Publié le 18 Mar 2014 - 11:09
CRISE A TRANSRAIL

Que reste-t-il du chemin de fer ?

 

Le Chemin de fer, au Sénégal, vit-il son dernier souffle ? Le transport ferroviaire reste confronté, dans notre pays, à de sérieuses difficultés financières et d’exploitation qui menacent sa pérennité. Entre autres, des infrastructures agonisantes, une baisse constante du chiffre d’affaires. D’où la question de l’heure : ''Que reste-t-il du chemin de fer'' ? Enquête a tenté de percer le mystère des racines du mal. Et bon voyage sur les rails !!!

 

''Les Rails souffrent. Les locomotives suffoquent. Le chemin de fer reste condamné''. Ce cri de détresse mesure à sa juste valeur l’ampleur du désespoir qui s'est emparé de la capitale du Rail, face à la mort programmée du chemin de fer.

Dans ''la ville aux deux gares'', ces braves bouts de bois de Dieu (cheminots) qui n’en dorment plus la nuit semblent bien avoir raison de s’inquiéter : ''Si ce mode de transport, malgré les épreuves du temps, constitue l’épine dorsale de tout système de transport dans un pays évolué, au Sénégal, malheureusement, le manque d’investissements structurants combiné au développement tous azimuts de réseaux routiers et l’apparition des camions gros porteurs ont fini d’installer une concurrence rail/route à laquelle le chemin de fer n’a pu répondre efficacement''.

Ce cadre de Transrail d’être catégorique : ''les interventions et contrôles de l’Etat pour améliorer l’environnement juridique et la gestion de la société nationale n’ont guère pu arrêter cette dégradation, ni résoudre la problématique des investissements au chemin de fer''.

Perte du trafic au profit de la route

Une perte du trafic au profit de la route exacerbée par de ''graves problèmes financiers et d’exploitation''. Cette perte ''a finalement confiné le chemin de fer, pendant des décennies, dans une marginalisation totale qui a débouché sur la privatisation de l’axe ferroviaire Dakar-Bamako, le 1er octobre 2003, sous la forme d’une concession intégrale''. Les cheminots ne manquent pas de faire remarquer que ''cette privatisation n’a pas donné les résultats escomptés, tant du point de vue de l’amélioration des infrastructures que de l’accroissement des capacités de transport ferroviaire sur le corridor Dakar-Bamako''.

Les services de transport ferroviaire étant, à leurs yeux, ''piétinés, du fait de l’insuffisance de matériels et de la pénurie de pièces de rechange''. Pis, se désole un cadre de la boîte à peine parti à la retraite, ''l’outil continue de se dégrader, d’où l’effondrement institutionnel du chemin de fer''. Le transport ferroviaire, malheureusement, n’a guère bénéficié, au cours des décennies passées, de toute l’attention qu’il mérite.

Les racines du mal

En tout état de cause, le constat reste unanime : ''la concession de l’axe ferroviaire Dakar-Bamako est effectivement entrée en vigueur le 1er octobre 2003, sans que le cadre contractuel soit complètement achevé. L’annexe C faisant l’inventaire du domaine concédé n’a entièrement été signée qu’en 2012''.

De cheminots se veulent plus précis : ''durant toute cette période, Transrail a été privée d’une jouissance paisible du domaine ferroviaire concédé et continue de subir sur ce domaine des occupations irrégulières ou anarchiques et des spoliations de terrains au profit de tiers''. Certains avancent que ''Transrail subit depuis 2003 des surcoûts important en matière fiscale (Tva), du fait de la double imposition. L’avenant à la convention fiscale et douanière censé mettre fin à cette double imposition n’a été signé qu’en 2012''.

Une situation qui, aujourd’hui, a généré d’importants redressements fiscaux qui font l’objet de contentieux et sont inscrits dans les dettes du règlement préventif. Dans ce même registre, la société aurait été pénalisée par la non signature du contrat d’acquisition de matériels (Mali). Ce qui l’empêcherait d’exercer un droit de propriété sur ce matériel.

''Le règlement général de sécurité et le plan de gestion de l’environnement ne sont pas encore approuvés, exposant ainsi le concessionnaire à des risques pour la sécurité de l’exploitation'', s’indigne un cadre proche du syndicat autonome. Il fait remarquer que ''l’actionnariat souffre de certaines irrégularités qui n’ont pas été corrigées jusqu’à ce jour''. En effet, la qualité des actions réservées au secteur privé malien n'a pas entièrement été libérée. L’actionnariat du personnel, non plus, n’a pas encore vu le jour.

Que dire, d'ailleurs, des ''fonds propres perdus depuis 2009 qui n’ont pas été reconstitués’’ ? Également, des ''différentes étapes du processus institutionnel marquées par des rapports conflictuels entre l’autorité concédant et le concessionnaire sur le respect des engagements réciproques'' ? Sans parler de ''l’instabilité notée depuis 2003 au sein de l’actionnariat de référence, laquelle a exacerbé ces dits rapports au point de constituer des entraves à la mise en œuvre du programme d’investissement qui devrait permettre de développer l’activité ferroviaire sur le corridor Dakar-Bamako'' ? Que dire, encore, du déséquilibre institutionnel que continue de subir le chemin de fer dans l’approche intégrée des infrastructures de transport ? La quasi-totalité des investissements ne continue-t-elle pas à être destinée à la route ?

3075 heures d’interruption du trafic en 2011

‘’Désolation’’! Le constat reste amer du côté des travailleurs de la société de transport ferroviaire qui, affligés, se désolent du fait qu’à Transrail, ‘’sur le plan opérationnel, les infrastructures sont dans un état qui n’offre pas les conditions d’une exploitation répondant aux normes de sécurité’’. Une bonne partie de l’axe ferroviaire Dakar-Bamako long de 1233 km, ‘’étant dans un mauvais état’’.

