Publié le 21 May 2019 - 03:04
COLONEL ABDOULAYE DIOP (DR DES PARCS NATIONAUX)

 ‘’Il faut une commission scientifique qui va faire des travaux de recherche sur le lac’’

 

 

La restauration du lac Retba ou lac Rose reste une nécessité, selon le directeur des Parcs nationaux, le colonel Abdoulaye Diop. Dans cet entretien, il préconise la création d’une commission scientifique pour faire des travaux de recherche sur le lac.

 

Aujourd’hui, beaucoup de personnes s’inquiètent de l’état actuel du lac Rose et la perte de sa couleur. Que pouvez-vous dire par rapport à la coloration qui faisait sa réputation ?

C’est assez complexe. En 1987, avec la Direction de l’environnement, on avait travaillé pour essayer de trouver un statut de protection. On savait que c’était un site extrêmement important et si on ne faisait rien, l’écosystème qu’il représentait pouvait être altéré. Cela n’a pas pu aboutir.

Néanmoins, des études ont été faites et à partir de ces recherches, on avait constaté que le lac était sur-salé. Il y avait une cyanose-bactérie, une bactérie de couleur violète adaptée à ce milieu alcane. D’aucuns disaient que c’est peut-être cela qui lui a donné cette coloration. Etant de la zone des Niayes, la première fois que je l’ai visité, c’est au début des années 70. Mais ce n’était pas aussi rose. A l’époque, il y avait suffisamment d’eau, de renouvellement de cet écosystème. On pouvait y extraire du sel, mais à la fin de la saison sèche. Au fur et à mesure qu’il y avait évaporation, il y avait des pellicules de sel.

Au milieu des années 90, il y a eu le développement de cette exploitation de sel qui a pris des proportions inquiétantes. C’était devenu une manne pour les populations riveraines. J’ai participé également à une autre étude, sous l’égide de l’Unesco, au début des années 2000, pour essayer de développer une stratégie de sauvegarde du lac. On avait eu à travailler sur le bassin versant, toutes les études de caractérisation autour du lac. Mais il reste toujours entendu que l’intérêt pour les uns, c’est la conservation, la promotion du tourisme, etc.

Et pour les communautés, cela reste une manne. C’est l’exploitation du sel. Il y avait des velléités pour toute stratégie ou tentative de rationalisation. Les populations n’étaient pas du tout réceptives, puisque cela constituait une manne pour elles.  Vu que c’est une manne qui est tombée du ciel, les gens l’exploitent à outrance. De l’autre côté, il y a des gens qui veulent que le cachet naturel soit préservé. Voilà la contradiction des deux centres d’intérêt pour les autorités, les Sénégalais qui sont loin des réalités locales, l’Unesco. Puisque c’est un site unique qui pouvait revêtir un statut particulier. En fait, un site du patrimoine mondial est celui qui a une valeur unique et universelle.

Avec cette salinisation, les populations, qui sont également des maraîchers pour la plupart, sont forcément confrontées à ce phénomène. Or, elles doivent utiliser l’eau pour leurs périmètres maraîchers. Cette salinisation a impacté directement l’activité agricole. Il s’y ajoute qu’il y a eu tellement d’infrastructures qui se sont développées en dehors des villages, à savoir les hôtels, les résidences. Il y a des résidences qui sont même construites au niveau du lit du lac. Il y a cette occupation anarchique. Le phénomène d’ensablement est plus ou moins contrôlé pour le moment. Parce qu’avec le futur pôle urbain de lac Rose, cela va changer. Si on ajoute à cela les effets du changement climatique...

Est-ce que ce sont les seules causes ?

Il n’y a pas de situation de référence par rapport à cela, qui puisse permettre de dire quoi que ce soit. Si on combine tous ces facteurs, il y a rien pour préserver le lac. Il y a une occupation anarchique, une exploitation à outrance. Donc, aujourd’hui, si le lac change de couleur, quelque part, il y a un faisceau de facteurs qui pourront permettre de dégager des pistes. Mais ce qui est difficile, c’est de pouvoir isoler un facteur pour dire qu’il pourrait être à l’origine. Parce qu’il y a un cumul d’actions qui s’exercent autour de ce lac. Et cela ne fait que s’intensifier et le sera de plus en plus, avec le futur pôle urbain. Sauf si on prend en compte l’impérieuse nécessité de faire de ce lac une opportunité pour améliorer le cadre de vie. Ou même pour développer des activités qui puissent permettre de maintenir l’harmonie, de préserver sa qualité. Et peut-être de pouvoir se créer un centre de loisirs, avec la future ville qui se construit. D’autant plus que, de l’autre côté, il y a une mer dont la fréquentation n’est pas recommandée. Il faut au moins essayer de restaurer le lac.

