Publié le 18 Sep 2019 - 05:13
CHEIKH GUEYE, ANCIEN CONSUL DU SENEGAL EN ARABIE SAOUDITE

‘’L’Etat a fait preuve de faiblesse, dans l’affaire de l’institution Sainte Jeanne d’Arc’’

 

S’il y a une personne qui n’est pas du tout satisfaite de l’issue de l’affaire dite de Sainte Jeanne d’Arc, c’est bien l’ancien consul du Sénégal en Arabie saoudite, Cheikh Guèye. Le diplomate reconverti en enseignant, pense qu’avec l’accord trouvé entre les différentes parties, le problème est simplement reporté ultérieurement. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, il décline ses ambitions pour la ville de Diourbel, analyse la situation nationale avant de jeter un coup d’œil, d’ailleurs très critique, sur la conduite de la politique étrangère.

 

En tant que directeur d’école privée laïque, quel est votre avis sur le débat sur l’interdiction du port de voile à l’institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar ?

Nous sommes un pays laïc. Il faut d’abord le souligner. Je ne peux pas comprendre que notre Constitution reconnaisse la laïcité et qu’on refuse de l’appliquer dans une institution privée. La charte fondamentale du pays est au-dessus de tout règlement intérieur d’un établissement rédigé par l’institution elle-même. On ne peut pas évoluer dans un pays laïc comme le Sénégal, où l’écrasante majorité des populations est constituée de musulmans et interdire le port du voile dans un établissement scolaire.

Ça, c’est inimaginable. Ça dépasse l’entendement. A cet égard, je me range aux côtés du khalife général des tidianes, Serigne Mbaye Sy Mansour, qui a demandé, si jamais cette institution persiste à réclamer aux filles de ne pas se voiler, qu’elle soit fermée. C’est ça la décision à prendre. Je pense qu’il faut que les parents d’élèves soient décomplexés. Je ne peux pas comprendre cette ruée vers les écoles privées catholiques. Ce sont les mêmes enseignants qui sont là-bas qui donnent des cours dans nos écoles. Les écoles privées laïques sont en train de faire les mêmes résultats que les institutions privées catholiques.

Qu’est-ce qui, selon vous, explique cette ruée vers le privé catholique ?

C’est un complexe. Mais nous enseignons les mêmes programmes, nous avons les mêmes professeurs, nous faisons les mêmes résultats aux examens. Nous, au Cfee, on a fait cette année presque 100 %. Il n’y a eu qu’un seul échec au Bfem, où on a fait plus de 80 %, au Bac plus de 75 %. Donc, nous faisons des résultats. Pendant que ces institutions privées catholiques sont aidées et soutenues par le Vatican, nous, nous ne sommes pas accompagnés par l’Etat. Nous volons de nos propres ailes. Pas mal de nos écoles ne sont pas subventionnées par l’Etat. Donc, c’est une question de moyens qui se pose, d’abord.

Même si elles limitent les effectifs, parce qu’elles peuvent se permettre d’avoir des classes de 15 à 20 élèves, mais elles s’en sortent parce que derrière, il y a le Vatican qui appuie financièrement. Donc, elles ne comptent pas sur les scolarités pour survivre. Nous, l’Etat aurait dû nous accompagner, parce que nous payons des taxes, des impôts, des charges sociales comme l’eau, l’électricité, nous créons des emplois. Nous ne comptons que sur les scolarités que les élèves nous versent pour survivre. C’est ce qui n’est pas normal. Nous accompagnons l’Etat dans la formation des enfants et dans la création d’emploi ; il aurait dû nous appuyer comme le privé catholique est soutenu par le Vatican. Ce sont ces moyens dont elles disposent qui leur permettent de mieux sélectionner leurs élèves. Ce qui fait qu’on dise que les écoles privées catholiques sont plus sérieuses. Ce n’est pas toujours le cas. Nous aussi, nos écoles sont très sérieuses, nous faisons les mêmes résultats.

N’y a-t-il pas plus de sérieux dans les écoles privées catholiques que dans les institutions laïques sénégalaises ?

Je crois que c’est une question d’organisation simplement qui se pose. Les institutions privées catholiques sont soutenues par le Vatican qui est au-dessus de tout le monde. On leur donne de gros moyens. Nous, dans nos établissements, nous nous battons pour être au même niveau que ces institutions. Aujourd’hui, nous faisons les mêmes résultats que ces institutions privées catholiques. Mais, malheureusement, nous ne sommes pas accompagnés par l’Etat. Nous gérons nos établissements avec nos maigres moyens. Nous comptons sur les scolarités des élèves pour survivre.

