Publié le 19 Oct 2019 - 03:15
CHEIKH OUMAR BAMBA DIOP - CHERCHEUR

‘’Qui ne célèbre pas le Magal…’’

 

Le Magal de Touba commémore le départ en exil de Serigne Touba Cheikh Ahmadou Bamba au Gabon. Le chercheur Cheikh Oumar Bamba Diop explique, dans cet entretien, les origines, le sens et les objectifs de cette commémoration.

 

Parlez-nous des origines du Magal de Touba…

Le Magal de Touba est un évènement qui commémore le départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba Khadim Rassoul au Gabon. De ce périple, le Cheikh a obtenu du Prophète Mouhamed (Psl) et de Dieu des biens incommensurables, dans ce monde et dans l’au-delà. Alors, pour magnifier tous les bienfaits que le Seigneur lui a attribués, pour remercier le Tout-Puissant, il a pensé que sa seule personne ne suffisait pas pour manifester à son bienfaiteur toute la gratitude qu’il ressentait. Alors, il a appelé tous ceux dont sa joie est la leur, de se joindre à lui pour rendre grâce à Dieu. C’est cela qui est à l’origine du Magal qui a été organisé pour la première fois quand il était en résidence surveillée à Diourbel.

Depuis lors, les mourides se sont relayés les uns après les autres. Ils ne cessent aussi de rivaliser d’ardeur pour magnifier ce grand jour de gratitude et de reconnaissance envers le Seigneur. C’est après l’avènement du deuxième khalife, Serigne Fallou, que le Magal a obtenu ce tampon, ce caractère populaire. Parce qu’auparavant, chacun le célébrait chez lui et à sa manière. Pour en faire un symposium national, Serigne Fallou a appelé tous les disciples pour qu’ils se retrouvent à Touba et célébrer ce grand jour ensemble.

Qu’est-ce qu’il représente pour les mourides ?

En célébrant le Magal, ils exécutent un ‘’ndigueul’’ du Cheikh qui, un jour à Diourbel, a regroupé les disciples et leur a demandé de commémorer le 18 Safar (mois musulman). Comme il l’a écrit dans l’un de ses ‘’Khassida’’ : ‘’Je suis sorti de ma demeure le 18 Safar, je me suis lancé dans le chantier de l’Elu…’’ Alors, comme je l’ai dit tantôt, c’était tout simplement pour rendre grâce à Allah (Swt). Il a voulu amplifier son action de grâce. Il a alors demandé à tous ceux qui se réclamaient ‘’mourides’’ de venir se joindre à lui pour célébrer ce jour. Il avait cité, dans un ‘’Sifakhitoul mourides’’, les conditions pour être mouride : ‘’Le fait d’exécuter les ordres du Cheikh’’ en est une. Donc, c’est un ordre de Serigne Touba que tout mouride se doit d’exécuter pour rester dans le cercle. Qui ne le fait pas, alors qu’il n’a aucune contrainte, est inéluctablement sorti du mouridisme. Donc, c’est un ordre du fondateur du mouridisme qu’il faut tout simplement exécuter.

Quels sont les objectifs visés à travers le Magal de Touba ?

Il est unique. C’est de rendre grâce à Dieu et à l’Elu, dans le mois de Safar. Mais aussi, il sera question de le faire de la plus belle des manières. Dans le Coran, Dieu dit : ‘’Faites comme ceux qui étaient avec David.’’ Donc, ce n’est plus des paroles, mais cela doit être des actes. Alors là, le Cheikh nous a appris à célébrer ce jour par les actes de dévotion canoniques et surérogatoires. Aussi, de donner à manger à tout le monde sans distinction, comme le Coran a eu à le dire. Il s’agit de ceux qui donnent à manger aux prisonniers, voyageurs et orphelins, et le font pour Allah. Donc, pour le Cheikh, dans tout ce qu’il fait, il essaye de nous mettre en phase avec le Coran et la Sunnah. Il nous a appris qu’après les actes de dévotion, il faut passer à la restauration sans distinction. Qu’on fasse de bons plats. Il conseille de préparer des plats suivant les moyens des uns et des autres. Cela va de plats à base de viande de chameau, de bœuf, de mouton, de chèvre, aux poules. Le miracle qui se produit, est que si on fait l’addition du nombre de pattes des bêtes dont il parle (dromadaire, bœuf, chèvre, mouton, poule) cela fait 18.  Cela se rapporte au 18 Safar.