Pour la restauration, la conservation, un milieu dégradé n’est pas perdu. On peut toujours le rendre à nouveau écologiquement utile pour les économies et les communautés. Ce serait une option.

Est-ce vraiment possible de redonner au lac sa coloration d’antan ?

Si on maitrise les facteurs qui ont altéré sa couleur, on parvient à les contrôler, peut-être on pourra le faire. Mais il faut qu’on les détermine d’abord. Il y a certains qui sont maitrisables, qui dépendent des hommes. Cependant, si c’est un effet du changement climatique, peut-être avec l’évolution de la température, certains micro-organismes qui vivaient là-dans n’y parviennent plus, en ce moment, il n’y aurait pas de solution. Or, si c’est dû à une forme d’occupation, extraction… Sous ce rapport, on peut agir. Mais tout n’est pas perdu. Puisque si, aujourd’hui, le Technopôle a acquis un statut de protection, pourquoi pas un jour pour le lac Rose ? C’est une volonté de l’Etat.

On a eu, par rapport au Technopôle, à travailler, sensibiliser, éduquer les populations sur cette nécessité. Et, finalement, l’autorité politique a suivi les populations et a pris la mesure, et on est en train de mettre en place des mesures de gestion.

Aujourd’hui, si l’Etat décrétait que le lac Rose est érigé en réserve naturelle, confiée à la Direction des parcs nationaux ou celle des aires marines protégées, comme c’est le cas avec le Technopôle, on va mettre en place des organes de gestion. Qui vont faire le travail de base, les études de caractérisation, démarcher la communauté scientifique, faire la situation de référence. Cela nous permettra d’avoir une visibilité sur ce qui se passe.

Aujourd’hui, ce qui se passe au lac Rose, c’est un manque de visibilité par défaut de gouvernance. On ne fait que déplorer, mais il n’y a aucune mesure et celle-ci appartient à l’autorité. C’est sa mission régalienne. Les citoyens peuvent demander à l’Etat de le faire, puisqu’on a constitutionnalisé le droit à l’environnement. Et c’est un élément de notre environnement qu’on souhaiterait préserver. Le résultat doit être consensuel. Or, aujourd’hui, si l’Etat prenait des mesures de sauvegarde, d’autres forces adverses vont se mobiliser pour dire que c’est le gagne-pain des populations. Mais force doit rester à la loi, surtout si c’est un bien commun.

Est-ce qu’il y a une nécessité d’ouvrir une commission d’enquête scientifique, comme le suggère Alioune Tine, pour comprendre réellement ce qui se passe ?

Là, il y a une démarche qu’il siérait plus. Une commission d’enquête va recenser, écouter les gens, les entendre, comme s’il y a un responsable. Je penserais plutôt à une commission scientifique qui va faire des travaux de recherche sur le lac, en essayant de faire une synthèse bibliographique. Il y a d’éminentes personnalités qui sont encore vivantes, qui ont eu à travailler sur le lac. Pour le compte de l’Unesco, il y a le Pr. Ahmadou Tahirou Diaw. Au niveau de la Direction de l’environnement également, il y a des chimistes qui ont conduit des études avec des scientifiques, des biologistes, des marins. De toute façon, les compétences existent au Sénégal. Il suffit de pouvoir les rassembler et de les mettre sur le dossier. Cela vaut la peine. Parce que c’est un site dont on n’a pas un remplaçant possible, ne serait-ce que pour sa valeur unique, même si ce n’est universel. A travers le pays, c’est le site unique qui mérite d’être préservé.

Mais le niveau d’eau baisse, d’année en année. Est-ce que le lac Rose ne va pas s’assécher, dans quelques années, comme le lac Tanma ?

Je ne le pense pas. Puisque ce ne sont pas les eaux de pluie qui l’alimentent. Le lac se trouve dans la zone des Niayes. En plus, il n’est pas loin de la mer. Il y a juste une dune qui les sépare. Il y avait aussi des points de ruissèlement d’eaux douces. La diminution de ces apports à amener une augmentation de la concentration qui a favorisé l’émergence du sel. Le lac Tanma s’est asséché, parce qu’il dépendait des eaux de pluie. Mais pour le lac Rose, la situation est différente. Il faut interroger les hydrologues qui pourront élucider ces questions. 

MARIAMA DIÉMÉ

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