La religion est sacrée, on ne peut pas la négocier. On ne peut pas négocier la foi. Le port du voile, c’est une exigence du Saint Coran. On ne peut pas être dans un pays musulman et demander à ce que nos filles ne soient pas voilées. Ça, c’est un paradoxe. C’est aux parents de prendre leurs responsabilités. Si maintenant ils veulent monnayer leur religion au profit de l’éducation de leurs filles, c’est à eux de faire le choix. En tout cas moi, ma religion, je ne la négocie pas. Le port du voile, c’est une exigence de la religion musulmane. Normalement, même dans le privé laïc, les filles devaient se voiler. Une musulmane doit se voiler, quel qu’il puisse être le règlement intérieur d’un établissement.

Comment comprenez-vous le mutisme de l’Etat qui ne s’est pas jusqu’ici prononcé publiquement sur le sujet ?

Je pense que dans cette affaire, l’Etat a fait preuve de faiblesse. La Constitution reconnait le principe de la laïcité et l’institution Sainte Jeanne d’Arc est sous tutelle du ministère de l’Education nationale, donc gérée par un ministre nommé par le président de la République. L’arbitrage du ministère est donc impératif. Il faut que la tutelle prenne ses responsabilités et règle cette question de façon définitive et non en cachette comme cela s’est passé. Parce que jusqu’à ce jour, on ne sait pas les termes de l’accord qui a été trouvé entre l’Etat et cette institution. C’est cela le fond du problème.

Justement, d’après un communiqué du ministère de tutelle, l’accord qui a été trouvé entre les deux parties consiste à laisser les filles voilées terminer l’année académique 2019-2020. N’est-ce pas là, selon vous, une manière de différer le débat à plus tard ?

C’est ça qui n’est pas sûr. Rien n’est clair dans ces discussions. Est-ce que c’est pour régler ça de façon partielle, c’est-à-dire qu’on laisse l’année terminer pour agiter la même question l’année prochaine ? C’est au ministère d’éclairer la lanterne des Sénégalais. Qu’est-ce qui se passe réellement ? Quels sont les points sur lesquels ils sont tombés d’accord ? Est-ce que l’affaire est réglée de manière définitive ou de manière partielle ? Ce sont là des questions qu’il faut régler et que les parents d’élèves et les élèves soient associés aux discussions. Parce que c’est une question sérieuse. Il faut qu’on sache où on va.

Ne faudrait-il pas, selon vous, régler de manière définitive ce problème pour épargner notre pays ce genre de débat qui glisse dans le champ de la religion ?

C’est une question qui est simple à régler. Il faut laisser à chacun le droit d’exercer librement sa propre religion comme il l’entend. Il ne faut pas qu’il y ait une influence quelconque sur la foi ou sur la conviction religieuse d’une telle ou d’une autre personne. Tant que cette question n’est pas encore réglée comme l’a déjà fait la Constitution, c’est toujours des problèmes. Un catholique, il faut le laisser exercer sa religion. Un musulman, il faut le laisser exercer sa religion. C’est tout.

Au-delà de ce débat, ne faudrait-il pas, selon vous, repenser le système éducatif sénégalais en valorisant mieux l’enseignement public ?

C’est une question de politique d’Etat. C’est l’Etat qui gère le public. Pour cela, il faudrait que l’Etat mette assez de moyens. L’argent qu’on utilise dans certaines institutions budgétivores qui ne servent absolument à rien du tout aurait pu servir au système éducatif ou à la santé. Par exemple, le Haut conseil des collectivités territoriales doit être supprimé. On n’a même pas besoin de remplacer son défunt président. Et le budget que cette institution engloutit chaque année, aurait pu servir à l’éducation, d’autant plus que les enseignants sont tout le temps en grève et qu’on n’arrive pas à régler leur problème. L’Etat doit pouvoir prendre ses responsabilités en investissant plus et mieux dans le système éducatif sénégalais et supprimer les institutions qui nous coûtent cher et qui ne rapportent rien aux Sénégalais.

