Publié le 4 Sep 2020 - 02:50
CHERIF SALIF SY, ECONOMISTE

‘’Le décollage du continent est bloqué depuis longtemps’’

 

Depuis le début du mois d’août, le climat de la sous-région est marqué par des crises socio-politiques au Mali, en Guinée et en Côte d’Ivoire. Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, l’économiste Chérif Salif Sy analyse l’impact de ces mouvements politiques sur l’économie sous-régionale, la position de la CEDEAO, mais aussi les politiques à adapter pour le développement du continent et particulièrement de la sous-région.

 

La sous-région est secouée, depuis quelque temps, par des crises au Mali, en Côte d’Ivoire et en Guinée. Quels impacts ces mouvements peuvent avoir sur l’économie sous-régionale ?

Ce qui se passe au Mali, en Côte d’Ivoire et également en Guinée, avec le président Alpha Condé qui veut se présenter pour un 3e mandat, cela n’annonce rien de bon pour la sous-région. Aujourd’hui, que ce soit les gouvernements, que ce soit les parties politiques ou l'Etat, toutes ces identités semblent agir sur une dimension qui les dépasse, je veux dire déjà que contrôler la fougue populaire devient une question difficile. Partout, on a des soucis de sécurité à régler. Les dérapages sont en Guinée, les dérapages en Côte d'Ivoire. Et ce n'est pas du tout rassurant et cela peut porter des coups à l'économie.

Déjà, tous ces pays, y compris le Sénégal, sont des pays qui dépendent fortement de l'approvisionnement venant de l'extérieur.

Avec la Covid-19, nous voyons, depuis 5 mois, que les économies sont durement frappées, pour ce qui concerne les importations, les exportations, etc. Même des investisseurs étrangers ont gelé les actions, etc. Tout cela ce n'est pas bien pour les économies.

Maintenant, pour le pays voisin, cela peut être comme le Sénégal, vu ses relations avec celles du Mali, je crois qu’il faut réfléchir. Moi, je suis foncièrement contre les coups d'Etat. Je ne pense pas et je ne crois pas, que ce sont les coups d'Etat qui vont régler les problèmes. Mais c’est des pays quand même fragiles. Autant je suis contre les coups d'Etat, autant j'ai toujours été contre les embargos. Que ce soit en Afrique ou ailleurs, les embargos, c’est toujours les peuples qui les subissent et surtout les plus démunis. Mais au Sénégal, je crois qu’on devrait tenir compte de facteurs importants : le Mali est un pays voisin, fragile. Il faut le reconnaitre, économiquement faible. C’est important. Il a beaucoup de problèmes ; le risque de terrorisme. Le pays est agressé de toute part. Mais, en plus de cela, le Mali et le Sénégal, c’est 23 % des exportations du Sénégal. C’est-à-dire qu’en matière d'exportation, le Mali est le premier partenaire du Sénégal ; la Côte d'Ivoire vient en 5e position ; la France en 10e position. Je crois que ce sont des choses dont il faut tenir compte, s'agissant d'un pays voisin et d'un pays frère. J’espère que les esprits vont se calmer. Qu'on va rapidement trouver une solution, pour que les conséquences de toutes ces agitations ne fragilisent pas trop les économies de la région.

Donc, on doit comprendre que, forcément, les économies des pays voisins seront touchées par ces agitations ?

Ah bien sûr ! Parce que ce sont des pays qui échangent beaucoup. Les pays voisins seront touchés. Si le Sénégal ne peut plus exporter au Mali dans de bonnes conditions et si le Mali ne peut plus utiliser comme il le faudrait, étant un pays très enclavé, le port de Dakar, mais c'est la catastrophe pour les populations les plus pauvres. Il faut regarder cela de près. Régler la question politique entre les parties prenantes oui, mais penser à l'impact économique et social.

Quels peuvent être les conséquences de telles agitations politiques sur les projets sous-régionaux ou continentaux, comme celui de la monnaie commune de la CEDEAO, la Zlecaf ?

