Publié le 29 Nov 2018 - 20:24
CODE DE COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES

La loi de toutes les controverses

 

 

L’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) vient d’être soustraite de sa tutelle d’origine. Elle est maintenant sous le contrôle de la présidence. Une décision qui a fait couler beaucoup de salive, hier, à l’Assemblée nationale, lors du vote du projet de loi portant Code des communications électroniques. Idem pour l’article 27, l’autre point de crispation.

 

Il faut croire que les parlementaires ne s’attendaient pas du tout à ce que l’Autorité de régulation des télécommunications et postes (Artp) migre à la présidence de la République. Jusqu’ici, c’est l’article 27 du nouveau Code des communications électroniques qui cristallisait les critiques et les récriminations.  Hier, les parlementaires, surtout ceux de l’opposition, ont été surpris de constater que l’Artp quitte le ministère de la Communication, des Télécommunications, des Postes et de l’Economie numérique, pour être désormais rattachée à la présidence.

Puisqu’après soumission du projet de code des communications électroniques, les députés de la majorité, membres de la Commission  de la culture et de la communication, ont proposé des amendements qui ont irrité l’opposition. Le premier apporte des changements à la première mouture de l’article 199 dudit code. Ainsi, il y est dit que ‘’l’Artp est rattachée à la présidence de la République’’.

Derrière cette disposition, des députés soupçonnent des desseins inavoués. Puisqu’un budget de 12 milliards est alloué à l’autorité cette année, à la veille d’une présidentielle. L’opposition soupçonne, ainsi, une volonté de détourner cet argent. Logée à la présidence, l’Artp pourra, selon les parlementaires de l’opposition, utiliser son budget à sa guise. Alors qu’au ministère de la Communication, des Télécommunications et de l’Economie numérique, elle serait sous contrôle. Egalement, c’est le collège de l’Artp qui, désormais, votera le budget que leur proposera le directeur général. Ceci est possible grâce au deuxième amendement qui a aussi été adopté en conseil technique.

Le troisième amendement proposé par les députés de la majorité indique que : ‘’Les mandats accomplis au titre de la loi 2011-01 du 24 février 2011 ne sont pas comptabilisés dans le décompte des mandats au titre du présent code.’’ Ainsi, après ses cinq ans, l’actuel Dg de l’Artp, Abdou Karim Sall, peut être reconduit. ‘’Pourquoi voulez-vous garder le directeur de l’Artp ? N’y a-t-il pas quelqu’un pouvant le remplacer ?’’, s’est interrogé un député. Mais tous ces amendements ont été adoptés en conseil technique.

Hier, Cheikh Bamba Dièye a tenté ‘’un contre amendement’’. Le député a eu beau expliquer à ses collègues que le premier amendement est pernicieux et qu’il n’est pas favorable à la gestion des télécommunications, il n’a pas été entendu. Il a proposé la mouture d’origine qui place l’Artp sous la tutelle du ministère. Son amendement a été rejeté. Celui de Mamadou Lamine Diallo a connu le même sort.

L’article 27, disposition ‘’liberticide’’

La deuxième grande préoccupation des parlementaires, hier, était une disposition de l’article 27 du nouveau Code des télécommunications. Dans le dernier paragraphe, il est écrit : ‘’L’autorité de régulation peut autoriser ou imposer toute mesure de gestion du trafic qu’elle juge utile, notamment préserver la concurrence dans le secteur des communications électroniques et veiller au traitement équitable de services similaires.’’ Une disposition liberticide, selon des députés.

Déjà, avant le vote de la loi, la polémique a fait rage. Les usagers d’Internet, notamment l'Association sénégalaise des utilisateurs des technologies de l'information et de la communication (Asutic), estimant que l’Etat a le dessein d’avoir une mainmise sur les Over the top (Ott) (Snapchat, WhatsApp, etc.). Un professionnel du secteur avait alerté en ces termes : ‘’Cette disposition du nouveau Code des communications électroniques met en péril la neutralité du net et donne ainsi à l’Artp et aux opérateurs le pouvoir de ralentir, filtrer l’accès aux Ott (…). Pour préserver les intérêts des opérateurs de téléphonie mobile au détriment des intérêts des utilisateurs. Il s’agit d’une disposition qui peut aussi entrainer un Internet à deux vitesses. Un pour les riches et un autre pour les pauvres dans un pays ou la fracture numérique est déjà béante. Cet article 27 du projet de loi portant Code des communications électroniques constitue donc un danger pour le développement de l’économie numérique (les start-ups) et la jeunesse qui s’active dans les médias en ligne et les réseaux sociaux’’.

Hier, il faut croire que certains députés n’ont pas compris ce qui est en jeu. De ce fait, certains parlementaires considèrent que, désormais, les réseaux sociaux seront définitivement éliminés. D’autres pensent que c’est pour pouvoir identifier les insulteurs du net. De ce fait, le ministre Abdoulaye Bibi Baldé a essayé de recadrer le débat. ‘’Rien dans l’article 27, dit-il, ne constitue une menace de fermeture des réseaux sociaux. Au contraire, peut-être que les gens ne se sont pas vraiment penchés sur le document. L’article 25 est intitulé ‘Accès ouvert à l’internet’. L’article 27, c’est juste de mesures raisonnables de la gestion du trafic’’. Pour lui, quand on parle d’accès ouvert, il faut impérativement des mesures d’accompagnement pour assurer la sécurité. ‘’Même dans le dernier paragraphe, il n’y a rien qui indique que c’est pour imposer une fermeture ou une réduction de l’accès à Internet. Cela va dans le sens d’une réforme globale du secteur qui a permis l’entrée de nouveaux acteurs’’, a dit le ministre.

Semblant ne pas donner trop d’importance aux remarques de ses hôtes du jour, il leur a lancé : ‘’Les discussions sont plutôt politiques que techniques.’’ Mais ses détracteurs ne se sont pas laissé infléchir, déclarant que si ce code était aussi exempt de reproches que ses porteurs veulent le faire croire, on ne le ferait pas passer en procédure d’urgence. ‘’L’urgence est de droit’’, a presque crié Sira Ndiaye. Pour dire qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat. La majorité a entériné le projet de loi.

Bigué BOB