Publié le 4 Dec 2020 - 23:43
CONSEIL CONSTITUTIONNEL

L’exception de compétence

 

Réputé pour son incompétence dans plusieurs domaines, le Conseil constitutionnel mène la sensibilisation pour vulgariser sa compétence en matière d’exception d’inconstitutionnalité. Une procédure méconnue ou très peu utilisée par les avocats, surtout dans les procès ordinaires qui ne font pas le buzz médiatique.

 

En 28 ans, l’exception d’inconstitutionnalité n’a été utilisée que 11 fois. Pourtant, c’est une procédure qui permet à n’importe quel citoyen de recourir au Conseil constitutionnel, s’il estime qu’un tribunal veut lui opposer une loi qui n’est pas conforme à la Constitution sénégalaise.

Selon le bâtonnier de l’Ordre des avocats, Maitre Papa Laïty Ndiaye, c’est parce qu’il existe beaucoup d’avocats qui ne connaissent pas l’existence de ce mécanisme. Hier, en marge d’un séminaire de deux jours organisé par le Conseil constitutionnel pour les praticiens du droit, il a expliqué : ‘’Il n’y a pas beaucoup d’avocats qui savent qu’ils peuvent saisir le Conseil constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité, dans le cadre des instances en cours devant les juridictions ordinaires…’’

Aussi, estime le bâtonnier, ce séminaire vient à son heure et qu’il fera tache d’huile. ‘’Le Conseil constitutionnel, souligne Maitre Laïty Ndiaye, est un maillon important de notre dispositif juridique, institutionnel et constitutionnel. Malheureusement, il est souvent méconnu, y compris par les praticiens du droit eux-mêmes. Ce genre de séminaire participe de la nécessaire sensibilisation des acteurs de la justice, des acteurs sociaux en général sur l’existence de ce mécanisme qui leur permet d’invoquer dans une procédure le fait que tel texte qu’on veut leur opposer n’est pas conforme à la Constitution.’’

Derrière ce langage diplomatique de la plus haute autorité du barreau de Dakar, des avocats, joints par ‘’EnQuête’’, ont essayé d’expliquer, avec des raisons différentes, ce qui ressemble à une ignorance fort préjudiciable aux justiciables. ‘’En fait, précise un de nos interlocuteurs, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les avocats savent bien que le mécanisme existe, mais ils ne l’utilisent pas. Et puisqu’ils ne l’utilisent pas, ils ne peuvent pas en maitriser les arcanes en vue de l’exploiter à bon escient. C’est aussi simple que ça’’.

Cela dit, analyse le spécialiste du droit, il n’y a rien de compliqué dans ladite procédure : ‘’Tous les jours, les avocats effectuent des recours beaucoup plus complexes, aussi bien du point de vue du fond que de la forme. Il n’y a vraiment rien de compliqué dans cette procédure devant le Conseil constitutionnel. Bien au contraire. Mais le constat est là : quand il s’agit du Conseil constitutionnel, les gens ne savent que le contentieux électoral.’’

Comme si seuls les politiciens en avaient droit

D’autre part, la robe noire relève le manque de courage du Conseil constitutionnel qui n’encourage pas les avocats à le saisir. ‘’Certains ont l’impression que cette juridiction n’est intéressée que par le contentieux électoral. A part ça, sur toutes les questions sur lesquelles elle est saisie, elle se déclare incompétente… Ce qui n’est pas non plus encourageant’’.

En tout cas, dans la pratique, l’exception d’inconstitutionnalité semble être l’apanage des clients politiciens dans les procès politiques. Les avocats ne l’utilisant que dans le cadre de ces types de procès. Mais quand il s’agit de citoyens lambda, dans des procès qui ne sont pas sous le feu des projecteurs, ils se donnent rarement, pour ne pas dire jamais, cette peine. Un de nos interlocuteurs confirme : ‘’En général, les gens ne l’utilisent que dans le cadre des contentieux politiques et en matière électorale. Par exemple, dans les affaires Khalifa Sall et Karim Wade, des avocats l’ont utilisé. Pour le cas de Karim, on demandait l’inconstitutionnalité de la loi portant sur la Crei. Mais hormis ces contentieux politiques, il est rare de voir le mécanisme invoqué dans les procès ordinaires.’’

Dans la même veine, la robe noire précise que sur les 11 saisines en 28 ans, toutes ont porté, soit sur la matière électorale, soit sur des procès politiques. Jamais sur un procès ordinaire.

Pourquoi ce manque d’égard et de rigueur professionnelle dans les dossiers ordinaires ? Les explications sont multiples. Si les uns s’attardent sur la méconnaissance du mécanisme, d’autres insistent plutôt sur la perception négative qu’ont les Sénégalais, y compris des praticiens de la haute juridiction. ‘’C’est vrai que les avocats ont le devoir de saisir le Conseil constitutionnel dans les cas où la loi leur en donne la possibilité. Mais le Conseil constitutionnel doit aussi travailler à renforcer sa crédibilité auprès des acteurs. Quand on parvient à mettre dans la tête des gens que c’est une juridiction qui n’est jamais compétente, c’est ce qui entraine ce genre de situation’’, plaide un de nos interlocuteurs.

Pour étayer son propos, il invoque les affaires Khalifa Sall et Karim Wade. ‘’Même s’ils sont des politiques, ce sont des citoyens comme tous les autres. Comme par hasard, toutes les juridictions internationales leur ont reconnu ce que notre Conseil constitutionnel leur avait refusé. C’est ce qui fait que les gens ont une certaine perception de la juridiction qui n’arrange pas les choses. Mieux, dans l’affaire Karim Wade, par exemple, même la Cour suprême avait rendu une décision en faveur de Karim Wade. Mais après, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il était le seul compétent pour connaitre des recours en matière d’inconstitutionnalité’’.

Toutefois, relève l’avocat, ceci n’est pas une excuse. ‘’Un avocat, dit-il, a une obligation de moyen, même s’il n’a pas une obligation de résultat. Il doit mettre tous les moyens possibles sur la balance. Sinon, il commet à la limite une faute professionnelle. Il faut user de tous les moyens légaux pour obtenir gain de cause. Mais il y a vraiment des postures qui découragent’’.

Dans tous les cas, les acteurs estiment que ces genres de séminaires peuvent permettre de renverser la tendance, en sensibilisant davantage les praticiens. C’est la conviction du bâtonnier. ‘’Quand vous n’avez pas l’habitude de pratiquer une loi, la lire, la mettre en œuvre, vous n’allez pas vous en servir. Nous espérons que ce séminaire de deux jours, qui va réunir plusieurs acteurs - magistrats, avocats, professeurs d’universités… - permettra aux citoyens, en commençant par leurs représentants devant les juridictions, de se familiariser avec l’exception d’inconstitutionnalité’’. 

MOR AMAR

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