Publié le 27 Jul 2020 - 17:31
COVID-19 ET RUPTURES FRÉQUENTES DE MÉDICAMENTS

Dr Annette Seck invite à s’affranchir des firmes pharmaceutiques

 

Il est aujourd’hui difficile, pour certains patients, d’accéder à leurs médicaments, à cause des ruptures récurrentes. Cette situation, exacerbée par la Covid-19, pousse la directrice de la PNA à demander aux prescripteurs de changer leurs ordonnances et ne plus être sous le joug des firmes pharmaceutiques. Amadou Kanouté de Cicodev prône, lui, une souveraineté pharmaceutique. 

 

Depuis quelque temps, on constate de plus en plus de ruptures de médicaments. Une situation très préoccupante pour le traitement de certaines pathologies. Mais qui, également, cause de nombreuses contraintes aux malades qui ne cessent de pointer du doigt la Pharmacie nationale d’approvisionnement (PNA). Au point que la directrice générale de ladite structure soit montée, hier, au créneau pour inviter les gens à ‘’s’attaquer aux maux au lieu de (leur) servir des mots’’.

Dans une déclaration parvenue à ‘’EnQuête’’, le docteur Annette Seck Ndiaye souligne que l’heure est venue de changer de paradigme, en matière de prescription, pour améliorer la qualité de la prise en charge thérapeutique des populations.  Il faut, dit-elle, tout simplement, d’une part, commencer par prescrire les médicaments sous la forme de leur dénomination commune internationale (DCI). D’autre part, elle demande d’utiliser de manière optimale les équivalences thérapeutiques.

Selon elle, il n’est, en effet, plus concevable qu’en 2020, les populations continuent de faire le tour des officines de pharmacie à la recherche de spécialités. Ce, dit le Dr Ndiaye, pendant que le produit existe sous sa forme DCI dans les officines et/ou dans les postes ou centres de santé. ‘’Prescrire en DCI, c’est faciliter la tâche au pharmacien qui s’évertue à proposer un produit de substitution, tout en restant dans l’orthodoxie en la matière. Toutefois, il est quelquefois difficile de convaincre des populations pas suffisamment préparées à cet exercice’’, justifie le Dr Seck.

La DCI, précise la directrice générale de la PNA, est conçue par l’Organisation mondiale de la santé. ‘’Elle est universelle et correspond au principe actif du médicament. C’est donc une désignation scientifique. Le paracétamol et la morphine sont des DCI, tout comme le phénobarbital commercialisé sous le nom de gardenal est une DCI. Il faut éviter de créer la panique et la confusion dans l’esprit des populations’’, fustige-t-elle.

Pour la directrice générale, les prescripteurs doivent aider les patients à trouver le bon produit au bon endroit et éviter de les amener à recourir au marché informel. Surtout éviter de les exposer ainsi aux risques liés aux médicaments contrefaits qui s’y trouvent. ‘’Les prescriptions sous forme de DCI familiarisent les utilisateurs avec le traitement et son mode d’action. Elles participent grandement à une forme d’éducation à l’usage de médicaments’’.

‘’N’ayons pas de scrupules. Développons le marché des génériques de qualité’’

Si nous voulons soulager nos populations qui supportent encore en grande partie le lourd fardeau des dépenses de santé, soutient le Dr Seck, il est grand temps de s’affranchir des stratégies commerciales des firmes pharmaceutiques. Qui, dit-elle, dans leurs éternelles guerres de positionnement, n’hésitent pas à faire subtilement la promotion de leurs produits en annonçant, tambour battant, leur rupture sur le marché. ‘’N’ayons pas de scrupules. Développons le marché des génériques de qualité. Les pays qui ont obtenu leur souveraineté en matière de médicaments l’ont obtenue, parce qu’ils ont osé devenir des génériqueurs’’, fait-elle savoir. Pour elle, en adoptant cette stratégie, ils contribuent à la promotion et au renforcement de l’industrie pharmaceutique locale. En même temps, ils se dressent en bouclier contre les monopoles.

