Publié le 15 Jul 2020 - 23:58
CONSTRUCTION DU CICAD

Un marché à magouilles 

 

Défaut d’image fidèle, ‘’sous-évaluation’’ de l’actif, une assiette foncière ‘’non valorisée’’, une exonération d’éléments d’actifs ‘’non comptabilisés’’… ce sont autant de tractations douteuses soulignées par l'Inspection générale d'Etat (IGE) dans son rapport sur l'état de la gouvernance et de la reddition des comptes de l'année 2017, publié avant-hier, à propos de la construction du Centre international de conférences Abdou Diouf.

 

Le rapport sur l'état de la gouvernance et de la reddition des comptes de l'Inspection générale d'Etat (IGE) de l'année 2017, relève beaucoup de procédés douteux dans le cadre du marché de la construction du Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad). Le document, publié lundi, indique un ‘’défaut d’image fidèle’’ par rapport à cet ouvrage. Or, l’IGE souligne que les dispositions de l’article 8 de l’Acte uniforme de l’Ohada portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises (AUCE) indiquent que les états financiers ‘’forment un tout indissociable et décrivent de façon régulière et sincère les évènements, opérations et situations de l’exercice pour donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise’’.

L’IGE estime, également, qu’avec ce projet, l’actif a été ‘’sous-évalué’’. ‘’Le bilan de la Délégation générale pour l’organisation du XVe Sommet de la Francophonie (DGF), arrêté au 6 août 2015, affiche un total d’actifs immobilisés de 28 274 604 486 F CFA, dont 21 652 841 467 se rapportent aux bâtiments. Or, le montant du marché de conception et de construction du Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad) qui lie la DGF et l’entreprise attributaire porte, à lui seul, la valeur des immobilisations corporelles à plus de 51 milliards de francs CFA. L’écart ainsi constaté, entre la valeur réelle des immeubles et la valeur comptabilisée, montre que les états financiers ne donnent pas une image fidèle du patrimoine’’, renseigne l’Inspection générale d’Etat.  

Par rapport à l’assiette foncière du Cicad, d’une superficie de 58 ha, l’IGE informe qu’elle ‘’n’a pas été valorisée et inscrite à l’actif’’ du bilan de la DGF comme élément de patrimoine. Or, en vertu des dispositions du chapitre 2 des annexes de l’AUCE, le compte 22 du classement et de la codification des comptes de l’Ohada ‘’enregistre la valeur des terrains dont l’entreprise est propriétaire et ceux qui sont mis à sa disposition par des tiers’’.

‘’Par ailleurs, pour faire suite à l’identification de besoins complémentaires de salles de travail, de salles d’attente et autres commodités, la DGF a acquis, par le biais de l’entreprise R.A, un chapiteau de 2 400 m², d’un montant hors taxes hors douanes de 406,720 millions de francs CFA. Ce matériel ne figure pas à l’actif du bilan de la DGF, en violation des principes et normes comptables’’, indique le document.

D’après l’IGE, la non-comptabilisation de ce matériel vient, aussi, en atteinte aux conditions qui ont présidé à son admission en franchise de droits et taxes d’entrée. En effet, selon elle, le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, en accordant cette franchise, faisait savoir, par lettre du 16 octobre 2014, que le matériel considéré devait ‘’figurer dans la comptabilité matières de la Délégation générale de la Francophonie’’. Ainsi, le document signale que cette condition posait, explicitement, le principe de l’enregistrement du chapiteau dans l’actif de la DGF.

Plus de 11 milliards de francs CFA passés sous silence à la DGF

Il ressort aussi du document de l’IGE que l’entreprise S a bénéficié de l’exonération de tous les droits et taxes sur les fournitures et matériels utilisés pour la construction et l’équipement du CICAD. Cette exonération a été faite suivant la procédure de régularisation, par chèque du Trésor. Ce qui signifie que c’est l’Etat du Sénégal qui, en dernière instance, a supporté les droits. ‘’La valeur déclarée en douane par cette entreprise, au titre du projet, fait un total de 30 440 304 405 F CFA. Les droits et taxes qui ont fait l’objet de régularisation par la Direction de l’investissement par chèque du Trésor, ont été arrêtés à 11 761 867 255 F CFA. Ce montant n’a pas été pris en charge dans la comptabilité de la DGF, alors qu’il entre dans le coût de revient des immobilisations considérées, en application de l’article 37 de l’AUCE’’, lit-on dans le document.

