Publié le 14 Dec 2020 - 18:38
COVID-19 ET MESURES RESTRICTIVES

Une année blanche pour le secteur culturel

 

La décision du ministre de l’Intérieur de fermer les salles de spectacle, eu égard à la courbe de progression de la Covid-19 au Sénégal, met artistes et acteurs culturels dans le désarroi. L’Association des métiers de la musique du Sénégal évalue une perte de 4 milliards de francs CFA pour la musique et plus de 100 milliards pour tout le secteur culturel.

 
 
Jusqu’à nouvel ordre, le gouvernement a décidé de suspendre toutes les autorisations de faire de la musique, des chants et danses dans les débits de boissons antérieurement accordées sur l’étendue du territoire régional. Cette décision s’ajoute à celles consistant à interdire les rassemblements au niveau des plages, terrains de sport, salles de spectacle et espaces publics.
 
Ces ordonnances n’enchantent pas les artistes et les acteurs culturels qui sont déjà troublés par les effets de la première vague de cette pandémie. En effet, ces derniers, qui sont pratiquement en chômage technique durant toute l’année, espéraient des rentrées de fonds conséquentes durant la période de la fin de l’année.
 
Ainsi, avec les nouvelles mesures de restriction prises par le gouvernement, les annulations et reports d’évènements et de projets se succèdent à nouveau. Dans le lot des artistes qui ont vu leur évènement être déprogrammé avec la nouvelle décision ministérielle, figure Wally Seck. Le chanteur a dû annuler la soirée qu’il devait animer hier. ‘’C’est une catastrophe !’’, se désole le manager du Raam Daan. ‘’Quand une société se met à l’arrêt, elle a des problèmes pour payer ses employés qui doivent pourtant payer les frais de scolarité des enfants, la popote, les factures d’eau et d’électricité, etc. C’est un désastre. C’est compliqué’’, a confié Mamadou Koné à ‘’EnQuête’’.
 
Selon lui, les pertes sont inestimables. ‘’Après le déconfinement du premier passage de la pandémie, les gens ont pris d’assaut les lieux de spectacle pour évacuer leur stress. Ce qui fait que ce sont des revenus considérables qui sont en train d’être perdus’’, a-t-il estimé au cours d’un entretien avec ‘’EnQuête’’. ‘’Nous, nous avions déjà prévu d’ouvrir une nouvelle boite dans la semaine de la fête de Noël. Nous avions aussi l’intention de faire un évènement pour le Nouvel an. Et ça aussi, c’est à l’arrêt. Tout ça, c’est tombé dans l’eau actuellement. Donc, les pertes, nous n’allons pas seulement l’évaluer à l’évènement de ce dimanche qui vient d’être annulé’’, a ajouté celui qui considère que les directives du ministre de l’Intérieur sont venues de manière ‘’subite’’.
 
Dug E Tee et Didier Awadi subissent également les conséquences. Le groupe Positive Black Soul (PBS) a, en effet, annulé son concert ‘’Time For Live’’ de ce samedi, et a informé de procéder au remboursement des tickets vendus à partir de ce lundi. ‘’Au Sénégal, il y a ceux à qui on interdit de travailler dans l’ordre et ceux qui peuvent s’amuser dans le désordre’’, s’est indigné Dug E Tee.
 
Joint par ‘’EnQuête’’, le président de l’Association des métiers de la musique, Daniel Gomes, déclare : ‘’C’est bien de prendre des décisions, mais il faut savoir que les artistes sont les premiers à penser qu’il faut sensibiliser les populations sur les risques de la maladie. Et ils ont été les premiers à se mettre aux avant-postes.’’ Mais aujourd’hui, poursuit-il, ‘’ils font partie des gens les plus touchés, parce que le secteur ne travaille pas. Et cela fait presque un an. Et c’est au moment où on va redémarrer les activités que la pandémie s’est manifestée (encore). Nous sommes en fin d’année. Donc, c’est une année blanche’’.
 
Pour lui, ces artistes dont on sollicite les services lorsqu’on a besoin qu’ils portent des messages, ne sont pas entendus par les décideurs. ‘’C’est des pères de famille, des mères de famille qui ont des charges et qui n’ont, pendant un an, aucune formule d’aide possible pour subvenir à ce manque à gagner’’, a-t-il regretté. ‘’Qu’est-ce qu’on met en face pour ces gens qui subissent les préjudices ?’’, dit-il, attirant ainsi l’attention du président de la République sur ‘’ce drame social’’ qui est en train de se jouer. ‘’On a déjà vu des couples qui se sont brisés. On a vu des artistes vendre leurs instruments ; d’autres sont expulsés de leur lieu d’habitation. C’est une catastrophe nationale’’, relève-t-il.
 
‘’Demande de manifestation silencieuse’’
 
Tout comme le manager de Wally Ballago Seck, M. Gomes aussi estime que la décision est venue de façon brusque. Et qu’il fallait peut-être attendre le début du mois de janvier pour prendre une décision concertée. Car décembre, c’est la période festive, des grandes fêtes de fin d’année ou le secteur de la musique, de façon générale, fait plus de chiffres d’affaires. ‘’Ça a été la résilience, quand les gens se sont dit que ça commence à reprendre petit à petit, parce que la tendance (de la maladie) était à la baisse. Donc, tout le monde voyait l’avenir un peu plus rose. La période de décembre n’allait pas permettre de récupérer tout ce qu’on a perdu, mais au moins, il y avait des perspectives de travailler et pouvoir au moins se positionner avec un peu de provisions pour tenir le coup, en attendant le démarrage effectif des activités’’, a-t-il préconisé.
 
D’après lui, actuellement, ‘’c’est tout un château de cartes qui s’écroule’’, estimant que les artistes étaient pourtant ‘’très confiants’’ pour la relance.
 
‘’Mais là, les artistes ne savent plus quoi faire. Nous ne pensons même pas à la fête. Nous fléchissons sur comment terminer cette année, parce que nous avons des dettes et un avenir incertain’’. Rien que pour la musique, l’AMS avait estimé à 4 milliards francs CFA de pertes pour cette année. Pour toute la culture, ‘’on peut facilement dire que ça dépasse les 100 milliards’’, selon Daniel Gomes.
 
Ainsi, l’AMS s’est jointe à la Coalition des acteurs de la musique qui regroupe 14 organisations. Elles veulent faire une manifestation silencieuse pour sensibiliser les gouvernants sur l’impact de la pandémie sur la vie des artistes et acteurs culturels. ‘’On s’est dit qu’on va demander la permission au niveau de la préfecture, pour qu’on nous donne dans les trois jours la place de la Nation. Ce n’est pas pour une marche ; c’est pour qu’on s’y assoie, tout en respectant les mesures d’hygiène. Chacun avec son instrument, son gel, son masque et sa pancarte, on va sensibiliser l’opinion sur le drame que sont en train de vivre les artistes. Peut-être, en ce moment-là, les autorités pourront comprendre l’ampleur des dégâts pour enfin qu’on s’asseye et travaille ensemble pour chercher des solutions’’.
 
Par ailleurs, Daniel Gomes veut un plan de relance pour, une fois que cette pandémie de la Coviid-19 se termine, que les artistes et acteurs de la culture puissent avoir les ressources nécessaires leur permettant de redémarrer correctement leurs activités. Parce que, selon lui, ‘’ce sera très dur, si on doit démarrer à partir de zéro’’.
 
BABACAR SY SEYE

 

 

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