Non. Je ne crois pas que la crise en Côte d'Ivoire, au Mali va avoir un incident sur le projet de monnaie. Avec la Covid, il y a beaucoup de choses qu'il fallait accélérer et cela n'a pas été fait. Aucune monnaie n'est lancée. Même cette réforme du franc CFA, on ne l’a pas mise en œuvre à cause de la période difficile dans laquelle les pays s'y trouvent. Tout cela va différer les choses. On va les remettre peut-être à plus tard. Mais, fondamentalement, je ne crois pas qu'il y ait un incident sur la monnaie ouest-africaine. Je ne le crois pas.

Mais cela peut remettre en cause l’intégration économique de la sous-région et du continent ?

Nous sommes déjà très impactés par la Covid. En matière d’intégration régionale, si les pays limitrophes ne peuvent plus commercer dans de bonnes conditions, c’est un frein à l’intégration régionale et même continentale. Parce que c'est l'ensemble des pays du monde qui sont touchés y compris ceux du continent. Il va falloir maintenant regarder la mise en œuvre de certains projets, le lancement véritablement de la Zone de libre-échange continentale (Zlec). Cela ne sera peut-être pas sur le plan de l'intégration économique. Cela va retarder les politiques.

Vous l’avez dit, vous êtes contre les embargos. Est-ce que cela veut dire que vous êtes contre la position de la CEDEAO qui avait ordonné à ses membres de fermer leurs frontières au Mali, après la destitution d’IBK ?

Sur cet aspect, oui. Je ne suis pas pour les embargos qui pénalisent les populations. Mais, sur ce chapitre avec la CEDEAO, il y a beaucoup de choses à voir. C’est aux parties prenantes de réfléchir. Cela me parait insoutenable qu’à chaque fois, qu’on ait une remise en cause de la Constitution mise en place. C’est un problème et il faut qu’on y réfléchisse. Jusqu’à quand va-t-on continuer à remettre en cause les constitutions de cette façon ? C’est une affaire extrêmement grave. Si on considère la démission, l’article 36 de la Constitution malienne est claire.

Elle dit clairement : ‘’En cas de vacance de la présidence de la République pour quelle que cause que ce soit, ou d’empêchement absolu constaté par la Cour constitutionnelle saisie par le président de l’Assemblée nationale, les fonctions de président de la République sont exercées par le président de l’Assemblée nationale. Il est procédé ensuite à l’élection d’un nouveau président.’’ Mais tout cela tombe à l’eau avec la situation chaotique dans laquelle se trouve le pays. Nous avions tous une certaine inquiétude, quand on a entendu dire que les militaires avaient dit qu’ils allaient faire 3 ans de transition.

Cela aussi est problématique. On ne peut pas s’être engagé pour un gouvernement civil le plus rapidement possible et annoncer 3 ans pour le faire. Les Maliens ont intérêts, compte tenu de toutes les menaces provenant des frontières Nord, Sud, Est, Ouest, par différents types de mouvements intégristes, djihadistes. Ils ont intérêt à se concentrer sur les menaces externes. Pour cela, il faut stabiliser le plus rapidement possible les contradictions internes. Il y a aussi quelque chose de très gênant. Je ne comprends pas que certains pays soient relativement conciliants à l’égard de la junte militaire au Mali et pour un cas similaire comme celui de Yahya Jammeh ou ailleurs, qu’ils soient extrêmement fermes. Cela aussi est une question à discuter. Fondamentalement, il faut que dans notre région, qu’on mette de l’ordre. Il faut une cohésion d’ensemble de ce que nous faisons.

Selon vous, quelle est la position la plus prudente que la CEDEAO devait adopter face cette situation ? 

Mais la position de principe. Je suis pour qu’on demande un rétablissement. Et cela c’est l’Union africaine qui doit le faire. Et qu’il n’y ait plus de coup d’Etat. Il faut rétablir l’ordre constitutionnel. Le président malien a dit qu’il a démissionné. Et là, ils ont raison de négocier avec ceux qui ont le pouvoir en main, pour ne pas avoir une transition très longue. Parce que le peuple risque, encore une fois, d’être frustré, lorsqu’il verra que de plus en plus, les militaires vont s’installer pour la longue durée. La CEDEAO est aujourd’hui sur une position de négociation. Elle a levé le pied sur la question de l’embargo. Ce qui est une bonne chose. L’embargo, c’est inadmissible.

