Publié le 16 Mar 2020 - 22:37
COMMUNICATION EN PERIODE DE CORONAVIRUS

A la recherche de la bonne formule

 

Le niveau atteint par le Sénégal, en termes de malades contaminés du coronavirus, nécessite une communication d’envergure, pour éviter d’atteindre le seuil où la maladie sera ingérable. Les spécialistes en communication analysent la stratégie du gouvernement, dans un contexte où de nombreuses voix s’élèvent pour nier l’existence de la maladie.

 

Il y a quelques jours, le spécialiste en communication, Mamadou Ndiaye, décryptait une communication ‘’assez laconique’’ de la part du gouvernement, en cette période de crise. Ses dirigeants, en particulier le ministre de la Santé, peuvent mieux faire, de son point de vue. ‘’L’inquiétude de beaucoup de Sénégalais, quand une maladie de ce genre arrive au Sénégal, c’est la disponibilité des structures sanitaires, des moyens pour faire face. Cela demande beaucoup de moyens, mais également beaucoup de préparation par rapport à la stratégie claire répondant au contexte. Une semaine après, il va de soi que son diagnostic est tombé dans les oreilles de sourds’’, constate Mamadou Ndiaye.

Qui poursuit : ‘’A ce jour, le Sénégal en est à 22 cas confirmés. Peut-on parler d’une sensibilisation étatique efficace ? Sûrement pas. Pas tant que des ‘’prêcheurs’’ suivis et adulés affirment haut et fort qu’il n’y a rien de mal à se serrer la main. C’est un acte qui renforce les liens.’’

Actuellement, le plus grand défi des autorités est de prendre le pas sur tous ces discours qui déconstruisent tout ce qui est dit sur le coronavirus et les mises en garde servies à longueur de journée. Il est clair que la communication est molle et n’a aucune portée sur une frange importante de la population.

En effet, de nombreux citoyens et parfois de porteurs de voix bien connus continuent de nier l’existence de la Covid-19. ‘’Si on annule les manifestations religieuses, le virus va se répandre dans tout le Sénégal. Par contre, si on nous laisse prier comme il se doit, ce virus retournera d’où il vient’’, entend-on fréquemment. Ce qui montre que les autorités ont du pain sur la planche.

‘’Les stratégies communicationnelles ne répondent pas aux faits sur le terrain’’                

Bref, la majeure partie des communicants s’accordent sur le fait que le gouvernement doit en faire plus, pour une riposte à la hauteur du coronavirus. Car ils notent plutôt ‘’une dissonance communicationnelle’’. Selon l’enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, Docteur Sahite Gaye, ‘’les stratégies communicationnelles ne répondent pas aux faits sur le terrain. Quand on donne des consignes de sensibilisation et qu’on ne respecte pas soi-même les règles, cela pose problème. Le ministère demande de ne pas donner la main, mais on voit certains membres du gouvernement le faire en public. Les stratégies déployées n’ont pas porté leurs fruits, parce qu’actuellement, il y a une accélération de l’épidémie’’, affirme-t-il.

A l’en croire, hésitations, manque d’harmonie dans les actions, depuis la confirmation du premier cas, ont eu raison d’autorités aujourd’hui dépassées par les événements. Le formateur en communication des organisations pense que ‘’la communication doit être portée par les médecins et non par les hommes politiques ou par le ministre. Aussi, la gestion d’une crise pareille, au-delà des sciences, demande un savoir-faire. C’est de l’art. C’est ce qui manque encore. Un tact dans la prise de parole et dans la mise en valeur des preuves d’action. Il faut montrer qu’on est en train d’agir. Parler de 12 lits disponibles au Centre des maladies infectieuses de Fann, alors qu’aujourd’hui, on nous parle d’une vingtaine de cas, fait peur aux citoyens et laisse sous-entendre que le Sénégal n’est pas préparé. Et dites-vous bien que les jours à venir, les cas vont augmenter, parce que les facteurs sociologiques, culturels et cognitifs vont participer à cela. Nos familles sont très élargies’’.

L’heure est donc à l’urgence, une riposte à la hauteur de la progression du virus, au risque de se retrouver dans la même situation que Wuhan, à un moment donné, ou même celle de l’Italie qui appelle à l’aide. Surtout que le Sénégal est actuellement le pays le plus touché de l’Afrique de l’Ouest.

Toutefois, selon Sahite Gaye, la communication ne remplace pas l’action. Il préconise le déploiement d’une batterie de mesures qui doivent être accompagnées par une ‘’communication plus responsable et plus engageante’’.

Il est en partie entendu, puisque le chef de l’État a annoncé un certain nombre de mesures, ce samedi (voir ailleurs).

Entre information et communication

En cette période de crise, il arrive que l’information et la communication s’entrechoquent. Au calendrier journalistique qui requiert un état de veille, de neutralité, mais également de sensibilisation, s’oppose la communication gouvernementale qui, parfois, consiste à ne pas tout dire. Et à ce face-à-face prévisible, la presse a su jouer son rôle, de l’avis du journaliste et formateur Jean Meissa Diop. ‘’L’Etat a voulu faire de la presse un partenaire, alors que ce qui l’intéressait, ce n’était pas la communication du gouvernement, mais le nombre de personnes malades dans notre pays qui s’accroît. C’est cela le rôle de la presse. Aussi, se focaliser sur l’aspect information plutôt que sur l’aspect communication. Elle ne s’est donc intéressée à la direction dans laquelle le gouvernement voulait l’orienter. Son rôle n’est pas d’être un partenaire, mais de rechercher l’information, la recouper et la publier’’, soutient-il.

