Publié le 13 Feb 2021 - 07:55
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

L’option de la fermeté

 

Depuis hier dans la matinée, Ousmane Sonko est, de fait, en résidence surveillée, même si aucune signification officielle de ce nouveau statut ne lui a été officiellement adressée. Mais littéralement interdit de visite, le leader du Pastef est, désormais, dans un contexte assimilable à celui d’une liberté restreinte.  Les prochaines heures viendront confirmer ou infirmer cette allégation, notamment si la restriction s’étend ou non à sa propre liberté de mouvement.

Parallèlement, douze personnes parmi celles interpellées lors des manifestations insurrectionnelles du mardi 9 janvier 2020, ont été déférées au parquet pour ‘’association de malfaiteurs, manifestations sur la voie publique sans autorisation, incendie volontaire, violation du couvre-feu, trouble à l’ordre public’’. Rien que ça…

L’option du pouvoir semble donc désormais être à la fermeté. Et ce, d’autant plus que, désireux de montrer que c’est la justice qui est à la manœuvre et rien qu’elle, le parquet a demandé au juge du 8e cabinet l’ouverture d’une information judiciaire visant X pour viols, menaces de mort et diffusion d’images contraires aux bonnes mœurs.

Au magistrat instructeur d’identifier la personne sous X et de poursuivre la procédure. Celle-ci, on l’a dit, est déclinable en deux hypothèses : la première, où Sonko est entendu comme témoin ; la deuxième, où il est directement inculpé sur la base des éléments de preuves que le juge détient et qui vont dans le sens de son incrimination. Dans les deux hypothèses, le mandat de dépôt n’est pas automatique ; il relève de la seule discrétion du juge.

Et c’est précisément à ce niveau que les choses peuvent complètement basculer pour le leader de l’opposition sénégalaise : dans l’hypothèse, fort probable, où le juge délivre un mandat de dépôt, la durée des investigations est illimitée. Car nous sommes ici en matière criminelle.

En effet, depuis la loi 2020-05 du 10 janvier 2020, le viol n’est plus qu’un délit : il est considéré comme un crime. Les délais des investigations qui s’y rapportent sont sans limite, contrairement aux situations délictuelles où le juge est tenu par un délai de 6 mois au maximum, pour le terme de ses investigations.

Sonko pourrait ainsi croupir en prison, en attendant que la justice brandisse sa vérité et son verdict. Ce que le pouvoir a voulu faire cavalièrement, en début de semaine, en prenant le risque d’être diabolisé par le peu de cas qu’il faisait des procédures en la matière, notamment celle relative au statut du député qu’est Ousmane Sonko, le judiciaire possède les atouts de l’accomplir dans le respect des formes, des étapes, des textes, autrement dit, en toute légalité. Mais avec la même perversité.

L’objectif est clair : retirer à la rue de Sonko l’argument trop facile d’un pouvoir en quête de neutralisation d’un adversaire trop encombrant ; la placer face à la seule alternative qui soit quand, face au radicalisme jusqu’au-boutiste des peuples, le bon sens est encore un recours : respecter la loi ou s’en soustraire. Défier les règles ou s’y conformer. Bref, amputer Ousmane Sonko de son tropisme victimaire pour le placer face au choix de la légalité ou de sa négation. Tant il est clair que le champ lexical du chef du Pastef où entrent martyr, supplice et acharnement est de ceux que tout pouvoir redoute. Il a un pouvoir de manipulation terrible et donc une force de nuisance sans équivalent, en termes de stratégie politique.

Privé de cette arme, Ousmane Sonko n’aura plus grand-chose ; et ce ne sont ni les cris d’orfraie poussés par maintes associations ou mouvements dénonçant la ‘’dictature de Macky Sall’’ qui changeront la nature désormais domptée d’une idéologie délibérément populiste, qui aura été habilement dissoute dans le fleuve tranquille des institutions ‘’démocratiques’’…

En déférant les premiers agitateurs de ‘’la parenthèse de feu’’ du 9 janvier, le procureur a donné le ton de ce qui risque d’être la suite : la prééminence du droit, en dépit de ce qu’il peut receler  de dureté, voire d’excessif ; la fin de l’expression de la rue et des peurs qu’elle fait naitre ; le retour de la seule force qui compte dans une démocratie, y compris dans celles qui n’en portent plus que le nom : celle de la loi.

Mais la rue est imprévisible ; elle porte, dit-on, les colères désespérées des peuples qui, depuis le commencement de l’Histoire, y ont laissé leurs espérances…

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