Mais est-ce que ces perpétuelles crises politiques à travers le continent n’empêchent pas son décollage économique, malgré sa richesse en ressources naturelles ?

Le décollage du continent est bloqué depuis longtemps. Il est bloqué par plusieurs facteurs que nous connaissons. Ce sont des crises qui se répètent. On tourne en rond en réalité, avec des histoires de coup d’Etat, de démission, de prise de pouvoir par les armées ou certaines forces. C’est vraiment le grand problème. Je ne sais pas comment est-ce qu’on va pouvoir stabiliser toutes les contradictions et amorcer réellement le décollage économique du continent, au moins de l’Afrique de l’Ouest. La richesse naturelle n’empêche pas d’être sous-développé, d’être dépendant d’entités économiques mieux organisées, étant plus puissantes. D’autant plus que les ressources du sous-sol, ce sont simplement des ressources potentielles. Ce n’est pas encore une ressource qu’on a entre les mains. Cela fait partie aussi de la lutte. Les ressources naturelles ne développent pas tant que cela reste dans le sous-sol ou entre les mains des grandes puissances. Il faut vraiment des politiques de souveraineté clairement affichées qui impliquent toute la population. Mais qui ne mettent pas aussi en péril de façon très brutale les relations avec l’extérieur. Il faut avoir ce souci de stabiliser les relations avec l’extérieur tout en étant ferme sur la question de souveraineté. C’est-à-dire le contrôle réel de toutes ressources naturelles.

Mais est-ce que l’Afrique peut y arriver maintenant ?  

Tout est possible. Dans d’autres régions du monde, on a vécu des crises aussi graves que celles que nous avions, souvent plus. Des guérillas extrêmement longues, on a en connu et d’autres régions du monde aussi et ont travaillé pour s’en sortir. Les Africains aussi depuis une vingtaine, s’organisent quand même avec de bonnes politiques, déjà au niveau des textes qui doivent encadrer l’exploitation des ressources naturelles. Mais malheureusement, tout cet élan est brisé par la Covid qui nous met dans des situations extrêmement difficiles. Les économies chutent de partout à travers le monde, et extrêmement graves dans les pays industrialisés. Nous aussi, on risque d’être installés dans une crise qui va durer 5, 6, 7, 8, 9 ou 10 ans. On ne sait pas vraiment quand est-ce qu’on va se rétablir. D’où la nécessité de revenir à la paix, dans les différents Etats-nations. On ne peut pas continuer comme cela.

Et à propos même de cette crise sanitaire, aujourd’hui, quelles sont les leçons à tirer de la Covid pour les économies africaines ?

C’est restructurer leurs économies, se réorganiser fondamentalement, donner la priorité au développement national, ne plus trop compter sur les chaines de valeur ou de production mondiale. Parce que l’effet des chaines de valeur ou de productions mondiales, c’est clair que cela a beaucoup pesé dans cette crise, quand on fait faire tout à l’extérieur, on fait venir tout de l’extérieur. Les avions ne volent quasiment plus depuis presque 5 mois, les bateaux pareils. Il faut se recentrer sur le territoire national, réapprécier ses véritables forces. Il faut construire un développement endogène.

Est-ce que vous êtes d’avis que les pays africains doivent profiter de cette crise sanitaire pour repenser la structure de leurs économies ?

Au-delà de la structure, il faut penser à la question de la prévention du système sanitaire par une réflexion stratégique et mettre à l’œuvre certains think-tank capables de le faire et avoir des industries de fabrication de médicaments, pousser le développement de la recherche fondamentale sur tout ce qui nous entoure, les ressources de l’environnement.

Au plan économique, restructurer oui, mais intégrer davantage les parties prenantes. L’Etat doit être beaucoup plus ouvert, qu’il tient compte du secteur privé national pour discuter ensemble, voir ce que veut dire des secteurs stratégiques sur lesquels il faut mettre l’accent, comment tenir compte de l’informel et de l’artisanat. Tout cela est une restructuration fondamentale à laquelle nous interpelle la Covid-19.

MARIAMA DIEME

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