Un fait dénoncé précédemment par Mamadou Ndiaye comme une stratégie de verrouillage de l’information et même des sources, en vue d’éviter la diffusion de plusieurs versions. Si cette presse suit sa logique d’alerte, il n’en demeure pas moins qu’elle tombe quand même (pour certains organes) dans le sensationnalisme, la course à l’annonce d’un nouveau cas. Selon Meissa Diop, ‘’c’est le niveau à ne pas atteindre : le catastrophisme ou le sensationnalisme. Ce rôle d’alerte, il ne faut pas l’interpréter dans l’exagération, au risque de créer la panique chez la population. En tirant sur la ficelle, en allant débusquer des cas, elle joue parfois dans le sensationnel et on voit qu’il y a des journaux qui sont pressés d’annoncer de nouveaux cas. Il ne faudrait pas qu’on en vienne à cela’’.  

Par ailleurs, le volet prévention, consistant à mettre l’accent sur les mesures d’hygiène manque, de son point vue, dans la communication gouvernementale.

ISMAILA SENE (PSYCHOLOGUE-CONSEILLER, SOCIOLOGUE)

‘’Les réseaux sociaux auront un impact décisif sur l’efficacité ou non de la communication gouvernementale’’

Le psychosociologue Ismaïla Sène préconise une gestion de crise impliquant tous les acteurs dont la voix pèse lourd, si le Sénégal veut contenir l’épidémie.

Peut-on dire que la communication gouvernementale est adaptée au contexte sénégalais, en cette période de crise ?

En fait, il faut prendre en compte plusieurs paramètres, pour apprécier la communication gouvernementale, en cette période d’alerte épidémique. Personnellement, je pense que l’enjeu, c’est d’éviter la panique et de mettre à la disposition du public des mesures de précaution à temps. De ce point de vue, je pense que les efforts consentis par le ministère de la Santé sont louables, car il y a un dispositif qui assure la transmission de l’information sur le niveau d’évolution de l’épidémie et sur les mesures préventives.

Toutefois, les réseaux sociaux auront un impact décisif sur l’efficacité ou non de cette communication gouvernementale. Car ce sont des canaux qui peuvent avoir à la fois un effet positif, mais aussi négatif sur la gestion de la crise. Malheureusement, ils risquent de porter un coup sévère à l’efficacité de la communication gouvernementale, du fait de l’attitude irresponsable de certains internautes et des difficultés qu’ils entraînent en matière de contrôle des incertitudes.

Il faut aussi préciser que la communication, par le canal institutionnel, et notamment par le canal du gouvernement, n’est pas le seul moyen de sensibilisation. Car la portée d’un discours dépend, en partie, de la crédibilité qu’on accorde à la personne ou à l’institution qui communique. De ce point de vue, on se rend compte qu’il existe des Sénégalais, fussent-ils minimes, qui accordent peu de crédit au message de sensibilisation et aux informations véhiculées par le gouvernement. Il y en a même qui continuent à nier l’existence de l’épidémie au Sénégal, car ils sont soit peu sensibilisés sur la question, soit impossibles à convaincre par l’État.

Justement, pensez-vous qu’actuellement, les Sénégalais prennent au sérieux le coronavirus ?

Je pense qu’il sera très difficile de répondre de manière assez directe à cette question, car il faudrait, pour ce faire, interroger la perception que les Sénégalais ont de la pandémie. Mais si on s’en tient aux commentaires faits à travers les réseaux sociaux et par le biais de médias classiques, on peut effectivement dire qu’ils prennent au sérieux l’épidémie.

Cependant, dans la manière de gérer la panique qu’elle engendre et à travers certaines attitudes, on peut entrevoir des comportements à risque. En effet, il y a une certaine forme de négligence qui découle, à mon avis, du fatalisme sénégalais ; cette attitude consistant à se croire infaillible.

Que préconisez-vous, d’un point de vue sociologique, comme formule, pour que la maladie n’atteigne pas de plus grandes proportions ?

Pour donner du crédit à la communication de crise, je pense, sans être spécialiste de la communication bien sûr, qu’il serait important que les spécialistes et les experts soient mis au-devant de la scène. Toutefois, cela ne veut nullement dire que les politiques devraient s’isoler, car on aurait l’impression que l’État fuit ses responsabilités. Mais en raison de leur crédibilité et de leur statut de source authentique, les spécialistes attirent beaucoup plus l’attention, en temps de crise.

Il faut aussi dire que la communication ne se fait pas uniquement par le verbe. L’État doit être suffisamment responsable pour montrer sa souveraineté face à cette situation. Il faudrait qu’il évite de donner l’impression d’être négligent. Il faudrait donc associer les messages de sensibilisation à des actes responsables. Les rassemblements, quelle que soit leur nature, sont des événements à risque.

Je pense également que l’État peut s’appuyer sur des personnalités religieuses dont la parole a plus de portée que la parole gouvernementale. Les hommes religieux ne sont certes pas des experts de la question, mais du fait du pouvoir traditionnel et charismatique qu’ils incarnent, ils peuvent servir de canal assez crédible pour atteindre et conscientiser certaines populations qui accordent peu de crédit au discours des experts et à celui des politiques. Cependant, il faudrait veiller à ce que leur message de sensibilisation aille dans le même sens que celui des experts et de l’État.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

Section: