Publié le 11 Aug 2017 - 03:17
COMMENTAIRE

L’essentiel n’était pas que de gagner

 

‘‘L’essentiel, c’est qu’on a gagné’’. Ainsi s’est exprimé Macky Sall ce lundi dont on ne sait laquelle des personnalités de son imposante trinité présidentielle (de la République, de l’Apr et de Benno) se félicitait d’avoir mis l’opposition à genoux, à terre serait plus exact, le 30 juillet 2017, aux élections législatives. Même s’il a eu le réflexe d’appeler ses troupes à plus d’humilité, le président Sall a félicité et encouragé son ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo dont la partialité n’échappe qu’à ceux qui ne veulent rien voir.

Après le traumatisme du troisième mandat de Wade, on avait pensé que le premier président né après les indépendances allait débarrasser l’apprentissage de la démocratie sénégalaise des réminiscences des Etat-parti ‘‘senghorien’’, ‘‘dioufiste’’ et ‘‘wadien’’ : le parti pris à l’Intérieur. Ce poison nocif que les gouvernants successifs inoculent sans discontinuer depuis 56 ans au système électoral et qui aliène la souveraineté populaire au parti au pouvoir.

Que nenni ! Macky Sall est comme tous ces potentats allergiques au catalogue du contre-pouvoir démocratique, dont le projet de réduction de l’opposition à ‘’sa plus simple expression’’ est en bonne phase avec un score soviétique de 42 départements sur 45 lors des législatives du 30 juillet dernier.

D’ailleurs, avec tous les ratés, pardon ‘’couacs’’, de l’organisation de ce scrutin qualifié de ‘’mascarade’’ par l’opposition, le leader de l’Alliance pour la République a poussé l’euphorie ou l’ironie (c’est selon) jusqu’à ‘‘tirer un  chapeau à l’Administration, surtout au ministère de l’Intérieur, où les agents ont travaillé 24 heures sur 24’’. On se demande bien ce qu’il aurait pu leur tirer si les élections s’étaient passées sans couacs.

Il est loisible, bien sûr, de se réjouir d’une victoire, surtout pour des localités récalcitrantes qui, comme une belle femme capricieuse, se sont enfin laissées conquérir  (avec toutes les réserves qui siéent).  Mais ce triomphalisme jouissif du président est le comble d’une inélégance démocratique, quand on sait que tous types de coups en deçà de la ceinture ont été infligés à l’opposition et, par extension, à la démocratie. On nous dira que l’opposition a laissé faire, et s’est laissé faire. Ce qui est vrai du reste. Mais le principe, en administration, ne consiste pas à transférer la charge d’une mission régalienne sur ceux qui n’en détiennent aucune.

La victoire marron-beige, nette mais avec bavures, est supportable aux citoyens-démocrates tant que les vainqueurs (le premier d’entre eux notamment) évitent  de pavoiser. Parce qu’en réalité, il n’y a pas de quoi pavoiser. Et cette sortie de Macky Sall avant-hier ne laisse aucun doute sur la perpétuation d’un régime hyper-présidentialiste. Le drame, dans ces législatives, réside dans le fait qu’on ne peut pas dire que les résultats sont factices, pas plus qu’on ne pourrait défendre leur crédibilité. Trop de paramètres incontrôlés ont fait de ce qui devait être l’un des meilleurs scrutins (50 milliards de francs Cfa dans la confection de cartes biométriques, rien que ça !) l’un des pires scrutins. Dire que ‘‘l’essentiel, c’est qu’on a gagné’’, relève d’une permissivité dangereuse qui ouvrirait la porte à tous types d’abus. Sans vouloir s’épandre dans une logorrhée d’éthique politique ou philosophique, la fin ne justifie pas tous les moyens.

Dans le téléfilm House of Cards, le principal protagoniste, Frank Underwood, avatar américain de Machiavel, déclarait que ‘‘si on ne fait jamais des choses qu’on ne devrait pas faire, on ne tirerait aucune satisfaction à faire les choses qu’on doit faire’’. En minimisant les procédés employés pour évincer l’opposition, Macky Sall semble tenir sa nouvelle devise.

Ousmane Laye DIOP

 

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