Publié le 14 Aug 2018 - 01:46
CONTENUS INADAPTES ET VIOLENTS DANS LES MEDIAS

Les enfants, ces victimes collatérales 

 

La violence dans les contenus de certains programmes médiatiques porte un grand préjudice aux enfants. Ce jeune public innocent n’est pas protégé ni pris en considération au moment de publier images, sons violents. La question est au cœur d’une large réflexion initiée par la Cellule d’appui à la protection de l’enfance (Cape), en collaboration avec l’Unicef

 

Dans la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 20 novembre 1989 à New York (États-Unis) et entrée en vigueur le 2 septembre 1990, il est clairement indiqué, en son article 17, que les médias doivent veiller à ce que ‘’l’enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale’’. Dans le même préambule de ladite convention, l’article 29 enchaîne et stipule que toutes ces informations doivent ‘’favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs responsabilités’’. Ce texte est ratifié par le Sénégal. Mais son application fait défaut.

Les médias sénégalais, pour la plupart, continuent de produire des contenus qui, très souvent, sont d’aucune utilité pour les enfants. Au-delà de ne présenter aucun enjeu pour le développement de cette couche très souvent considérée comme vulnérable, ces contenus concoctés par les chargés ou directeurs des programmes ne favorisent pas leur épanouissement et peuvent leur être néfastes. Certains, du fait aussi de la mondialisation des programmes télévisés, heurtent leur sensibilité. Les programmes sont conçus et diffusés pendant les heures de grande audience. On ne sait plus quel programme est fait pour qui, pour quand et pourquoi… Seuls les enfants sont victimes de cette mauvaise politique de leur protection dans les médias.

Pour un meilleur auspice des enfants dans les médias sénégalais, la Cellule d’appui à la protection de l’enfance (Cape), en collaboration avec l’Unicef et la Convention des jeunes reporters du Sénégal (Cjrs), a réuni, fin juillet à Saly, une trentaine de professionnels des médias autour du thème ‘’Ethique journalistique et droits de l’enfant : quels regards des professionnels’’. Une initiative visant à sensibiliser et à outiller les journalistes afin qu’ils puissent adopter une nouvelle démarche et prendre à bras-le-corps cette problématique. Pour le président du Comité d'observation des règles d'éthique et de déontologie (Cored), le jeune public n’est pas souvent préparé aux images qu’il reçoit. ‘’Dans les médias, les enfants ne sont pas protégés des images violentes comme les attentats et certains sujets violents. Ils sont souvent laissés à eux-mêmes. Rien n’est préparé pour leur épargner cette mauvaise publicité dont ils sont victimes. Ils reçoivent toutes sortes d’images. Pour éviter certaines dérives dans les médias, il appartient donc aux professionnels d’accepter d’être des militants de la cause des enfants dans les médias’’, préconise Bakary Domingo Mané.

Poursuivant son réquisitoire, le journaliste-formateur en charge de l’instance d’autorégulation des médias estime que les journalistes se doivent d’être au cœur de la politique de protection des enfants dans les médias.

‘’L’enfant n’échappe plus aux bombardements incessants des médias’’

Du matin au soir, en cette période de vacances, les programmes télévisés défilent, avec parfois leur lot de conséquences pour le jeune public innocent. D’après le journaliste-critique d’art Ababacar Diop dit ‘’Baba Diop’’, l’enfant n’échappe plus, de nos jours, au Sénégal, aux bombardements incessants des médias. ‘’Chaque jour, il y a une multitude de sujets qui traitent de faits-divers. Ces faits-divers peuvent engendrer des traumatismes chez les enfants. On peut prendre l’exemple de l’émission ‘Teuss’ (animée du lundi au vendredi sur Zik Fm). Dans ce cas précis, l’enfant qui écoute tout ce que les gens racontent en direct peut dire à quoi bon maintenant d’avoir une mère ou un père ? C’est dangereux de raconter des sujets de la sorte à l’antenne. Faisons attention !’’, s’exclame et se désole le journaliste spécialisé en culture et en ethnomusicologie.

