Publié le 8 Feb 2020 - 23:55
COMMEMORATION DISPARITION CHEIKH ANTA DIOP

L’Ucad magnifie les œuvres d’un modèle

 

La journée commémorative du 34e anniversaire de la disparition de Cheikh Anta Diop, a été célébrée en grande pompe à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Les autorités universitaires veulent faire du disparu une source d’inspiration pour les étudiants. L’événement a été marqué par le lancement du cycle des grandes conférences à même d’ouvrir les portes de l’université à la société et de rassembler tous les acteurs scientifiques et culturels. 

 

‘’Le monde doit savoir que tu as fait ton job ! Vous avez mené cette mission avec conviction, tout en refusant la soumission. Malgré les obstacles de la vie, vous avez permis au berceau de l’humanité de rester en vie. L’Occident a voulu vous désorienter, mais votre patriotisme pour l’Afrique n’a jamais été rejeté. Ils vous ont combattu en vous souhaitant l’échec, mais vous avez triomphé, en fait. Dans votre propre pays, ils vous ont interdit d’enseigner, mais vous avez publié sur le marché scolaire et universitaire, c’est clair. Ils ont interdit la diffusion de vos connaissances, la vente de vos livres, mais aujourd’hui, nous en disposons. Ils ont mis en doute vos recherches ; rassurez-vous professeur, que la jeunesse consciente de votre continent a entendu l’appel’’.

C’est en ces termes que le mouvement Carbone 14 de l’université Cheikh Anta Diop (né pour vulgariser la pensée de CAD) a rendu hommage à l’égyptologue.

Ses membres ont, sur fond musical (rap), lu une lettre adressée à l’homme de Caytu, qui a séduit un public bien loin d’être avare en… standing ovation.  ‘’C’est important de vous faire savoir que l’enseignement supérieur a perdu son sourire, face à l’incohérence des réformes. Des parents s’inquiètent d’inscrire leurs enfants dans les universités, juste pour nous faire savoir que notre avenir est hypothéqué. C’est l’université qui en ressort victime. Les enseignements sont toujours bâclés, étudiants toujours victimes de programmes non bouclés. Le temple du savoir est devenu temple d’ignorance d’où nait la violence universitaire. La politique pollue l’espace universitaire…’’, martèle le lead vocal.

Cette année, le 34e anniversaire de la mort de Cheikh Anta Diop revêt une note particulière. Hier, en tout cas, cette journée, qui a réuni étudiants (Dakar, Bambey et Thiès), professeurs, chercheurs, acteurs culturels, politiques et la famille du disparu avait l’air d’un réveil. Une solennité qui confirme bien le proverbe ‘’On n’apprécie le bonheur que lorsqu’on l’a perdu’’.

En effet, 34 ans après, l’université Cheikh Anta Diop de Dakar a choisi, le 7 février, pour lancer le cycle des grandes conférences de l’Ucad, autour du thème ‘’Le legs de Cheikh Anta Diop à la jeunesse africaine’’. Et pour l’occasion, l’amphithéâtre Aminata Diao de l’Ucad 2 a refusé du monde. Selon le directeur général du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) Abdoulaye Seydi Sow, l’initiateur, l’événement répond à l’objectif ‘’d’occuper sainement’’ les étudiants. ‘’J’ai souhaité ce moment de partage, rassembleur autour d’un homme, afin de rappeler l’importance de son œuvre et de ce qu’elle peut rapporter à la jeunesse africaine. Mais ce que nous voulons aussi rappeler, à travers le cycle des grandes conférences, c’est que la connaissance n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle se partage. Et meilleur moment ne pouvait être choisi que le jour qui commémore sa disparition. Qui mieux que lui pouvait-on choisir ? Lui qui a su battre en brèche les thèses les plus farfelues occidentales cousues de fil blanc et redonner à la race noire toute sa dignité et sa légitimité dans le monde’’, a-t-il déclaré.

