Publié le 10 Feb 2020 - 19:26
CLINIQUE DU CAP

Retour sur un scandale juridico-médical

 

L’affaire des faux diplômes supposés du docteur El Hadi Diab Hachem, officiant à la célèbre Clinique du Cap, refait surface. A cause du malaise profond instauré depuis l’éclatement de cette affaire, la clinique risque d’être vendue aux enchères.

 

Malgré un semblant de calme, la Clinique du Cap traverse des moments difficiles. Entre les associés, plus rien ne va. A en croire certaines sources, la clinique serait même en procédure de liquidation. Le processus de vente aux enchères serait déjà en cours, au grand dam de certains fidèles patients.

A l’origine, un grave et long conflit entre les actionnaires. Joint au téléphone par ‘’EnQuête’’, l’établissement n’a pas réagi à notre sollicitation, malgré ses promesses. Cette vente aux enchères, si elle se concrétise, serait l’épilogue d’un long feuilleton qui avait éclaté lors du procès de Karim Wade et Bibo Bourgi, dans le cadre de la traque aux biens mal acquis. Mais plus qu’un simple litige entre associés, le dossier soulève également un problème sérieux d’éthique médicale, de faux diplômes de spécialiste et de santé publique.

Accusé de se prévaloir de faux diplômes d’urgentiste anesthésiste, Dr El Hadi Diab Hachem, officiant à la Clinique du Cap, avait porté plainte contre son coassocié, Dr Youssou Diallo, pour diffamation, dénonciation calomnieuse et usurpation de fonction.

En fin d’année 2019, au terme d’une longue procédure, le tribunal (troisième chambre correctionnelle) condamnait ainsi Dr Diallo, qui avait soulevé le lièvre, pour dénonciation calomnieuse, le déclarant par ailleurs non coupable des délits de diffamation et d’usurpation de fonction.

De ce fait, le gynécologue obstétricien est condamné à payer la rondelette somme de 30 millions de francs CFA à Dr Hachem. Ravivant ainsi cette affaire, maintenant vieille de 5 ans environ. Une décision incomprise pour certains professionnels de la médecine. Ces derniers brandissent les décisions et avis rendus dans le même dossier, par l’Ordre national des médecins du Sénégal et le ministère de la Santé et de l’Action sociale. Toutes les deux structures ont eu à prendre des décisions allant dans le sens de conforter le doute autour du statut de spécialiste du mis en cause. A les en croire, la justice ne saurait faire fi de ces mesures édictées par les plus hautes autorités de la médecine dans le pays et validées par la Cour suprême.

L’histoire remonte à 2015, au cœur du procès de Karim Wade et de Bibo Bourgi. Ayant des doutes sur l’état clinique réel d’Ibrahim Khalil dit ‘’Bibo’’ Bourgi, les avocats de l’Etat du Sénégal commencent à mener des investigations. C’est ainsi que Maitre Yérim Thiam a pu déceler quelques anomalies dans la qualification même de Dr Hachem, son médecin traitant. Saisi, Dr Youssou Diallo, un des actionnaires de la Clinique du Cap avec Dr Hachem et son frère, s’en mêle et décide de saisir l’Ordre national des médecins du Sénégal pour information, dans une lettre en date du 18/06/2015.

Dans sa réponse, le président du Conseil de l’ordre informait qu’à l’issue de toutes les investigations qui ont été faites, il ressort que : la photocopie certifiée conforme du CES d’anesthésie-réanimation en date du 25 janvier 1994 n’a pas été authentifiée. ‘’Aucun diplôme d’anesthésie-réanimation n’a été produit, ni par la faculté de Médecine d’Abidjan ni par l’intéressé’’. L’ordre ne s’en n’est pas limité au constat. Dans une lettre adressée au ministre de la Santé et de l’Action sociale, le 29/01/2016, son président disait : ‘’Vu que les documents produits par le Dr El Hadi Hachem Diab ne permettent pas de lui reconnaitre les qualifications dont il se prévaut, il y a lieu de suspendre son autorisation d’exercer en qualité de spécialiste en anesthésiste-réanimation.’’