‘’Matière sensible’’

Aussi, l’ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire ‘’Warango’’ demande gentiment à tous les professionnels des médias de ne jamais ‘’perdre leur cœur d’enfant’’ et de penser au chérubin, quand ils se lancent dans une production quelconque. ‘’L’enfant d’aujourd’hui est l’adulte de demain. Donc, les journalistes doivent faire attention à tout ce qu’ils publient dans les médias. Il est urgent qu’ils participent à son éducation, à son épanouissement et à son éveil de conscience, et éviter de le bombarder des images et faits-divers pouvant le traumatiser’’, plaide Baba Diop.

De son côté, le représentant de l’Unicef trouve que la protection des enfants dans les médias est une ‘’matière sensible’’. Pour y parvenir, affirme Moussa Diop, il faut adopter une nouvelle démarche et de meilleures approches. ‘’La protection des enfants dans les médias nécessite un travail de fond et demande une certaine rigueur’’, poursuit-il.

Une thèse corroborée par ce magistrat en service à la Cellule d’appui à la protection de l’enfance. De l’avis de Mame Ngor Diouf, les médias violent très souvent les droits de l’enfant. En lieu et place de leur donner la parole, M. Diouf soutient qu’ils leur produisent des ‘’contenus inadaptés’’. Pour étayer son propos, il cite ce proverbe qui dit : ‘’Le monde ne nous a pas été légué par les adultes, il nous a été prêté par les enfants.’’ Selon lui, ce proverbe invite les professionnels des médias à une introspection et leur permet de ne pas ‘’violer les droits de parole des enfants’’. Il faut, souligne Mame Ngor Diouf, mettre en avant l’intérêt supérieur de l’enfant.

Pour sa part, l’adjoint au préfet du département de Mbour, Alseyni Bangoura, indique que pour venir à bout de cette problématique, il faut surtout accepter de partager toutes les questions essentielles relatives à la protection des enfants. Ainsi, ajoute-t-il, que le droit de l’enfant à accéder à l’information ne donne pas le droit aux médias de mettre à leur disposition des contenus violents.

Le Sénégal, champion dans la ratification des conventions et traités

Le Sénégal est champion dans la ratification des conventions, des traités… Mais connaît des difficultés dans la mise en œuvre. Dans la Déclaration de Genève (Suisse) de 1924 sur les droits de l’enfant, il est prévu également d’accorder une protection spéciale à chaque enfant, dès sa naissance. Avec les médias qui produisent parfois des contenus inadaptés pour eux, les enfants méritent cette protection et assistance spéciale. Mais rien ! On ratifie, on produit de beaux textes qui, très souvent, sont rangés dans les tiroirs. Et les médias continuent à régner en prenant en otage ce jeune public innocent et parfois laissé à lui-même.

GAUSTIN DIATTA (THIES)

DR LAMINE FALL, RESPONSABLE DE L’UNITE DE PEDOPSYCHIATRIE A FANN

‘’Les enfants connaissent des retards de développement à cause de cette violence dans les médias’’

Les contenus violents produits par les médias peuvent avoir un impact négatif sur le développement psychique de l’enfant, a confié à ‘’EnQuête’’ le Dr Lamine Fall, responsable de l’Unité de pédopsychiatrie de l’hôpital Fann. Dans cet entretien, l’enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar décortique la problématique de la violence des médias sur les enfants et affirme que ces derniers en souffrent énormément.

Docteur, qu’est-ce qui fait violence dans les médias aux enfants ?

Tous les contenus audio, visuels, mais aussi les contenants, c’est-à-dire la façon dont ces images et sons ont été montés dans leur succession. Il y a des effets qui sont recherchés. Le journaliste ou le technicien de la communication peut parfois rechercher un effet sans tenir compte de l’âge du public qui peut être un enfant. Il y a aussi un élément qui déborde, c’est la durée de l’exposition qui peut favoriser l’aspect violence dans les médias. Les enfants regardent souvent des tueries à la télévision, voient du sang et d’autres actions violentes. Ce qui me semble violent dans ce rapport, c’est cette capacité de désorganiser l’unité psychique de l’enfant. Cela a un impact destructeur à court, moyen ou long terme.

En quoi ces contenus ou images violents peuvent avoir des effets traumatisants chez les enfants ?

Cela va être d’autant plus que traumatisant. Car l’enfant aura du mal à y mettre du sens. A notre époque, on n’en parlait pas suffisamment. Mais nous avions été tous victimes de ces contenus ou images violents. Aujourd’hui, aborder la question liée aux médias, c’est non seulement prévenir les difficultés pour les enfants dans leur développement. Ils sont les êtres les plus vulnérables, les plus sensibles et les plus exposés aux risques. Mais aussi peut-être les moins responsables. 

