Publié le 4 Apr 2020 - 00:03
COVID-19 - POLITISATION DES DONS

Les tenants d’une pratique opportuniste

 

Qu’ils soient membres de la mouvance présidentielle ou de l’opposition la plus radicale, certains partis politiques, voire responsables politiques, ont décidé de contribuer à l’effort de guerre contre la Covid-19, en mettant leur effigie ou le logo de leur formation politique sur les dons qu’ils apportent aux nécessiteux en période de crise sanitaire. Cet opportunisme politique fait parler. ‘’EnQuête’’ s’est penché sur le sujet avec des spécialistes.

 

‘’La commune de Golf Sud derrière Aïda Sow Diarra pour vaincre le coronavirus’’ ; ‘’La commune de Pikine Nord et son maire Amadou Diarra vous supplient de vous protéger contre le Covid-19, ensemble nous le vaincrons’’ ; ‘’Gel de main offert par Actions Guinaw Rails’’ ; ‘’Pastef (les patriotes du Sénégal) Balacoss, s’engage dans la lutte le corona : respectons les mesures pour éviter la propagation’’, etc. Ce sont, entre autres, les messages imprimés sur les t-shirts, bouteilles de gel hydro-alcoolique, sachets de dons contenant des vivres distribués par certains hommes politiques, en cette période de crise sanitaire.

Ils apportent, à leur manière, leur contribution à l’appel à la solidarité nationale lancée par le chef de l’État Macky Sall, face à l’expansion de la Covid-19 qui fait des ravages à travers le monde, de jour en jour. Ainsi, même en temps de pandémie, nos hommes politiques ne perdent pas le sens des affaires. Tous les moyens sont bons pour tirer la couverture à soi et se faire remarquer.

Cette politisation des dons ne semble pas étonner ce spécialiste de marketing social. ‘’Ce n’est pas très étonnant, venant des formations politiques. Ces partis, comme les personnes physiques, sont des personnes morales qui travaillent sur leur image. On est dans le temps de l’image de la communication tous azimuts, multicanale, surtout avec les réseaux sociaux. Tout le monde veut être au-devant. Donc, les politiciens, ainsi, cherchent la notoriété de leur parti, à améliorer l’image de leur parti auprès de l’opinion’’, explique Mamadou Lamine Mbengue.

Le professeur de communication sociale ajoute que les populations, également, ont tendance à voir qui a fait quoi. Donc, M. Mbengue souligne que cela les intéresse de savoir tout le temps ce que ces hommes font. ‘’Si on ne les voit pas, on va leur reprocher cela. Mais les politiciens ne sont pas des philanthropes. Ils cherchent le pouvoir, à contrôler l’opinion, à améliorer leur image. Donc, fatalement, ils ne peuvent pas rater cette opportunité, ce moment où tous les regards sont tournés vers cette histoire de Covid-19. Les solutions qui doivent être apportées à cet effet, s’ils peuvent se différencier, trouver des moments de capitaliser et en même temps de faire du bien, ceci pour leur parti, leur image et leur leader, ils ne vont pas se priver de le faire. C’est le contraire qui m’aurait étonné. Ils fonctionnent ainsi’’, renchérit notre interlocuteur.

‘’Leur objectif est d’être bien vus, dans ce contexte de recherche de solutions à cette pandémie’’

D’après lui, on est dans un environnement qui favorise ce type de comportement. Et même les personnes individuelles peuvent être ‘’tentées de se faire plus ou moins connaitre’’. L’objectif des partis politiques et de certaines personnalités est d’être bien vus, dans ce contexte de recherche de solutions à cette pandémie. Ils veulent une association : solution et leur image. C’est ce qu’on appelle, en marketing social, une association d’idées, de termes, dans l’imaginaire des gens. Que demain, quand on parle de ceux qui ont apporté des solutions à cette pandémie, qu’on puisse y associer leur image, leur identité. Ils ne seront pas en reste’’, dit-il.

Ainsi, même si les gens ‘’n’ont pas la tête à cela’’, fatalement, ils vont toujours les associer, ajoute-t-il. ‘’Les gens essaient d’identifier qui a fait quoi. On a même comparé Sadio Mané, qui a donné 30 millions de francs CFA, à Salah qui a donné plus de 720 millions de francs CFA. C’est la même chose pour les entreprises. Les gens vont profiter du classement qui sortira sur les montants des dons qui ont été faits. Après coup, les gens auront une lecture plus ou moins émotionnelle de ces choses’’, signale le professeur de marketing social.

M. Mbengue admet toutefois qu’il y en a qui ‘’veulent rester dans l’incognito’’, qui sont dans le mécénat pur. ‘’Ils le font pour Dieu’’, dit-il.

