Publié le 16 Jul 2020 - 19:44
CREATION ET FONCTIONNEMENT DE CERTAINS SERVICES

L’orthodoxie administrative mise à rude épreuve

 

Entre incongruités, inefficacité, tâtonnements et inobservation des textes, l’Inspection générale d’Etat a aussi relevé, dans son rapport 2018-2019, les pratiques peu orthodoxes au sommet de l’Etat. 

 

Que d’insuffisances dans la création et l’organisation de certains services publics ainsi que dans leur fonctionnement. C’est ce qui ressort de la supervision minutieuse, effectuée par l’Inspection générale d’Etat (IGE), des passations de service consécutives à la formation du gouvernement en avril 2019. Deux constats majeurs ont ainsi été faits.

D’une part, un usage persistant et inapproprié du décret portant répartition des services de l’Etat. D’autre part, une rationalisation organisationnelle non encore achevée. ‘’Le recours à ce texte (décret portant répartition des services de l’Etat) pour créer ou supprimer des structures génère, à tout le moins, des difficultés pour apprécier le cadre organisationnel de référence des départements ministériels’’, relève le rapport.

Plusieurs exemples de discordance ont ainsi été signalés, suite à l’exploitation combinée du décret 2019-769 du 8 avril 2019 - remplacé par le décret 2019-910 du 15 mai 2019 - sur la répartition des services de l’Etat et des décrets portant organisation des ministères. En outre, l’analyse ‘’a aussi fait ressortir la création prématurée ou inappropriée de certaines structures et divers autres manquements’’.

Ces structures qui naissent et qui meurent en un laps de temps

C’est à se demander si la création de certaines structures obéit à des logiques d’efficacité et d’efficience. En tout cas, si l’on en croit les inspecteurs, elles sont nombreuses, les structures administratives à être portées sur les fonts baptismaux de manière hâtive, parfois inopportune. ‘’… Des changements itératifs naissent, à l’image de l’Administration, en laissant le sentiment d’une réflexion instable ou en gestation’’, lit-on dans le document.

Dès lors, il ne faudrait surtout pas s’étonner des institutions mort-nées ou bien qui connaissent des changements significatifs à peine après leur naissance. ‘’Les évolutions constatées, parfois sur une courte séquence temporelle, dans la dénomination, le statut juridique ou l’existence de certaines entités créées, trouvent à ce niveau un de leurs fondements’’, informent les enquêteurs.

A titre d’exemple, ils mentionnent l’Office national de la reforestation créé au ministère de l’Environnement à travers les décrets 2019-769 modifié par le décret 2019-9010. Selon l’IGE, ‘’moins de trois mois plus tard, est signé le décret 2019-1104 portant création de l’Agence sénégalaise de reforestation et de la grande muraille verte’’. Il en est de même de la suppression de la Direction de l’intensification de la main-d’œuvre et de la Direction de l’insertion professionnelle au ministère de l’Emploi, de la Formation professionnelle et de l’Artisanat. Deux directions qui ont été créées deux ans seulement auparavant. Les enquêteurs de rappeler l’orthodoxie administrative : ‘’La création d’une structure administrative ne devrait résulter que d’une étude sur son opportunité. Laquelle est une exigence légale s’agissant d’une agence, et s’inscrire dans une démarche processuelle fondée sur le triptyque réflexion-concertation-validation.’’

Pourtant, le décret 2017-314 s’est voulu on ne peut plus clair par rapport à cette question. Le texte prévoit que : ‘’La création ou la modification des structures administratives se fait dans le cadre des décrets relatifs à l’organisation des départements ministériels, après avis du Bom.’’ Certes, il peut y avoir des dérogations, en cas d’urgence. Mais, s’empressent de préciser les inspecteurs : ‘’L’urgence ne devrait être qu’une situation exceptionnelle, autrement dit rare.’’ Et de regretter : ‘’Or, la création et la suppression de structures au moyen du décret portant répartition des services de l’Etat ont tendance à devenir systématiques.’’