Et, malheureusement, ce sont les adultes qui produisent ces contenus. Pour résoudre cette question, il faut que les adultes prennent connaissance de tous ces facteurs de risque et de construire les contenus, la forme de l’information pour que ça soit le moins violent possible. Imaginer un monde sans violence est une utopie. Mais il faut réduire les niveaux de violence et les risques de traumatisme pour arriver à offrir un niveau supportable. Les contenus ne sont pas facilement consommables par n’importe quel enfant et dans n’importe quelle culture. Un enfant qui a vécu certains aspects traumatisants, c’est son histoire personnelle. Quand il rencontre cette même situation dans un film ou reportage, il lui sera difficile d’oublier ces aspects traumatisants. Ces éléments peuvent continuer à être destructeurs pendant plusieurs années. Il y a lieu, à ce niveau, d’insister sur le risque zéro.

Quel est l’impact de la violence médiatique sur la vie familiale et le développement de l’enfant ?

Il est à tous les niveaux. Mais pour ce qui concerne les enfants, c’est surtout sur leur développement. On m’amène en consultation des enfants qui ont été retardés dans leur développement aussi bien du langage, au niveau psychomoteur, scolaire, social et surtout relationnel. Certains ont même une déviation dans leur développement. Aujourd’hui, c’est devenu une tendance. On voit des enfants avec des outils extrêmement chers et qui leur font plus de mal que de bien. La télé, les jeux vidéo, l’Internet ou encore la radio ne peuvent pas remplacer les parents. De plus en plus, les enfants sont envahis par les écrans et l’image. Leurs habitudes ont changé aussi bien au niveau relationnel et de la recherche de connaissances. Les enfants cherchent à découvrir et tombent parfois sur des contenus qui heurtent leur sensibilité. La réalité peut être confondue avec la fiction, pour les enfants. Les enfants connaissent des retards de développement à cause de cette violence dans les médias. Le risque est encore présent et il faut s’arrêter pour essayer, ensemble, de trouver des solutions.

Comment protéger le jeune public de ces contenus violents qui apparaissent tous les jours dans les médias ?

Je pense qu’au-delà de protéger des contenus, les parents doivent agir à la maison pour épargner les enfants de ces risques. Les médias produisent les contenus, mais ne connaissent pas les récepteurs. A ce niveau, les parents qui connaissent leurs enfants doivent leur éviter une certaine exposition. Mais cela suppose qu’ils soient disponibles pour les avertir à temps. Malheureusement, ce que l’on voit, c’est que beaucoup de parents laissent leurs enfants s’exposer. Ils ne prennent pas le temps de mesurer le risque. Au contraire, certains parents pensent même que la télévision, l’Internet, la vidéo et autres sont toujours de bons outils. Les médias produisent. 

Ceux qui sont en contact permanent avec les enfants, c’est-à-dire les parents, doivent les protéger contre toutes formes de violence, tout danger et de tout risque. Quand on parle d’abus sexuel et de rapts d’enfants dans les médias, les enfants découvrent des risques. Il est important de permettre aux enfants d’être au même niveau d’information que nous. Mais en faisant en sorte que ça ne soit pas trop excessif. Si les producteurs des contenus ne réduisent pas cet excès, ça devient trop violent, parce que l’enfant déborde dans sa capacité de compréhension et de réaction. Cela peut détruire ses moyens et ses capacités de développement. Le risque est là depuis très longtemps et c’est comme si on n’a rien vu. J’ai eu la chance de rencontrer des enfants et adolescents qui ont souffert de cette violence et qui souffrent encore. Le temps que les enfants passent devant l’écran a un impact extrêmement négatif sur leur développement.

Cette problématique est assez complexe. Comment faire pour épargner les enfants de tout risque ?

A ce niveau, il faut que les professionnels des médias mettent en avant l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela dit, il faut être à l’écoute de l’enfant et avoir une certaine expérience de ce dernier. Dans ce cas, il faut s’adresser aux enfants pour voir comment ils réagiraient à votre diffusion. C’est une attitude éthique. Je pense qu’avant une large diffusion, il faut d’abord tester les produits pour minimiser certains risques et impacts violents.  

PAR G. DIATTA (THIES)

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