Dès lors, l’IGE fait observer que la non-prise en compte, dans les états financiers, de certains éléments actifs ou leur sous-évaluation, notamment s’agissant du patrimoine foncier, peut ‘’induire une mauvaise appréciation’’ de la valeur réelle d’une entité, en cas de cession.

Toujours par rapport à la construction du Cicad, il est noté une ‘’entorse’’ à la primauté des entreprises communautaires. D’après l’IGE, l’analyse des marchés passés par la DGF, au titre des exercices 2013 et 2014, sous le régime du décret n°2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des marchés publics (CMP), fait ressortir que les marchés d’un montant total de 60 486 761 849 F CFA, compte non-tenu des avenants, ont été attribués à des entreprises non communautaires, suivant la procédure de passation par entente directe. Il s’agit notamment de la construction du Cicad, avec l’entreprise S de droit turc, de la gestion de l’évènementiel et de la communication, avec l’entreprise R.A, ayant son siège social aux Émirats arabes unis. Mais aussi de l’acquisition d’équipements audiovisuels pour la couverture médiatique, avec la société de droit belge S. T. et du contrat d’assistance à maitrise d’ouvrage, avec le groupement composé de l’agence d’architecture A. B. et la société A ayant leur siège en France.

En dehors des travaux de construction du Cicad, la même source indique que l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) a autorisé ‘’exceptionnellement l’ouverture de la procédure à l’international de la procédure de choix du titulaire’’ des marchés considérés. D’ailleurs, l’IGE considère qu’il faut circonscrire la portée des dispositions de l’article 52 du décret n°2014-1212 du 22 septembre 2014, portant CMP, relatives à la dérogation au principe de non-ouverture à l’international des marchés financés sur ressources internes. Ceci en posant le principe qu’autorisation ne peut être donnée, pour l’ouverture à l’international des marchés considérés, que si l’attribution se fait dans le cadre d’une procédure d’appel à la concurrence. Les éventuelles dérogations à ce principe devraient, le cas échéant, d’après elle, ressortir de dispositions expresses.

Une indemnisation effectuée en l’absence de pièces justificatives

Concernant le marché relatif à la gestion de l’évènementiel et de la communication, signé entre la DGF et R. A., le rapport précise qu’il a fait l’objet de deux avenants approuvés par l’autorité compétente. Le premier n’a pas eu d’incidence financière. Le second concerne la fourniture et l’installation d’un chapiteau de 2 400 m² du Cicad. Un projet de troisième avenant concerne l’équipement et l’aménagement du chapiteau n’a pas été approuvé. ‘’Il a, néanmoins, été exécuté et payé, par voie d’indemnisation. Cette indemnisation a été effectuée en l’absence de pièces justificatives précisant la nature des biens et services objet de la commande et attestant de leur livraison ou exécution, en violation des dispositions de l’article 34 du Règlement général sur la comptabilité publique’’, fait savoir l’IGE. L’agent comptable doit s’assurer, particulièrement de la viabilité de la créance portant, notamment ‘’sur la justification du service fait, résultant de la certification délivrée par l’ordonnateur ainsi que les pièces justificatives produites’’.

Or, l’Inspection générale d’Etat signale que les pièces justificatives du mandat concernant cette opération ne sont constituées que du protocole d’accord d’indemnisation ainsi que d’un état de paiement produit par le délégué général. Il est joint, par ailleurs, une attestation de bonne exécution de travaux délivrée à R. A. pour l’exécution de ce marché.

‘’Au total, le paiement a été fait en l’absence d’un procès-verbal de réception ou d’un certificat administratif et, encore moins, d’une facture définitive revêtue des mentions de liquidation et certification. Il est à rappeler, par ailleurs, que les dispositions de l’article 45 du Code des obligations de l’Administration (COA), sur la base duquel l’indemnisation a été faite, posent le principe d’une indemnisation ‘si les prestations ont été fournies avec l’assentiment de l’Administration et lui ont profité’. A cet égard, le dossier examiné ne donne aucun élément d’appréciation pouvant étayer un enrichissement sans cause de l’Etat’’, conclut-elle.

MARIAMA DIEME

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