Rattachement injustifié de certains services

Outre ces anomalies, il a également été relevé le rattachement non justifié de certaines structures à des ministères, dans le cadre du décret de répartition des services de l’Etat. Tantôt, il s’agit de structures carrément privées ou de la coopération régionale ; tantôt, il s’agit d’entités dissoutes ou devenues sans objet. Il en est ainsi du rattachement de l’ADM (Agence de développement municipal) au ministère en charge des Collectivités territoriales ; de celui du CSE au ministère de l’Environnement. Selon leurs statuts, l’ADM et le CSE sont des associations à but non lucratif. ‘’Ces entités ne sont donc ni des services publics ni des entreprises du secteur parapublic’’, rappellent François Collin et son équipe.

De même, la mention dans ces décrets, au ministère chargé de la Culture, de la Sodav, est tout aussi inappropriée. Car, insistent-ils, la Sodav est une société privée dans le capital de laquelle ni l’Etat ni aucun de ses démembrements ne détient des parts.

Pourtant, la correction de cette anomalie a fait l’objet d’une directive présidentielle, suite à un rapport de passation, en 2017, de l’IGE. Malgré, les rappels à l’orthodoxie, l’Administration persiste dans ses propres incongruités. Dans le même ordre d’idées, l’IGE estime que l’OMVS, l’OMVG et l’Asecna n’ont pas leur place dans les décrets de répartition des services de l’Etat, puisqu’étant des organisations inter-Etats.

Autre fait cocasse qui n’a pas échappé à la vigilance des enquêteurs, concerne la mention de structures qui n’existent plus, au décret de répartition des services de l’Etat. Il en est ainsi de la Suneor et de la société du projet AIBD. Ces dernières étant mortes ou devenues sans objet.

Selon les inspecteurs généraux d’Etat, toutes ces situations ne pourront être évitées qu’en se conformant strictement à la vocation du décret portant répartition des services de l’Etat.

Prolifération des structures administratives

Tout au début de son mandat, le président Macky Sall avait entrepris un vaste chantier de rationalisation de l’Administration. A la lecture du rapport, il ressort que le mal reste plus que jamais actuel. Ces dernières décennies, rappellent l’IGE, ont vu la prolifération d’entités administratives au sein de l’Etat. Il en a résulté, selon les enquêteurs, ‘’des chevauchements de missions, des conflits de compétences, une multiplication de centres de décisions et une difficulté dans la coordination de l’action administrative’’. Citant son rapport sur la gouvernance de 2017, l’IGE attire l’attention sur une tendance plus récente consistant à créer des structures publiques dont l’organisation et le fonctionnement dérogent complétement aux normes établies, rendant ainsi difficile la détermination du référentiel qui leur est applicable. L’exemple des délégations générales était mis en exergue à cet égard.

‘’Dans le présent rapport, il s’agit de s’appesantir sur le cas des bureaux créés, notamment à la présidence de la République et à la Primature, avant la suppression du poste de Premier ministre’’, souligne le rapport. Selon les inspecteurs, une confusion s’est installée dans l’emploi, au sein de l’Administration sénégalaise, du concept de bureau qui peut désigner autant un service administratif qu’une administration de mission. D’après leur constat, ‘’il devient impératif de s’aligner sur le cadre de référence existant. Et dans l’hypothèse où ce cadre serait considéré comme non pertinent, de l’adapter en conséquence’’.

Par ailleurs, soutient l’organe de contrôle, ‘’la rationalisation des organismes ministériels et la fixation d’un référentiel commun aux administrations de mission sont indispensables à l’amélioration de la coordination, de l’efficacité, de l’efficience de l’action publique’’.

 Le moins que l’on puisse dire est que ces rappels à l’ordre ne semblent pas tomber dans l’oreille d’un sourd. En Conseil des ministres hier, le président de la République, qui en est le principal destinataire, a donné des instructions fermes. Il enjoint, selon le communiqué, son gouvernement à engager, en rapport avec l’IGE, le Bureau organisation et méthode, le contrôle financier, les diligences appropriées en vue de finaliser une nouvelle doctrine de pilotage des administrations de mission, des administrations décentralisées et du secteur parapublic, afin de relever définitivement l’efficience et la qualité du service public.

PARC AUTOMOBILE

Une désinvolture d’Etat

Derrière la gabegie dans l’achat des véhicules administratifs, se cachent de violations flagrantes et répétitives de la législation en vigueur.