Pr. Moussa Diaw (politologue) : ‘’Il n’y a pas de place à la politique politicienne’’

Face à l’attitude de ces partis politiques (pouvoir comme opposition) face au coronavirus qui jure parfois avec ce qu’ils professent à longueur d’année, le professeur de communication déclare : ‘’Cela montre un peu qu’ils sont pris à leur propre jeu. Parce que la réalité politique du terrain est là. Ce ne sont pas seulement des théories. Dans la réalité, ils savent que, pour avoir un électorat, il faut faire certaines démarches. Ils essaient de se démarquer, de se singulariser par rapport à leur discours. Mais cela s’arrête au discours’’, affirme-t-il.

Le professeur de science politique, Moussa Diaw, insiste, lui, sur la nécessité d’une ‘’mobilisation de l’ensemble des forces de la nation’’, en cette période de crise, afin de ‘’soutenir’’ les mesures qui ont été prises par le gouvernement. ‘’Donc, il n’y a pas de place à la politique politicienne. Malgré cela, il y a une tendance de velléité de certains hommes politiques à manifester leurs activités politiques, à travers cette mobilisation nationale, en termes de don et d’aide, et notamment la publicité de leur effigie à travers ces dons qu’ils apportent au ministre de la Santé et de l’Action sociale. C’est admissible de voir ce genre de pratique. En ce moment, on est dans un contexte de crise, d’inquiétude, de psychose’’, poursuit-il.

Sachant que la pandémie est en train de faire des ravages dans le monde, un peu partout en Europe et commence à en faire de même en Afrique, M. Diaw pense qu’il faut ‘’se mobiliser’’ autour de la ‘’sensibilisation des populations’’, pour les mettre en garde contre les dangers liés à cette maladie. ‘’Parce que, quelque part, il y a des gens qui doutaient. Les leaders devraient donc mettre l’accent sur la sensibilisation, l’alerte auprès des citoyens, afin qu’ils respectent les mesures qui ont été prises, particulièrement les mesures d’hygiène, etc. C’est là qu’ils doivent mener des actions. Personne ne doit rester à l’écart. Dans ces mobilisations, ce qui compte, ce sont les actions, les décisions qui conviennent à la situation actuelle et qui sont à la mesure des enjeux qui sont sanitaires. Ce sont des questions de vie ou de mort’’, martèle le politologue.

En conséquence, M. Diaw trouve que tout ce qui est activité politique, que ce soit de la majorité ou de l’opposition, ‘’n’a pas de sens aujourd’hui’’. ‘’Il n’y aura pas répondant, parce que les populations ont la tête ailleurs. Elles sont plutôt terrorisées par cette maladie qu’on n’arrive pas à éradiquer dans des pays qui ont beaucoup plus de moyens, à plus forte raison dans nos pays qui ont des moyens modestes. Malheureusement, il y a des leaders qui n’ont rien compris, qui pensent qu’il faut profiter de cette situation-là pour faire de la politique. Ce sont des gens qui n’ont rien compris des enjeux de la politique’’, déplore-t-il.

Ceci fait dire à Mamadou Lamine Mbengue que ‘’tous les politiques, sur le fond, sont pareils’’. Selon lui, les politiciens sont dans une stratégie de conquête du pouvoir, de séduction de l’électorat. De ce fait, sur le principe, ils vantent ce qu’ils valent. Mais, prévient-il : ‘’C’est des déclamations. Parfois, c’est de l’arnaque intellectuelle. On sait très bien qu’ils n’y croient pas. Là, on se découvre. On voit leur vrai visage à travers leurs actes, leurs attitudes, leurs discours.’’ Le professeur de communication sociale est d’avis ‘’qu’au fond, c’est une question de positionnement. Les hommes politiques sont tous dans la même logique de conquête, de conservation de pouvoir à tout prix. La manipulation, les mensonges, etc., font partie de leurs vices’’, dit-il.

Ainsi, dans les situations de vulnérabilité, souligne M. Mbengue, ce sont les populations qui ‘’sont malheureusement bernées, qui perdent leur temps, qui sont arnaquées pour des chimères qui peuvent être pires que tout’’. Un moment qu’il juge ‘’complexe’’.

