Publié le 25 Aug 2020 - 19:04
CRISE MALIENNE

La CEDEAO quitte Bamako sans aucun accord avec les putschistes 

 

Dans leur volonté d’obtenir un retour du président malien au pouvoir, les émissaires de la CEDEAO sont repartis bredouilles. Après trois jours de discussions avec les leaders du Comité national pour le salut du peuple, l’équipe conduite par l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan et les militaires sont encore loin d’une harmonisation de leurs positions.

 

Les langues se délient peu à peu entre la délégation de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et les leaders du Comité national pour le salut du peuple (CNSP). Au bout de trois jours de discussions sur le sort du Mali, dont le président de la République Ibrahima Boubacar Keïta a été renversé par un coup de force militaire le 18 août dernier, les protagonistes d’un retour de l’ordre constitutionnel ont enfin communiqué sur la teneur de leurs échanges. Et c’était pour infirmer des informations soutenues dans la presse d’hier.

En effet, selon le colonel-major Ismaël Wagué, ‘’à ce stade de la discussion avec l’équipe de médiation de la CEDEAO, rien n’est décidé. A aucun moment, nous n’avons parlé de gouvernement à majorité militaire’’. Le porte-parole du CNSP d’ajouter : ‘’Je tiens à rassurer les uns et les autres qu’aucune décision ne sera prise sans une consultation massive. Toute décision relative à la taille de la transition, au président de transition, à la formation d’un gouvernement se fera entre Maliens, avec les partis politiques, la société civile, les groupes socio-politiques, les syndicats, etc., conformément à notre première déclaration.’’

Après leur prise du pouvoir, les militaires avaient promis une transition du pouvoir dans un délai raisonnable, en assurant que ‘’l’ordre constitutionnel n’a pas été rompu’’ et que l’objectif de la junte est de mettre en place ‘’une vraie démocratie au service du peuple malien’’.

Ainsi, les officiers du CNSP ont démenti une volonté prêtée de faire une transition de trois ans avec un président militaire et un gouvernement en majorité composé de militaires. Cependant, ils ont affiché leur intention de décider d’eux-mêmes du futur du Mali, sans suivre à l’aveuglette les directives de la CEDEAO. C’est d’ailleurs le déroulé des trois jours de discussions que le colonel-major a expliqué, lorsqu’il a soutenu que ‘’depuis le premier jour, leur préoccupation a été de voir l’état de santé d’Ibrahima Boubacar Keïta (IBK) et les conditions de sa détention. Nous avons accédé à cette requête. Les émissaires de la CEDEAO se sont ensuite entretenus seuls avec l’ancien président qui leur a clairement dit qu’il a démissionné sans contrainte et qu’il a compris que son départ était l’aspiration du peuple. Après avoir exprimé son soulagement, il a remercié les militaires qui l’ont protégé d’un verdict populaire. Il a aussi dit qu’il n’a aucune intention de revenir au pouvoir’’.

Des révélations qui font évoluer un point de discussion prioritaire. Car les chefs d’Etat de la sous-région, réunis jeudi dernier en sommet extraordinaire, avaient exigé le retour au pouvoir du président déchu et le rétablissement de l’ordre constitutionnel.

Mais face à cette nouvelle donne, renseigne le porte-parole du CNSP, l’organisation sous-régionale a négocié l’autorisation pour IBK de se faire soigner à l’étranger. ‘’Ce qui a été aussi accepté. Il peut ainsi être sécurisé dans un endroit de son choix et se soigner selon ses convenances. La CEDEAO a garanti son retour au pays en cas de besoin’’, a-t-il ajouté. Concernant les autres personnes détenues (le Premier ministre Boubou Cissé, le président de l'Assemblée nationale Moussa Timbiné et le chef d'Etat-major des armées, le général Abdoulaye Coulibaly, entre autres), il a annoncé que leur libération dépendra de l’évolution de la situation actuelle.

Une suspension ou un allégement des sanctions exigé par le CNSP

L’autre sujet des discussions s’impose naturellement alors : la transition. Et sur ce point, que ce soit la CEDEAO ou le CNSP, chacun a donné son concept de la transition. ‘’Mais à ce stade, rien n’est encore décidé. L’architecture de cette transition sera définie et discutée entre nous’’, rappelle le colonel-major Ismaël Wagué, jusqu’ici chef d’Etat-major adjoint de l’armée de l’air.

Et le sort des Maliens dans tout cela ? Ce pays en proie, depuis des années, à une profonde crise sécuritaire, économique et politique, a aussi été sanctionné par la CEDEAO dont il est suspendu des instances. Et les échanges ont aussi concerné ce point. Si le CNSP estime avoir fait quelques compromis, elle a ‘’exigé, au regard des efforts qui ont été faits, que la CEDEAO lève les sanctions formulées contre le Mali. Car c’est le peuple qui en souffre en premier ; ce que nous tentons d’éviter’’. Pour son porte-parole, la communauté internationale n’est pas regardante sur la situation des Maliens qui souffrent déjà beaucoup, avec ou sans sanctions.

La junte et les émissaires ouest-africains se sont séparés sans accord sur les conditions d'un transfert du pouvoir aux civils. ‘’Nous nous sommes entendus sur un certain nombre de sujets. Mais il y a certains sujets sur lesquels nous ne nous sommes pas entendus’’, a de son côté déclaré l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan, à la tête de la mission de la CEDEAO.

Des évolutions sur la situation sont attendues à l’issue d’une nouvelle conférence des chefs d’Etat ouest-africains sur le Mali, qui devrait se tenir ce mercredi.

Lamine Diouf

 

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