Publié le 8 Nov 2013 - 12:02
CLASH ENTRE MACKY ET ABC

Quand la politique se mue en tueuse d'amitiés

 

 

La rupture entre les deux têtes de l'Alliance pour la République est l'aboutissement d'une crise de confiance entre deux hommes aux profils pourtant complémentaires.

 

''Entre hommes politiques de partis différents, l’amitié est possible. (Mais) entre hommes d’un même parti, la jalousie est généralement trop intense pour permettre l’amitié.'' Cette citation du psychologue français Gustave Le Bon s’applique bien aux relations entre Macky Sall et Alioune Badara Cissé dont le différend a atteint un point de non retour, avec l’exclusion de ce dernier du directoire et du secrétariat permanent de l’Alliance pour la République (APR).

Accusé d’avoir «posé une série d’actes inacceptables» vis-à-vis du parti, ABC a été rétrogradé au rang de simple militant. Une décision qui met fin à une longue idylle entre deux ex-amis que beaucoup de choses liaient. Ils avaient presque un destin commun, ces deux-là ! Anciens militants du Parti démocratique sénégalais (PDS), ils ont construit leur proximité du temps où Macky Sall était Premier ministre (2004-2007). Dans ce contexte d'alors marqué par une lutte à mort entre Idrissa Seck et Abdoulaye Wade, Alioune Badara Cissé, naguère connu pour ses rapports difficiles avec le maire de Thiès, est nommé secrétaire général du gouvernement. Une position et un poste qu'il doit à son ami Premier ministre.

"Géniteur de l'Apr"

Mais cette proximité est perçue d’un mauvais œil par  les ‘’faucons’’ wadistes du Palais qui ‘’voulaient la tête’’ de Sall, sous la pression des événements et alors qu'il venait de contribuer, comme directeur de campagne, à la victoire de Me Wade à la présidentielle 2007. Il quittera la Primature pour l’Assemblée nationale, alors que ABC, estampillé ‘’pro Macky’’ sera sèchement limogé, ce qui lui ouvre les portes d'une traversée du désert.

«Lorsqu’il a quitté le gouvernement, Alioune Badara Cissé s’est replié à Saint-Louis pour y ouvrir son cabinet d’avocat. Il a poursuivi son travail tout en restant fidèle à Macky Sall», confie Arona Ndiaye, un de ses amis. Plus qu’un ami, ABC fut le «protecteur» de Macky, au plus fort de la crise qui l’opposa à Me Wade. En 2008, à la faveur de la loi Sada Ndiaye qui ramena le mandat du président de l’Assemblée de 5 à 1 an, Macky Sall est poussé à la sortie. «Atteint dans son orgueil», il démissionne de l’Assemblée nationale et quitte le Pds pour se prendre en charge. Avec ses amis, il prend ‘’son destin en main’’ et lance, en 2009, l’Alliance pour la République. Un parti dont ABC dit d’ailleurs être le ‘’géniteur’’.

"Numéro 2"

Les relations entre les deux hommes sont alors si poussées que Sall en fait le numéro 2 du nouveau parti. «Macky lui avait donné les pleins pouvoirs. Il ne prenait aucune décision sans s’en ouvrir à lui. A chaque fois que quelqu’un avait une initiative, Macky le renvoyait vers Alioune», témoigne Arona Ndiaye.

Et c'est peut-être cet excès de pouvoirs délégués par le numéro 1 qui est à l'origine de tout leur contentieux, et des frustrations futures du numéro 2. D'où les bisbilles notées çà et là au sein de l’Apr. ABC frustra tout autant des alliés de son chef. Cette scène cocasse racontée par une responsable de l'Alliance pour la République à EnQuête l’illustre. «Lors d’une réunion, Alioune Badara Cissé a refusé de siéger en compagnie de Mahmouth Saleh qui n’avait pas encore quitté le Nouveau parti (NP) pour l’Apr. Mais comme il était déjà un proche de Macky, il assistait à notre réunion», dit-elle. Puis elle poursuit : «Avant le démarrage de la réunion, ABC a pris la parole pour dire devant Macky : je ne participe pas à une réunion avec quelqu’un qui n’est pas de notre parti. Soit il quitte, soit c’est moi qui quitte.» Finalement, Me Cissé a eu le dernier mot.

"Insubordination"

En fait, explique notre source, le trotskiste Saleh n’inspirait aucune confiance à ABC. «Il le considérait comme la taupe de Wade», confie-t-elle, à une époque où la rumeur laissait croire que l’opposition était infiltrée. Depuis lors, lui et Saleh sont comme chien et chat. A présent, le directeur de cabinet politique de Macky Sall a-t-il pris sa revanche sur son contempteur ? En tout cas, son «meilleur ennemi» dans le parti a perdu la confiance du président de la République au bout de quelques mois d’exercice du pouvoir. Nommé à la tête des Affaires étrangères, ABC est accusé d'«insubordination» à l’endroit du «patron», avec de nombreux voyages à l'étranger «sans l'aval» de Sall. Ce n'était en réalité que l'entame d'une rébellion qui dura plusieurs mois... Et qui a fini par tuer une jeune amitié.

DAOUDA GBAYA

 

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