Publié le 27 Nov 2019 - 00:19
CRIMINALISATION DU VIOL

Les acteurs pour une accélération de la procédure

 

La Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes a coïncidé, hier, avec le lancement, à Dakar, de la campagne des ‘’16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux filles’’. Sociologues, juristes, psychologues, gynécologues et religieux en ont profité pour plaider pour la criminalisation du viol au Sénégal.

 

L’année 2019 a été particulièrement marquée par des cas de viol souvent suivis de meurtre dont les circonstances ont fait froid dans le dos. C’est face à la recrudescence de ces pratiques atroces que le président Macky Sall a officialisé sa volonté de criminaliser le viol (le 3 juin 2019), une demande ardente de plusieurs acteurs impliqués dans la lutte contre ce fléau.

Dans les textes juridiques sénégalais, le viol est dans la catégorie des infractions (délits), donc passible de peine d’emprisonnement ou de travaux forcés allant de 1 mois à 10 ans, avec une remise de peine selon la décision du juge.

Cependant, vu la récurrence du phénomène, le préjudice causé et les conséquences physiques, morales et psychologiques qui s’ensuivent, les associations de droits humains estiment que le criminaliser revient à sanctionner plus lourdement et dissuader de potentiels agresseurs. ‘’En tant que sociologue, de mon point de vue d’observateur, je dis qu’il faut passer à la criminalisation du viol. Il faut punir à la hauteur du préjudice qui est causé. C’est grave de voir cette impunité, de nos jours. Des individus jugés et emprisonnés pour viol sortent au bout de deux ou trois ans, comme si de rien n’était’’, pense la sociologue Fatou Diop Sall.

Elle ne manque pas, toutefois, de soulever un paradoxe dans la société sénégalaise : ‘’Si nous sommes tous d’accord qu’il faut criminaliser, il va falloir que cette loi s’applique à tout le monde. Il ne faudrait pas qu’il y ait un traitement spécial, quand il s’agit d’un proche ou enfant d’une personnalité politique ou d’un certain rang social. Et c’est à la population de dénoncer cette catégorisation de personnes devant la justice. Il faut que chacun joue sa partition en osant dénoncer les injustices. La même loi pour tout le monde, voilà ce que nous exigeons.’’

En passant au rang de crime (ensemble des infractions les plus graves en droit pénal) dans la loi, le viol doit être prouvé par le juge d’instruction et non plus le procureur. De plus, l’accusé risque entre 10 et 20 ans de prison, une peine qui peut atteindre la perpétuité, lorsqu’il est suivi du meurtre de la victime.

Par ailleurs, la peine maximale de 20 ans est requise pour les cas de séquestration, coups et blessures en plus du viol, viol collectif, viol sur femme enceinte et sur mineure.

Si la procédure de criminalisation est en cours, il n’en demeure pas moins que des aspects négatifs de cette loi sont à relever. Selon le directeur adjoint de la Division des affaires criminelles, Alassane Ndiaye, ‘’ce sont désormais des procédures beaucoup plus longues (plusieurs années) qui seront engagées. Un processus qui va réveiller chez la victime des souvenirs enfouis ou qu’elle se bat pour chasser. Certaines sont mariées quand la procédure suit son cours. Vont-elles vouloir rouvrir cette page de leur vie ? Il y a également des cas où un enfant nait de cet acte ignoble et que le coupable épouse la victime. J’en ai été témoin à Thiès. Dans ce cas, va-t-on emprisonner ce dernier ? Que va faire la loi ? Je pense que si criminalisation il doit y avoir, il faut qu’on en débatte sérieusement, afin que toutes les composantes de la société s’expriment, parce qu’il y a des revers’’.

La nécessité de revoir tout l’appareil juridique

Au Sénégal, plusieurs instruments juridiques tels que la Stratégie nationale de l’équité et l’égalité de genre, le Plan d’action national pour l’éradication des violences basées sur le genre ont été mis en place pour stopper le fléau. Au niveau international, on peut citer la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples, et son protocole additionnel relatif aux droits de la femme. Sauf que dans l’application, tous ces textes protégeant tous les citoyens, hommes et femmes, perdent leur sens. Les statistiques de l’Association des femmes juristes du Sénégal (Ajs) font état que sur 3 % de la population victime de viol (3 000 cas dont 600 incestes), seulement 35 % des victimes décident d’en parler. Des données bien en deçà de la réalité, si on sait que la majeure partie des victimes préfère garder le silence.