A l’occasion de la Fête du Travail de 2019, le président de la République faisait la révélation hallucinante que l’Etat a consacré plus de 300 milliards F CFA, entre 2012 et 2018, à l’achat de véhicules administratifs, soit en moyenne plus de 40 milliards F CFA par an. Avec le rapport 2018-2019 de l’Inspection générale d’Etat, l’on en sait un peu plus sur les raisons de ce gaspillage énorme des deniers publics à travers l’achat de véhicules.

Plusieurs manquements à la législation ont ainsi été notés par les enquêteurs. Comme annoncé dans nos précédentes éditions, il y a, parmi ces manquements, le niveau élevé des acquisitions de véhicules administratifs en dehors du programme annuel de l’Etat, leur détention irrégulière et le défaut d’une visite technique annuelle constituent des manquements courants.

Des véhicules sans visite technique

Selon le rapport, les nombreuses anomalies notées dans l’utilisation des véhicules administratifs appellent à l’adoption de mesures fortes qui dissuaderaient toutes velléités de disposer indument des moyens de l’Etat. Ces mesures passent notamment par l’application des sanctions prévues dans l’instruction n°0019/PM/SGG/BSC du 5 novembre 2008 portant application du décret 2008-695 du 30 juin 2008. Pourtant, la règlementation est très précise en la matière.

En effet, aucune acquisition ne doit être effectuée en dehors du programme annuel, sauf si elle est dument autorisée. Et de ce point de vue, l’IGE est même allée jusqu’à recommander très clairement des sanctions très sévères pour mettre un terme à cette désinvolture contre le bien public.

Elle précise : ‘’Tout accident dans lequel la responsabilité du conducteur est engagée, soulignent les enquêteurs, doit être suivi d’une sanction disciplinaire et, le cas échéant, d’une sanction pécuniaire sans préjudice des poursuites pénales éventuelles. Des sanctions administratives rigoureuses, pouvant aller jusqu’au licenciement, sont infligées en cas d’accident survenu au cours d’une utilisation irrégulière d’un véhicule administratif.’’ Au cas où le conducteur a agi sur ordre de son supérieur, la responsabilité est alors imputée à ce dernier aux plans disciplinaire et pécuniaire, soutiennent les enquêteurs.

Au-delà de ces aspects, relèvent-ils, une réalité encore plus surprenante doit interpeller plus d’un. Il s’agit du défaut de visite technique annuelle des véhicules de l’Etat. Pourtant, l’instruction n°0019/PM/SGG/BSC du 5 novembre 2008, portant application du décret 2008-695 du 30 juin 2008, est pourtant sans équivoque. ‘’Il revient à la Direction des transports terrestres, en rapport avec l’Agence judiciaire de l’Etat et la DMTA, de prendre les dispositions nécessaires pour que les véhicules de l’Etat et de ses démembrements fassent l’objet, chaque année, d’une visite technique conformément au Code de la route’’, lit-on dans le rapport.

Les enquêteurs, au regard de tous ces manquements, estiment que ‘’le contrôle physique du parc de l’Etat et de ses démembrements par un recensement exhaustif, s’avère impérieux, compte tenu des dépenses qui y sont annuellement consacrées’’.

De fait, certains services administratifs semblent ériger en règle les prescriptions du décret 2008-695 du 30 juin 2008, réglementant l’acquisition, l’attribution et l’utilisation des véhicules administratifs… Lequel visait à améliorer l’efficience dans les acquisitions de véhicules et l’efficacité de la gestion du matériel. C’est dans cet ordre d’idées qu’il a été retenu l’acquisition de véhicules par une source unique, en l’occurrence le ministère chargé des Finances, dans le cadre du programme annuel de l’Etat ; l’établissement d’une liste limitative des ayants droit à un véhicule de fonction ; l’octroi d’un seul véhicule de fonction à tout bénéficiaire ; la gestion en pool des véhicules de service ; l’interdiction de tout usage à des fins privées des véhicules de service.

C’est, d’ailleurs, dans ce cadre que la CCVA (Commission de contrôle des véhicules administratifs) a été créée et rattachée, d’abord, au Secrétariat général du gouvernement, puis au SG de la présidence. Présidée par un inspecteur général d’Etat, il est composé d’un représentant de la présidence de la République, du ministère de l’Intérieur, du ministère des Transports terrestres et du ministère des Forces armées.

MOR AMAR

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