avait 75 % de ses réserves aux Etats-Unis. Elle aussi, les a récupérés récemment. M. Sy soutient que ‘’ce n’est pas une honte’’ de mettre ses réserves ailleurs.

Toutefois, l’économiste fait savoir que la Banque centrale ‘’ne peut pas garder ses réserves’’. Donc, d’après lui, ‘’il ne sert à rien’’ de les avoir ici. Sachant que ces réserves ne sont pas du Cfa et ne seront pas de l’éco demain.

Cependant, il précise que cette réforme est loin de signifier la rupture avec le franc Cfa. ‘’Aujourd’hui, de chaque côté, on considère que c’est nécessaire. Mais on ne rompt pas comme ça. C’est un contrat qui a scellé le sort des 15 pays africains entre eux, notamment ceux de la zone Cfa et le second, c’est l’ensemble des pays avec la France. Ce décrochage s’organise. Ce ne sont pas des choses qu’on peut improviser. Les chefs d’Etat sont en train de se concerter, de se parler et de s’organiser pour le décrochage’’, indique M. Sy.

Aujourd’hui, vu la tournure de la question sur le franc Cfa et les réformes prévues par la France en accord avec les chefs d’Etat des pays de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa), les autorités françaises vont se retirer de la gouvernance du franc Cfa. Et l’économiste estime que la France elle-même en a assez de ces histoires. ‘’On le sent parfaitement auprès des autorités qui se sentent agacées. C’est aussi cet aspect qui doit interpeller les leaders africains. Quand on semble ne plus vouloir de vous, vous vous repliez et vous vous organisez. Nos Etats sont obligés, bien qu’ils aient décidé, en 1983, de créer une monnaie de la Cedeao, mais avec cette réaction de la France, de s’organiser pour voir comment échanger, rompre l’accord de coopération monétaire avec la France concernant la Zone franc’’, dit-il.

Pour ce qui est de la gouvernance de la monnaie des pays de l’Umoa, M. Sy signale que la Gambie gouverne elle-même sa monnaie qu’est le dalasi, de même que les autres pays africains. Même s’ils sont certes considérés comme des pays ‘’faibles’’. Pour lui, ce n’est pas ça le problème. ‘’La Guinée a un gouverneur de la Banque centrale pendant des décennies qui a appris à Dakar. L’Afrique a les compétences pour le faire. La gestion de la monnaie, contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas une affaire économique. La monnaie est une affaire politique. Pour ce qui est de la volonté politique, immédiatement, si les Etats prennent les décisions idoines, on arrivera à gérer sans aucun problème la monnaie qui est le premier instrument de souveraineté’’, affirme l’économiste.  

Guy Marius Sagna (activiste) : ‘’Il n’appartient pas à la France d’être ouverte à des réformes.’’

Membre du Front anti-Cfa et défenseur de la souveraineté économique et monétaire des pays africains, l’activiste sénégalais Guy Marius Sagna soutient qu’il ‘’n’appartient pas’’ à la France d’être ‘’ouverte’’ à des réformes concernant le franc Cfa.

Selon lui, cette posture ‘’honteuse’’ de la France est, pour eux, la preuve de la ‘’justesse’’ de leur combat pour la souveraineté monétaire ‘’pleine et entière’’. ‘’La lutte doit continuer, pour éviter ce qui s’est passé dans les années 60 avec les indépendances. Si nous ne prenons pas garde, le même schéma va se reproduire. On va enlever le Cfa pour le baptiser éco. Mais le processus d’accord, la machine d’oppression, de dépendance, sera toujours là. Les peuples africains seront encore dupés, trompés. Or, ce dont nous avons besoin, c’est une deuxième phase de décolonisation de nos pays africains, notamment de la zone Cfa’’, renchérit l’activiste joint au téléphone d’’’EnQuête’’.

Ne partageant pas le point de vue de Patrice Talon soutenant que sur le plan technique, le franc Cfa n’a pas de problème, il défend que le francs Cfa ‘’favorise’’ les importations. ‘’Si 64 % de nos petites et moyennes entreprises meurent avant leur 5e année, une des raisons, c’est le franc Cfa qui favorise les importations. Leurs exportations ne sont pas compétitives sur le marché international’’, dit-il.

Dès lors, ce membre du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine/Frapp-France dégage, invite le président Macky Sall et les autres chefs d’Etat africains à faire corps avec leurs forces vives, leur peuple, pour ‘’décoloniser’’ le franc Cfa. A la question de savoir ce qu’il préconise à la sortie de la Zone franc, M. Sagna argumente : ‘’De la même manière que nous nous sommes débrouillés jusqu’à présent sur le plan de la santé, de l’éducation, de la défense, etc., les peuples doivent aller à l’école d’eux-mêmes. On ne verra jamais un Etat développé qui ne contrôle pas sa monnaie. Quitte à ce que nous trébuchions dix fois après que la France a dégagé. Mais nous pensons que c’est la seule voie pour sortir du sous-développement, de la pauvreté’’.

En effet, il pense qu’après plus de 50 ans d’indépendance, les pays africains ont formé suffisamment d’hommes capables d’administrer seuls leur monnaie. Ceci sans que la France ‘’n’ait à leur envoyer des représentants’’ dans les conseils d’administration de banques centrales. ‘’La révolution monétaire à laquelle nous appelons, ne peut pas être portée par Ouattara, Macky Sall, Patrice Talon. Ils sont ombilicalement soumis à la France. Nous pensons que de la même manière, nos pays ont fécondé des techniciens de la monnaie pour administrer cette monnaie, ils ont également fécondé des hommes et des femmes politiques pour être totalement indépendants et administrer dans de très bonnes conditions cette monnaie’’, affirme l’activiste.

Cependant, il prévient qu’ils ne se battent pas pour sortir d’un franc Cfa et entrer dans un ‘’même mécanisme’’ qui va ‘’juste changer’’ de nom. ‘’Cela ne nous intéresse pas. Nous ne voulons pas aussi avoir une monnaie qui sera à l’image de l’euro qui, aujourd’hui, opprime des peuples en Europe. Nous voulons une monnaie qui serve les peuples africains, qui soit contrôlée par ces peuples, une monnaie totalement souveraine’’, conclut Guy Marius Sagna. 

MARIAMA DIEME

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