Aux étudiants, le successeur de Cheikh Omar Hann n’a cessé de répéter la célèbre phrase du disparu : ‘’Armez-vous de science jusqu’aux dents.’’ Il se dit convaincu qu’à formation égale, la vérité triomphe toujours. ‘’Nous voulons que nos campus ne soient pas uniquement des lieux d’hébergement, de restauration, parfois d’’intifada’ ou de ‘nguenté toubab’. Nous voulons qu’il soit aussi lieu de vie, de rencontre, de partage et d’échange. L’université est un espace qui doit rester un mythe et ce mythe ne peut être gardé qu’à travers le savoir, la connaissance’’, poursuit-il. 

L’Ucad lance son hebdomadaire

Dans la même veine, l’autorité universitaire tient à ce que l’organisation des grandes conférences soit totalement gérée par les étudiants. Et ce, sur tous les plans, jusqu’au volet financier. Un moyen certain pour eux, selon lui, d’être à l’école de ‘’la débrouille, donc de l’expérience’’, gage de transparence dans la gestion financière.

En outre, la date du 7 février 2020 a également enregistré le lancement de l’hebdomadaire de l’Ucad dénommé ‘’Campus, le journal de l’étudiant’’. Gratuit, le document ‘’Spécial Cheikh Anta Diop’’ de 12 pages retrace, d’une part, les sujets abordés par le physicien et, d’autre part, évoque quelques péripéties de la vie sur le campus. De l’énergie au Carbone 14, en passant par l’égyptologie, le comité de rédaction n’a pas manqué de personnes ressources. ‘’C’est une plateforme qui permettra aux étudiants de publier des articles relatifs à la vie du campus et à l’université de manière générale. Je veux que les pierres qu’ils jettent sur l’avenue Cheikh Anta Diop soient traduites en écrits que je me chargerai de lire’’, lance M. Sow.

Toutefois, le DG du Coud précise : ‘’Je l’ai dit au comité de rédaction. Je ne souhaite pas que ce journal soit orienté vers la communication du directeur. Nous avons beaucoup d’organes comme ça, où les questions sont faussées parce que tout est centré sur la personne du directeur. Je veux que ce journal soit un cadre d’expression libre des étudiants, qu’ils touchent du doigt ce qui ne marche pas et ce qu’on doit faire pour faire avancer les choses. Je ne veux pas d’un journal laudateur. J’espère que cette instruction sera respectée par les rédacteurs du journal.’’

Par ailleurs, il insiste sur le fait que le comité de rédaction ne soit composé que d’étudiants. Durant l’année académique, le Coud entend dérouler un programme culturel. Plusieurs activités sont prévues, à savoir : une compétition entre facultés pour promouvoir la culture, l’expression et la prise de parole en public et un programme ‘’Campus culture’’ qui va animer l’université pendant 72 heures.

Au cours d’une de ses conférences à Niamey, en 1984, s’adressant à la jeunesse africaine, Cheikh Anta Diop disait : ‘’Il n’y a qu’un seul vrai salut, c’est la connaissance directe et aucune paresse ne pourra nous éloigner de cet effort.’’ Une phrase dont s’est approprié l’étudiant en Licence à la faculté des Sciences et techniques, Cheikh Fall, debout au fond de l’amphi, en raison du manque de places. ‘’Je pense que notre plus grand problème, en tant qu’étudiants, c’est la paresse, surtout celle intellectuelle. On ne sait pas et on ne fait rien pour savoir. C’est en ce sens que Cheikh Anta est un véritable exemple pour nous, lui qui, durant toute sa vie, a été en quête de savoir. Il a beaucoup donné. Et je n’aurais raté pour rien au monde la conférence d’aujourd’hui’’, confie-t-il, le sourire aux lèvres.

‘’Soyez rassurés que les réflexions desquelles vous allez nous gratifier ne tomberont pas dans l’oreille d’un sourd. Chers étudiants et étudiantes, des rencontres de ce genre, nous les avons toujours cherchées. C’est le lieu de s’armer de savoir et surtout de comportement du modèle d’étudiant noir et surtout sénégalais que Cheikh Anta Diop voulait. Pour ce faire, nous pouvons simplement utiliser son conseil : ‘’Formez-vous, armez-vous de science jusqu’aux dents.’’ Que cette science prime sur la violence et que la force de l’argument remplace l’argument de la force. Que mille conférences se tiennent, que beaucoup d’idées fleurissent’’, ajoute à son tour la porte-parole des étudiants Ndèye Maguette Sy.