‘’La honte réduit les victimes au silence. Nous déplorons cette situation. Le désistement des victimes est la résultante de la pesanteur sociale. Toute la machine administrative sera mise en place pour la criminalisation et l’accompagnement des victimes’’, a déclaré la directrice de la Famille et de la Protection des groupes vulnérables. Dans la même veine, l’Association des femmes juristes estime qu’à défaut de criminaliser le viol, il est temps de renforcer l’appareil juridique sénégalais, de revoir la loi et de bannir la marge de manœuvre donnée aux juges. D’un point de vue psychologique, le traumatisme d’un viol est toujours aussi profond. Certaines femmes perdent toute estime de soi. Pour elles, c’est la fin de leur vie. Elles développent des troubles du comportement (troubles alimentaires par exemple). D’autres encore s’auto-accusent et peinent à mener une vie conjugale stable. Ce qui fait dire à la psychologue Ndèye Khaira Thiam qu’il est nécessaire, pour les victimes, d’en parler, parce que même 20 ans après, le traumatisme reste intact.

Une procédure judiciaire complexe

Les forces de défense et de sécurité constituent un maillon fort dans cette chaîne de rétablissement de la justice. Toutefois, elles rencontrent bon nombre de difficultés dans le déroulé de l’enquête.

En effet, la non-dénonciation, le désistement en cours de procédure ainsi que le manque de formation des forces de l’ordre pour la prise en charge de ce type d’affaire, figurent en première liste des obstacles. ‘’Nous rencontrons beaucoup de problèmes, lors des auditions. On a en face de nous une victime qui a subi un traumatisme profond, encore sous le choc et qui refuse de dire un seul mot.

D’autres encore sont bavardes et ne disent rien de cohérent. Et nous pouvons passer toute une journée à l’interroger. Il y a également le cas d’enfants qui refusent de parler en présence de leurs parents et pourtant, c’est ce qu’exige la loi. Donc, parfois, nous sommes obligés de faire des exceptions. Mais je pense que le fond du problème, c’est que les forces de l’ordre soient formées à l’écoute de la victime, sur la prise en charge des violences basées sur le genre, parce ce que ce sont des cas assez spéciales’’, déclare le commissaire Khadidiatou Sall.

Selon elle, malheureusement, la police n’est informée que bien après l’acte. Ce qui est évidemment source de disparition des preuves médico-légales. ‘’En tant que femme et mère, je suis pour la criminalisation du viol. C’est un plaidoyer que je fais sans ma casquette de commissaire. La recrudescence de cet acte est effrayante. J’exerce à Thiaroye et j’ai presque tous les jours un cas de viol sous la main, surtout dans cet environnement populeux. Prenons l’habitude de discuter avec nos enfants, prenons du temps pour eux. Nos enfants ne sont plus en sécurité dans nos maisons et même dans nos chambres’’, ajoute-t-elle.

Selon le directeur adjoint de la Division des affaires criminelles, il arrive que même si la plainte est déposée, la victime prend d’abord un bain avant de se rendre à la police. Cela participe à la disparition des preuves, car prouver sans recueillement de sperme la culpabilité d’un individu est difficile. Et, justement, le certificat médical peut ne plus être en mesure de prouver la véracité des propos de la victime, puisque la déchirure fraîche de l’hymen et toutes les preuves scientifiques de blessures vaginales disparaissent avec le temps. D’après M. Ndiaye, ‘’devant le juge, trois points doivent être prouvés pour attester d’un viol. Il s’agit de preuves scientifiques matériels (certificat médical), l’imputabilité (qu’est-ce qui prouve que c’est un tel et pas un autre) et l’absence de consentement’’. Autant d’aspects qui compliquent et retardent la procédure, en plus d’un gap de compréhension entre le niveau médical et juridique.

En effet, les juristes, de leur côté, plaident pour un rapport médical plus détaillé, accessible et moins technique.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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