Distorsions

Devant cet état de fait, deux possibilités s’offrent aux populations, à ses yeux. Soit elles gardent ce système et essaient de faire avec, en l’améliorant lentement, soit elles le changent radicalement. ‘’Mais, quand on s’y met, on change tout : le système politique, celui social, les institutions, etc. Parce que tout est lié. Nous avons un Etat néocolonial, c’est ce qui explique les distorsions. On parle en français, mais les populations ne comprennent pas. Ce qui se passe avec la Covid-19, on en parle beaucoup. Les médias sont très impliqués, mais ils font dans l’information. Or, ce qu’il faut, c’est la communication au niveau des populations. Il y a un décalage énorme entre les relations entre les tenants du pouvoir et les populations. C’est cela le drame’’, regrette Mamadou Lamine Mbengue.

D’ailleurs, il indique que les distributions de dons peuvent créer des rassemblements, en une période où tout regroupement est interdit pour éviter des risques de contamination. ‘’Il faut que les gens sachent raison garder. Les enjeux sont très sérieux. Tout le monde doit être très responsable et arrêter cette récréation’’, insiste-t-il.

Le professeur Moussa Diaw ajoute, pour sa part, qu’on ne peut pas mettre la politique dans des situations de crise ou d’angoisse. C’est inadmissible. ‘’Il faudra interrompre ces pratiques-là. Ce n’est pas le moment. C’est plutôt la mobilisation, la sensibilisation ; c’est-à-dire alerter sur les dangers pour éviter la propagation de la maladie, surtout dans la capitale où il y a beaucoup de foyers. C’est ce qui est essentiel, plutôt que de songer à des considérations politiques. Les citoyens, d’ailleurs, ne pensent même pas à cela. Ils ne sont même pas attentifs à ce genre de pratiques. Chaque chose en son temps. Il n’y a pas de place à la politique’’, fulmine-t-il. Car, à son avis, cela risque de ‘’heurter les citoyens, de les frustrer’’.

‘’Ils peuvent penser que ces gens ne pensent pas à leur situation, au danger, mais plutôt à des fins politiques. Tout sera contre-productif, en ce moment. Parce que les gens n’ont pas le cœur à cela. Tout ce qui les intéresse, ce sont les mesures d’accompagnement, l’attention que le gouvernement porte à leur situation pour réduire la contamination et éliminer cette pandémie dans le pays. Afin que la vie puisse reprendre convenablement, le plus tôt possible’’, ajoute le professeur de Science Po.

Pour lui, la communication politique a son temps, son contexte. Pour ce faire, il faut que les citoyens soient dans de bonnes dispositions d’écoute pour capter le message qui leur est destiné. Mais si, psychologiquement, ils ne sont pas préparés, le message ne passera pas

Penda Cissé (porte-parole adjointe AFP) : ‘’Si on aide quelqu’un, on n’a pas besoin de le rendre public’’

Même s’ils sont de la mouvance présidentielle, les responsables de l’Alliance des forces de progrès (AFP) semblent, pour le moment, déroger à la règle. ‘’Au niveau de l’AFP, chacun est en train d’intervenir au niveau de sa base, avec des actions de sensibilisation au niveau des chefs de quartier, etc. Les actions de solidarité que nous sommes en train de faire, nous le faisons avec nos partenaires au niveau de la base. On le fait avec les collectifs et on n’a pas besoin de se distinguer. Je ne pense pas qu’on verra l’AFP dire qu’on a donné 100 millions ou des choses comme cela. Non’’, lance la porte-parole ajointe du parti.

Penda Cissé d’ajouter : ‘’Si on aide quelqu’un, on n’a pas besoin de le rendre public. On peut travailler discrètement et apporter notre contribution à la communauté. Et on le fait tous les jours. On ne va pas à la télé pour dire, de façon individuelle, qu’on a donné quoi que ce soit. Nous sommes sur le terrain et c’est ce qui est important’’, dit-elle.

Penda Cissé estime que la lutte contre cette pandémie se fait au niveau des territoires. Chaque maire travaille en direction des populations. Même si, poursuit Mme Cissé, les contributions se font au niveau national et sont gérées par le ministère des Finances, cela n’empêche pas aux collectivités territoriales de ‘’travailler pour les populations’’. ‘’C’est là que tout se joue. C’est pourquoi nous intervenons au niveau de nos bases, avec nos alliés à la base, la société civile, etc. C’est pour sensibiliser. Au niveau de ma commune, à Yoff, les gens ne sont pas encore conscients. Donc, il est nécessaire qu’on intensifie nos actions de sensibilisation, afin que les gens restent chez eux, évitent les regroupements. Il y a beaucoup à faire à ce niveau et c’est le plus important’’, conclut-elle.

Dans le cadre de ce papier, nous avons essayé d’interviewer ceux qui ont lancé ces dons avec des effigies de responsables politiques. Ils n’ont pas souhaité se prononcer.

MARIAMA DIEME

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