Zoom sur le scientifique et ‘’homme solitaire’’

Alors que près de 50 ans en arrière, ses œuvres et ses enseignements étaient interdits dans le temple du savoir, tant par l’ex-puissance coloniale que par le gouvernement sénégalais, aujourd’hui, 34 ans après sa mort, ses écrits coulent à flots et ses trouvailles magnifiées. Autant de raisons qui font dire au représentant du ministre de l’Enseignement supérieur, Ramane Mbaye, que ‘’l’homme qui nous réunit ici aujourd’hui est d’une dimension exceptionnelle. Historien, égyptologue, physicien, anthropologue et homme politique sénégalais, pour ne pas dire africain. Cheikh Anta s’est attaché, sa vie durant, à montrer l’apport de l’Afrique, particulièrement de l’Afrique noire, à la civilisation mondiale. Parler de legs, c’est parler de modèle et parler de modèle, c’est parler de transmission, parce que le projet de Cheikh Anta Diop nous réinstalle sur notre natte. Car, comme disait Joseph Ki-Zerbo, s’asseoir sur la natte des autres, c’est s’asseoir par terre’’.  

En effet, le disparu s’est attelé à démontrer que l’origine humaine est de race noire et pensait que ‘’l’essentiel, pour le peuple, est de retrouver le fil conducteur qui le relie à son passé ancestral le plus lointain possible’’, (4e de couverture de ‘’Nations nègres et cultures’’). 

En tant que fervents défenseurs de la pensée de Cheikh Anta, les professeurs Buuba Diop et Boubacar Boris Diop étaient également de la partie. Le second s’est chargé de partager ses connaissances de l’homme, en lien avec le thème de la conférence. ‘’Cheikh Anta était un homme au cœur de la mêlée, mais en même temps fondamentalement solitaire. C’était un esprit indomptable qui ne connaissait pas le compromis intellectuel. D’une courtoisie et d’une humilité remarquables, il allait jusqu’à se transformer en fauve pour défendre ses opinions. Il vivait une perpétuelle tension morale’’, renseigne-t-il face à un auditoire tout ouï.

L’écrivain et philosophe ajoute, par ailleurs, qu’à l’âge de 15 ans, le propriétaire du laboratoire de Carbone 14 a créé un alphabet permettant d’écrire toutes les langues africaines et à 24 ans, un article intitulé ‘’Quand pourra-t-on parler d’une renaissance africaine’’. Le premier, selon le Pr. Diop, à en parler. C’était en 1954. ‘’’Nations nègres et cultures’ est sans nul doute le livre le plus audacieux qu’un Nègre puisse écrire’’ ajoute-t-il. A l’en croire, sa thèse intitulée ‘’Etude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique, de l’Antiquité à la formation des Etats modernes’’, a été la source de tourments dans sa vie.

Soutenue au début des années 1960 à la Sorbonne (Paris), elle lui a valu, selon le conférencier du jour, une interdiction d’enseigner. Surtout qu’il en est sorti avec une mention Honorable. ‘’Le but de ce veto était de le couper de la jeunesse. La France, qui préparait déjà le néocolonialisme, se gardait bien de laisser la jeunesse africaine entre les mains d’un rebelle. Ils ont jeté Cheikh Anta hors de l’université, mais l’ont propulsé, sans le savoir, sur la scène de l’histoire. Et, à partir de là, il a fait de la science un véritable support de compagnie’’, poursuit Boubacar Boris Diop.  

Selon lui, au lieu d’être reclus dans son laboratoire, il est allé à la rencontre de la jeunesse aux travers des conférences de Guadeloupe, de Lubumbashi, Yaoundé, du Symposium de Dakar. ‘’Il a eu le mérite d’aborder des questions complexes dans un langage accessible et de connecter le savoir au vécu des étudiants’’.

Bref, pour le Pr. Diop, l’origine de l’espèce humaine a été rétablie, grâce au savant.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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