Publié le 27 Feb 2020 - 19:24
COUR DE JUSTICE DE LA CEDEAO

Les juges demandent le respect de ses décisions juridictionnelles 

 

Les juges et avocats de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) plaident pour le respect, par les Etats membres de cette union, des décisions de justice rendues par celle-ci. Ils l’ont fait savoir hier, lors d’un atelier organisé à Dakar, dans le cadre d’une mission de sensibilisation.

 

Créée depuis 1991 et fonctionnelle à partir de 2001, la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a prévu, dans ses protocoles, que chaque Etat membre de la CEDEAO désigne une structure ou autorité qui, en interne, sera chargée de l’exécution des décisions de la cour. Depuis lors, le vice-président de la Cour de justice de la CEDEAO a relevé qu’il n’y a seulement que 6 Etats qui l’ont fait. ‘’L’exécution d’une décision de justice par les Etats émane, d’abord, d’une volonté politique. Car l’Etat, c’est la personne morale, la puissance publique. Il est insaisissable. On ne peut pas imposer une exécution forcée contre un Etat. Donc, quand on rend une décision, selon que l’Etat veille l’exécuter, il le fait’’, explique Gbéri-Bê Ouattara, un des 5 juges de cette cour.

 Il s’exprimait hier, lors d’un atelier tenu dans le cadre d’une mission de sensibilisation à Dakar.

 Cependant, le vice-président de la Cour de justice de la CEDEAO signale qu’il est prévu, dans les dispositifs, que les décisions de la cour sont ‘’contraintes’’, ‘’exécutoires’’ ; elles s’imposent aux Etats qui sont tenus de les exécuter. ‘’Donc, il appartient aux Etats de respecter leurs engagements. En plus de cela, il y a des sanctions politiques dont l’application ne relève pas de la cour. Il est prévu la suspension de l’Etat, l’inclusion de ses ressortissants dans la sélection pour occuper des postes de responsabilité, etc. Depuis 2005, date à laquelle le volet Droits de l’homme a été ajouté, il y a un boom des saisies de la Cour de justice de la CEDEAO. Aujourd’hui, nous avons eu une multitude de procédures’’, dit-il.

Au-delà du défaut d’exécution de ses textes par les Etats de la communauté, d’après M. Ouattara, la cour a beaucoup de défis à relever. ‘’Nous sommes passés de 7 à 5 juges. Au même moment, le contentieux s’est multiplié par 10. Le mandat de la cour a été réduit. C’était 5 ans renouvelable pour les juges et maintenant, c’est 4 ans non recouvrable. Ce qui veut dire que la cour n’a pas de mémoire, elle n’a pas de stabilité. Tous les 4 ans, on change de juges et l’équipe qui arrive sans base et celle qui part sans arrière. Il y a beaucoup de problèmes’’, renchérit-il. Selon lui, il faut revisiter certains aspects du règlement et des protocoles pour les harmoniser.

‘’Il y a aussi bien des challenges textuels qu’humains. Mais il faut espérer que nos Etats comprennent que si la cour devient une juridiction, une institution forte, on gagnera. Car c’est un gage de sécurité, de paix, de protection des Droits de l’homme et de développement. On ne peut concevoir un développement durable, réel, sans qu’il y ait une justice forte et respectée’’, préconise M. Ouattara.

Protection des Droits de l’homme

Au fait, la Cour de justice de la CEDEAO, en plus de ses fonctions habituelles, a maintenant le volet protection des Droits de l’homme. Donc, il est important, d’après son vice-président, que les populations soient informées sur ses procédures.

A ce propos, le directeur de la Recherche et de la Documentation précise que cette compétence en matière des Droits de l’homme est ‘’subsidiaire’’ à celle des juridictions internes des organes internes. ‘’Ce qui veut dire que pour qu’elle puisse avoir un impact dans le processus d’intégration, il faudrait qu’elle puisse exercer son mandat en la matière. Ceci en interprétant et en appliquant des traités et droits dérivés, adaptés par la CEDEAO’’, dit Me Ousmane Diallo. Ainsi, l’avocat appelle ses collègues des Etats membres de la CEDEAO’’ à invoquer les textes de la communauté au niveau interne et, dans le cas où il y a doute sur le sens, la portée ou la validité, renvoyer les questions devant la Cour de justice de la CEDEAO’’.

Un deuxième domaine qui doit permettre à la cour d’avoir un impact visible dans le processus d’intégration régionale, c’est le contrôle du respect, par les Etats membres, de leurs obligations communautaires.  Car il signale que des règles communes concernant la libre circulation des personnes et des biens ont été établies de même que la liberté d’établissement pour les différentes professions.

Mais, d’après Me Diallo, ces règles sont ‘’plus effectives’’ dans l’espace UEMOA que CEDEAO’’. Parce que ces procédures ne remontent pas vers la cour. Or, celle-ci ne peut pas s’autosaisir. ‘’Nous connaissons tous les difficultés entourant les échanges entre le Nigeria et certains des Etats membres de la CEDEAO’’, notamment le Bénin, avec la fermeture de ses frontières. Nos chefs d’Etat ont même récemment mis en place une commission à Addis Abeba, pour examiner le dossier et l’aplanir. Or, la Cour de justice de la CEDEAO’’ a un rôle à jouer dans ce domaine. Puisque nous avons des textes. Malheureusement, l’exercice de la compétence de la cour est contraint par la saisine’’, regrette le directeur de la Recherche et de la Documentation de cette cour.

Bâtonnier : ‘’La cour est devenue un espoir pour les justiciables’’

Sur ce, Me Diallo a lancé un appel pour que ses collègues avocats revisitent les missions de la cour, ses compétences, pour pouvoir au mieux conseiller leurs clients. ‘’Aujourd’hui, notre espace communautaire n’est pas un espace de souveraineté où chaque Etat est libre de prendre la voie qui lui convient. Au niveau communautaire, des règles ont été établies et qui définissent un certain nombre de principes que le protocole de 2001 sur la bonne gouvernance et la démocratie a appelé principes de convergence constitutionnelle’’, rappelle Me Diallo.

D’ailleurs, pour mieux outiller les citoyens des Etats de la CEDEAO’’ par rapport aux procédures de cette institution, notamment ses modes de saisine, ses compétences et son fonctionnement, la cour mène elle-même une mission de sensibilisation. Chaque année, elle va à la rencontre des citoyens de certains Etats, en général 4 pays par an, pour s’entretenir avec eux, leur faire comprendre les procédures en vue de les amener à connaitre davantage la cour et à s’approprier le droit communautaire. L’année dernière, ils avaient mis l’accent sur les pays anglophones et lusophones, en visitant le Cap-Vert, la Sierra Leone et le Liberia. Ensuite, la conférence internationale de la cour a été organisée au Ghana. Cette année, ce sont les pays francophones qui ont été mis en avant. Il s’agit de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Niger et du Sénégal.

Cependant, au Sénégal, le bâtonnier de l’Ordre des avocats a relevé que la notoriété de cette cour s’est bâtie autour de quelques affaires : Hissène Habré, Karim Wade, Khalifa Sall, etc. ‘‘Elle est devenue un espoir pour les justiciables, notamment lorsque les mécanismes internes ne donnent pas satisfaction’’, témoigne Me Pape Leyti Ndiaye. D’après lui, la Cour de justice de la CEDEAO contribue à réduire les ‘’inégalités démocratiques’’, à travers le statut uniforme de l’Etat de droit et de la démocratie.

MARIAMA DIEME

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