Vous savez, chez Serigne Touba, il n’y a rien de fortuit.

Quel est le sens du ‘’berndé’, le jour de la célébration du Magal de Touba ?

Le ‘’berndé’’ est un acte de dévotion, car c’est le fait de donner à manger aux musulmans sans distinction, gratuitement et au nom de Dieu. C’est une action qu’on voit toujours quand l’islam ou une société est en fête. Par exemple, le premier jour du hajj, le Prophète Mouhamed (Psl) disait : ‘’Saluez tout le monde. Eparpillez les salutations et donnez à manger.’’ Le fait de donner à manger est un acte très important de la célébration.  C’est la raison pour laquelle Serigne Touba, quand, pour la première fois, Serigne Mawlaye Bousso lui a offert une chèvre, il lui a dit d’aller l’échanger contre un mouton. A son tour, il est allé voir les Sérères qui faisaient office de marchands de bétail ; ils se sont précipités sur la chèvre, parce qu’elle était d’une race très fertile. Ils lui ont donné un mouton. C’est ce dernier que Serigne Mawlaye Bousso a égorgé et préparé. Par cet acte, il faut comprendre que le Cheikh voulait montrer que le ‘’berndé’’ ne peut être fait sans égorger une bête.

Cependant, cela concerne le ‘’halal’’ qu’on prépare pour, par la suite, les distribuer sans distinction de religion ou de race. Le Coran magnifie cette action.  Le ‘’berndé’’ aussi, dans le soufisme, a une place très importante, parce qu’il y a Mame Cheikh Ibrahima Fall qui disait : ‘’Dans la marche de l’adoration d’Allah, si quelqu’un est en retard à la gnose, il ne peut se rattraper que par le fait de donner à manger aux gens.’’ Il incombe maintenant à chaque pôle de montrer aux gens le chemin le plus court pour accéder à l’agrément de Dieu. C’est ainsi qu’on a assisté à la revivification du ‘’berndé’’ par Serigne Saliou Mbacké. Avant lui, les plus démunis ne connaissaient pas certaines boissons sucrées. Après le Magal, c’est les plats de couscous et de macaroni qui ornaient les rues de la ville sainte. Il a décomplexé les habitudes culinaires. Le niveau le plus élevé du ‘’berndé’’ a été atteint sous son magistère. Maintenant, il n’y a plus de couscous, encore moins les plats traditionnels. A la place, il y a les méchouis, les traiteurs, entre autres. Tout ceci découle de cette manière que Serigne Saliou voyait le ‘’berndé’’.

Justement, le jour du Magal, quel doit être le comportement d’un mouride, ainsi que les prières et actes de dévotion conseillés ?

Il doit avoir un comportement jovial. Il doit faire montre de serviabilité et de compréhension envers tous ses frères musulmans. Même les non musulmans qui viennent célébrer avec lui ce grand jour. Pour les prières et les actes de dévotion, il y en a pas qui sont pratiquement conçues pour ce jour. Mais il s’agit juste de rester dans les limites de la charia et de la khakhikha. Naturellement, tout ce qui était prohibé jusqu’à ce jour par l’islam l’est autant pendant cette célébration.

Alors, dites-nous, est-ce que le legs de Serigne Touba concernant le Magal est toujours respecté par ses fils et petits-fils ?

Non seulement c’est respecté par ses fils et petits-fils, mais c’est très amélioré. Dans toutes les facettes, chaque petit-fils du Cheikh, d’est lui-même donné comme sacerdoce de garder l’orthodoxie de ce jour, mais aussi de le promouvoir. Le Magal de Touba, comme le disait Cheikh Abdoulaye Thiaw, khalife général des layènes, c’est comme les habits d’un enfant : chaque année, il va falloir les changer, les agrandir, parce que celui qui les portait est devenu plus grand. Le Magal de Touba, chaque année, reçoit plus d’affluence, d’intérêt du monde. Tout ceci grâce à la bienveillance, aux efforts des fils et petits-fils de Serigne Touba, des cheikhs mourides qui prennent ce jour comme celui le plus important après les jours de fête que l’islam nous avait indiqués.

PAR CHEIKH THIAM

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