Tant qu’on ne met pas les moyens qu’il faut dans le système éducatif sénégalais, les mêmes problèmes vont se poser. Vous avez vu ce qui se passe dans l’enseignement supérieur. L’Etat a décidé que les écoles privées de l’enseignement supérieur ne vont plus accueillir les nouveaux bacheliers. Mais est-ce que l’Etat a pris des mesures d’accompagnement dans ce sens ? Est-ce que tous les amphis qui étaient en construction sont prêts à accueillir tous les nouveaux bacheliers ? Il faut donc mettre les moyens là où il faut les mettre.

Parlons à présent des élections municipales qui sont reportées de nouveau pas l’Etat. Que pensez-vous de cette décision fustigée par une frange de l’opposition ?

Nous sortons d’élection présidentielle, il y a seulement quelques mois. Les élections coûtent excessivement à l’Etat. On ne peut pas se mettre là à battre campagne tout le temps. Il faut aussi que les gens se mettent au travail. Le pays doit évoluer outre mesure. Il nous faut nous donner un peu de temps pour se reposer. Le report des élections municipales n’est pas donc une mauvaise chose.

En tant que leader de l’Alliance pour le développement de Diourbel, comment comptez-vous engager ces élections ?

Naturellement, je suis candidat à la ville de Diourbel, aux prochaines élections municipales. Mon mouvement, c’est moi-même qui le finance. Je ne reçois aucun appui de la part de quelque politique que ce soit. Je suis membre de la coalition Idy2019. Si le président Idrissa Seck m’investit comme candidat, je suis preneur. A défaut, je vais chercher d’autres entités avec qui coaliser pour aller à la conquête de cette ville. Diourbel a besoin de mes compétences d’autant plus que je fus ancien consul du Sénégal en Arabie saoudite, j’ai des relations très soudées à l’extérieur qui pourraient nous apporter pas mal de choses pour la reconstitution de cette ville.

Diourbel, c’est mon terroir, mon père y a fait beaucoup de choses sur le plan religieux, en tant que représentant de Cheikh Ahmadou Bamba dans sa demeure à Diourbel. Aujourd’hui, je ne peux pas, en tant que son fils, laisser Diourbel dans la situation où elle se trouve depuis des lustres. Ce qui m’intéresse, c’est de relever le défi du développement de la ville de Diourbel qui est laissée en rade dans les politiques publiques. Le maire qui est là n’a fait aucun résultat palpable. Mes ambitions, c’est de faire en sorte que cette ville soit entre dans mes mains, que je sois le futur maire de Diourbel. J’ai un programme pour cette ville.

Comment appréciez-vous la situation du pays que beaucoup jugent catastrophique, après l’élection présidentielle de 2019 ?

Le pays est aujourd’hui en danger. Si l’Etat n’agit pas à temps pour éclairer certaines choses et redresser la situation, nous irons tout droit vers le mur. Les populations ont besoin d’être édifiées sur certaines questions, surtout en ce qui concerne les ressources naturelles comme le pétrole et le gaz. Ce sont des questions très sensibles parce que ce sont des ressources qui n’appartiennent pas à l’Etat, mais à tout le peuple sénégalais. Il y a beaucoup de contestations autour de ces questions. Aar Li Nu Bokk organise d’ailleurs des manifestations tous les vendredis pour exiger plus de transparence dans la gestion de ces ressources. L’Etat est en train de négliger cette question, mais ça peut dégénérer à tout moment et faire tache d’huile au niveau international. Ça peut jouer sur notre réputation, parce que les bailleurs aussi ont besoin d’investir dans des pays stables. Si l’Etat n’y prend pas garde, ça peut freiner l’élan des investisseurs. Il faut intégrer cette question dans le cadre du dialogue national.    

En tant qu’ancien diplomate, quelle appréciation faites-vous de la politique extérieure du gouvernement ?

Notre politique extérieure doit être repensée. Il ne s’agit pas de nommer des diplomates seulement pour leur donner des privilèges dans leurs pays d’accueil. Il faut mettre en exergue la diplomatie économique. Un consul ou un ambassadeur qui est nommé doit faire en sorte que le partenariat soit bien développé. C’est cela qu’on attend d’un diplomate. Certains consulats, il faut le dire, ne servent à rien du tout. Ce sont des consulats budgétivores qui ne servent à rien du tout aux Sénégalais. Ces consulats, pour moi, méritent d’être fermés. Il ne sert à rien de créer des consulats pour donner simplement des privilèges à une clientèle politique.

PAR ASSANE MBAYE

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