De Dakar à Koulikoro (Mali), en passant par Tamba, Toukoto au Mali, ‘’les déraillements augmentent et impactent sur les temps de parcours des trains’’, nous confie un cheminot, qui, à titre d’exemple, soutient : ‘’Pour l’année 2011, il y a eu 3075 heures d’interruption du trafic équivalant à 128 jours de perturbation et les trains ont accusé, en moyenne, 17 heures de retard à la montée, soit un temps moyen de parcours de 91 h contre un objectif de 74h’’.

Que dire du faible taux de disponibilité du matériel roulant qui, faute de pièces de rechange, ne permet pas de faire face à la demande de transport sur le corridor Dakar-Bamako. Les opérations d’entretien et de maintenance, n’en parlons pas. Tout comme les équipements des ateliers et dépôts constitués de machines-outils, lesquels sont anciens ou hors service.

‘’Ces conditions d’exploitation à la limite des normes de sécurité ne favorisent pas le relèvement du niveau de l’activité et le tonnage évolue en dents de scie d’année en année’’, s'offusque un haut cadre de la boîte. Il ne manque pas de préciser que ‘’l’offre de transport n’arrive pas à satisfaire la demande et les chiffres d’affaires réalisés ne couvrent pas les charges de la société’’.

Du fait de la non signature de l’annexe C faisant l’inventaire des biens concédés, ce cheminot, délégué syndical, se montre catégorique : ‘’Le domaine ferroviaire concédé fait l’objet d’occupations anarchiques dans plusieurs localités le long de l’axe ferroviaire Dakar-Bamako et des attributions irrégulières ont été effectuées sur le site de Bel-Air à des tiers détenteurs de titres de propriété’’.

Sous ce chapitre, il y a lieu de signaler, aux yeux de ce dernier, ‘’d’autres actes touchant le domaine ferroviaire concédé et qui sont de nature à réduire le périmètre de la concession’’. Il évoque la suppression de l’embranchement Guinguinéo-Kaolack, la démolition de la gare de Kaolack, l’affectation des emprises de cette gare à des services non ferroviaires, la cession d’une partie des ateliers de Thiès à Senbus Industries dans des conditions non encore élucidées et la désaffection de la gare de Dakar.

Ce n’est pas tout, nos interlocuteurs soulignent ‘’l’absence de dispositifs opérationnels de protection de l’environnement qui expose l’exploitation des services ferroviaires à certains phénomènes, tels que le déversement d’ordures et eaux usées sur la voie ferrée, le déversement de produits dangereux, notamment les produits chimiques des Industries chimiques du Sénégal (souffre, acide sulfurique, phosphates) et l’attapulgite de la société sénégalaise des phosphates de Thiès (Sspt) sur le tronçon Dakar-Thiès, du fait de la non étanchéité des wagons de ces deux sociétés’’.

Il s'y ajoute les ''occupations humaines des emprises ferroviaires par les populations riveraines entre Dakar et Rufisque (marché de Thiaroye) et à l’entrée des agglomérations urbaines''.

Une baisse constante du chiffre d’affaires

Face à tous ces manquements, Transrail ''a enregistré depuis 2003 des pertes d’exploitation cumulées dues essentiellement à une baisse constante du chiffre d’affaires et une augmentation des charges''. Ces pertes d’exploitation, à en croire nombre de cheminots, ont ''installé la société dans une situation financière critique qui l’empêche de faire face au service très lourd de la dette (fournisseurs etc.)''. Et ces derniers de poursuivre : ''Les différentes initiatives mises en œuvre à l’interne comme au niveau institutionnel pour sortir l’entreprise de ses difficultés n’ont pas eu les résultats escomptés, par rapport à l’urgence de la situation financière de Transrail et la nécessité de préserver l’activité ferroviaire sur l’axe Dakar-Bamako’’.

Du coup, la société se trouve en règlement préventif, depuis août 2009, pour se mettre temporairement à l’abri de l’action de ses créanciers et construire un plan de redressement de nature à préserver l’activité. Cette procédure, selon un syndicaliste de la boite, ‘’réduit aujourd’hui sensiblement les moyens de Transrail et ses possibilités de bénéficier temporairement de la confiance de certains fournisseurs stratégiques et de l’appui financier de certains bailleurs’’.

Aussi, ‘’la longueur de la procédure liée aux difficultés de mise en œuvre dans les délais du plan de redressement et d’apurement du passif a eu pour effet d’augmenter la dette qui est passée du simple au double’’. Le syndicaliste de hurler son désespoir : ‘’la société est structurellement déficitaire et les conditions pour lui permettre de retrouver son équilibre financier ne sont pas aujourd’hui réunies’’.

Les autorités sont interpellées

À Transrail, tout le monde s'accorde sur l’urgence qu’il y a d’engager des stratégies nationales et sous-régionales pour réhabiliter le chemin de fer et en faire un mode de transport majeur au service du développement économique et de l’intégration. De ce fait, les autorités compétentes sont interpellées. En attendant, malgré les faibles moyens de l’Entreprise, les cheminots se mobilisent tous les jours pour assurer la pérennité de l’outil.

Selon eux ‘’la reprise du corridor Dakar-Bamako s’impose’’. Une reprise annoncée, d’ailleurs, par l’Etat du Sénégal qui dit avoir trouvé les ‘’financements pour la réhabilitation de ce tronçon’’. Ces financements de Pékin, pourront-ils régler la crise de Transrail ? Là, reste la grande question.

NDEYE FATOU NIANG, THIÈS

 
 

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