Cette requête n’était pas restée infructueuse. Par l’arrêté n°00086 du 5 janvier 2018, le ministre suspend, pour une durée d’un an, l’autorisation de Hachem d’exercer en tant qu’anesthésiste-réanimateur. Il faut souligner que cette décision reposait essentiellement sur le doute autour des diplômes de l’accusé et sur les constats faits par l’Ordre des médecins. Docteur Hachem porte alors l’affaire devant la chambre administrative de la Cour suprême, qui rend une décision de rejet. ‘’Il ressort de l’examen des pièces du dossier que l’arrêté attaqué est fondé sur l’existence, en l’état, d’un doute sur la spécialité anesthésie-réanimation dont se prévaut le requérant’’, souligne la haute juridiction.

Ce fut l’épilogue d’une longue procédure administrative où la Cour suprême s’est prononcée deux fois. Dans un premier temps, le 23 mars 2017, elle avait statué en faveur de ‘’l’urgentiste’’, en annulant l’arrêté n°01264 du 4 février 2016.

Docteur Hachem est-il toujours suspendu ? A-t-il cessé d’exercer en tant que médecin urgentiste ? Les questions foisonnent. Pour plus d’éclairage, nous avons essayé de joindre le ministère de la Santé et de l’Action sociale. Mais la directrice de la Santé n’a pas souhaité répondre à notre question.

C’est donc curieux que Dr Hachem, qui a perdu le volet administratif dans cette bataille contre Youssou Diallo, ait pu parvenir à renverser la tendance dans le volet pénal du dossier.

Mais, pour le moment, la question qui taraude plus d’un, c’est de savoir qu’est-ce qui explique le silence de l’Ordre des médecins sur cette affaire aux allures de scandale de santé publique ? Pourquoi le médecin Hachem continue toujours d’exercer, malgré les doutes qui planent sur son statut ?

L’enquête du ministère

Interpellé sur la question, Dr Joseph Mendy, Vice-Président de l’ordre, explique : ‘’En fait, il faut savoir que c’est le conseil disciplinaire qui est habilité à prendre certaines mesures. Dans cette affaire, le conseil n’avait pas siégé, dans la mesure où les éléments en notre possession ne nous permettaient pas de dire si, effectivement, le mis en cause s’était prévalu de faux diplômes. Il y avait juste des doutes, car les attestations portaient des dates différentes et n’ont pas été authentifiées. C’est pourquoi l’ordre avait saisi le ministère pour mener l’enquête.’’

Selon nos informations, cette enquête a bel et bien été menée par les services d’Abdoulaye Diouf Sarr. D’après leur rapport, ce dossier comporte trois volets : un volet judiciaire, un volet civil et commercial et un volet administratif, éthique et déontologique. Aussi, ont-ils relevé, à l’instar de l’ordre, que le Dr Hachem disposait de deux certificats d’admission au Certificat d’études spéciales en anesthésie-réanimation délivrés à des dates différentes. Le rapport, suite à une large investigation, concluait : ‘’Conformément à sa mission de protection de la santé publique, le MSAS est fondé à prendre des mesures conservatoires, car si jamais un patient subit un dommage résultant de la pratique du médecin en question, la responsabilité du MSAS s’en trouverait engagée.’’ C’est aussi fort de tous ces éléments que la Cour suprême avait rejeté le recours du médecin d’origine libanaise.

Malgré ces éléments, l’affaire semble encore coincée entre le ministère et l’ordre. Si on en croit le Dr Mendy, si jusque-là l’ordre n’est pas intervenu pour trancher définitivement le différend, c’est simplement parce que les conclusions de la mission du ministère de la Santé et de l’Action sociale n’ont pas été portées à sa connaissance. ‘’Nous n’avons pas eu des éléments pour pouvoir statuer. L’ordre est un tribunal disciplinaire, pas administratif. Si le ministère dit que les diplômes ont été trafiqués, le conseil disciplinaire pourra alors intervenir. Mais ce n’est pas à l’ordre de dire si les diplômes sont bons ou pas. A ce jour, on n’a pas été informé des tenants et aboutissants de ce rapport... On ne pouvait donc statuer sur cette affaire’’.

MOR AMAR

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