Selon le Dr Annette Seck Ndiaye, la demande de plus en plus importante de médicaments, particulièrement dans le contexte sanitaire actuel marqué par la pandémie à coronavirus Covid-19, ainsi que la complexité du marché pharmaceutique international, doit amener tous les acteurs de la santé à se réajuster. Mais surtout à s’inscrire dans une dynamique de gestion rationnelle des produits de santé. Elle souligne que tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement privés comme publics sont impactés par la pandémie et ce dans tous les pays. ‘’Les pénuries de médicaments sont mondiales. Les incertitudes dans l’approvisionnement sont de plus en plus importantes. Inutile de chercher midi à quatorze heures. L’industrie pharmaceutique n’a pas été épargnée par la pandémie et les gros importateurs comme notre pays payent le plus fort tribut des restrictions liées à une offre bien en deçà de la demande. Les pays producteurs se servent d’abord avant de servir les autres, bien entendu’’, explique-t-elle.

Dans la même veine, le directeur exécutif de l'Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (Cocidev), Amadou Kanouté, soutient que la souveraineté pharmaceutique est bien à propos, aujourd’hui. D’autant plus que tout le monde s’accorde à dire que la Covid présente une opportunité pour les pays de produire autant que possible les médicaments qui peuvent être produits chez eux. A son avis, même s’il est difficile d’avoir entièrement une souveraineté pharmaceutique, ‘’il faut juste que nous soyons créatifs et que nous puissions nous assurer que certains médicaments qui ne peuvent pas être produits au niveau national puissent être faits au niveau sous-régional, au niveau de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). D’autant plus que l’Union africaine et le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad) sont en train de travailler à assurer une régulation du médicament en Afrique, l’ouverture d’un marché pour la production, la distribution des médicaments’’, renseigne, M. Kanouté.

 ‘’Il est urgent que nous allions vers notre souveraineté pharmaceutique’’

D’ailleurs, informe-t-il, un texte est adopté à ce niveau. Il a été soumis aux chefs d’Etat et aux ministres de la Santé des différents pays africains qui l’ont adopté. Il est absolument clair aujourd’hui, au vu de ce que la Covid nous a appris, que nous ne pouvons pas continuer à dépendre des autres pays pour nous assurer la production des vitamines C, les plus basiques. ‘’Nous ne pouvons pas continuer à dépendre des autres pays qui seront plus préoccupés à produire pour leurs propres citoyens qu’à produire et vendre. C’est le moment de tout repenser en termes de souveraineté. Que peuvent faire nos économies ? Cette souveraineté est alimentaire, médicinale, technologique. Nous estimons, à Cicodev, que tout ce qu’on peut produire et consommer chez nous, il faut le faire. Les ressources de ce pays doivent être orientées à cela’’, suggère-t-il.

En outre, le directeur exécutif de Cicodev estime que les prescripteurs doivent beaucoup plus penser à prescrire des médicaments qui sont à bon prix et de bonne qualité. Ce sont, dit-il, les médicaments génériques. Selon lui, ces médicaments ont fait leur preuve dans beaucoup de pays. ‘’Si nous ne nous battons pas contre les multinationales qui n’ont pas intérêt à ce que des médicaments génériques qui ne leur rapportent plus de dividendes puissent être produits et commercialiser, si nous ne faisons que nous ranger derrière ces multinationales, nos économies seront toujours dépendantes, la santé de nos populations sera toujours affaiblie par le simple fait que les médicaments vont coûter cher’’, fustige Amadou Kanouté.

Avant d’ajouter que cela pourrait pousser les populations à aller acheter les médicaments de rue, leur santé va en pâtir et leur économie, parce que leur argent n’aura servi à rien. Car, dit-il, elles ont acheté des médicaments dont les principes actifs ne sont plus tout à fait garantis. ‘’C’est pourquoi je suis d’avis qu’il est urgent que nous allions vers notre souveraineté pharmaceutique. Cela est possible. Si ce n’est pas au niveau national, il faut l’envisager au niveau CEDEAO de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ou au niveau continental’’.

VIVIANE DIATTA

Section: