Publié le 24 Apr 2020 - 23:55
DANIEL BOLENS (GRAND MAÎTRE DE L’ORDRE DU DROIT HUMAIN)

 “Il y a trop de fantasmes autour de la maçonnerie’’

 

Loin de toutes tensions et crispations, l’Ordre maçonnique mixte international du Droit humain a pu tenir, dans la discrétion, une réunion entre ses membres européens et africains, il y a environ un mois, à Dakar. Alors que la Covid-19 venait juste de faire son apparition au Sénégal, Daniel Bolens, Grand Maître de l'ordre maçonnique mixte international : Le Droit Humain, que nous avons pu rencontrer dans un hôtel de la place, a accepté de lever un large coin du voile sur cette organisation maçonnique qui a la particularité de regrouper en son sein des hommes et des femmes. Suisse de nationalité, Daniel Bolens présente l’Ordre maçonnique mixte international du Droit humain dans ce qui la définit, son mode de fonctionnement, ses cultes, ses interdits et évoque, dans la même veine, la perception ou les préjugés que certaines populations nourrissent à l’endroit de la franc-maçonnerie en général. En roue libre avec un grand maître du Droit humain.

 

Vous êtes Grand maître de l’Ordre maçonnique mixte international le Droit Humain. Que signifie l’organisation dans laquelle vous vous activez ?

L’Ordre maçonnique mixte international de Droit humain est une institution très ancienne qui, dans sa forme actuelle, existe depuis le XVIIIe siècle. Depuis lors, la franc-maçonnerie en général a véhiculé des valeurs qui sont fondamentalement humanistes. Ces valeurs se sont aussi inspirées du siècle des Lumières et de cette vision d’une société beaucoup plus égalitaire que précédemment. Les valeurs maçonniques sont fondées sur des valeurs de justice, de justice sociale, d’égalité et, bien sûr, de liberté. Non pas dans un sens trop général, mais de liberté individuelle qui traduit des valeurs fondamentalement humanistes.

Bien entendu, les francs-maçons sont des gens qui vivent dans la société de leur temps, et forcément ces valeurs-là ont évolué, se sont adaptées. Et donc, le Droit humain auquel j’appartiens – l’Ordre maçonnique mixte international au Droit humain – en est le représentant depuis quasiment 140 ans, c’est la notion d’égalité des genres. C’est-à-dire de l’intégration de la femme dans la vie de la société, dans la vie sociale, dans la vie politique. C’est l’obédience que nous représentons ici, l’obédience historique de la mixité. La notion de mixité s’est d’ailleurs considérablement élargie, ce n’est plus simplement le domaine de la femme, c’est toutes les formes de mixité.

C’est-à-dire ?

Par exemple, il n’y a pas que le genre, il y a aussi la mixité sociale, c’est-à-dire que la maçonnerie n’est pas réservée à une classe sociale particulière. Elle est ouverte à tous les hommes, à toutes les femmes qui ont un certain idéal, qui souhaitent travailler ensemble et développer cet idéal dans leur vie professionnelle, familiale, autour d’eux, et faire rayonner cet idéal-là dans la société de façon générale. Donc, il y a une évolution, parce que le monde actuel n’est pas celui du XVIIIe siècle.

N’assiste-t-on pas aujourd’hui à une certaine forme de décadence de la maçonnerie, lorsqu’on voit certains visages en Afrique et ailleurs qu’on nous présente comme des maçons et qui sont dans des postures de pouvoir égoïstes, qu’ils ne veulent par exemple pas quitter le pouvoir ?

 Je ne crois pas que cela soit une décadence. Je crois que, parfois, c’est exact, mais c’est valable en Afrique, en Europe et partout. C’est une utilisation de la franc-maçonnerie pour des motifs personnels, d’ambition politique, c’est-à-dire une utilisation qui détourne la franc-maçonnerie de son but réel. La franc-maçonnerie est une organisation qui présente certains avantages pour ceux qui veulent transgresser les lois, puisqu’il y a une certaine discrétion. Et on cherche volontiers la discrétion lorsqu’on a des visées délictueuses, cachées. Mais ces exceptions-là, cette petite frange ne doit pas cacher la réalité. La franc-maçonnerie, c’est autre chose.  

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“Celui qui utilise, qui instrumentalise la franc-maçonnerie pour du business ou pour des affaires privées très personnelles, n’y a pas sa place. Et il nous arrive de dire à quelqu’un d’en arrêter là et que cela vaut mieux.”

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Mais est-ce que vous disposez d’assez de garde-fous pour empêcher de sortir du chemin ?

Bien sûr, mais on n’en a assez des garde-fous. Alors, vous savez qu’il y a plusieurs organisations maçonniques, et chaque organisation est structurée à sa manière, indépendante et autonome. Il n’y a pas une autorité mondiale de la franc-maçonnerie, c’est une mosaïque d’obédiences qui se côtoient, ou ne se côtoient pas d’ailleurs, qui ont des relations ou non…

Elles ne se combattent jamais ?

Non, pas vraiment. Maintenant, il y a parfois des petits aspects concurrentiels, mais je dirai qu’entre francs-maçons on s’entend bien, il y a un consensus, un modus vivendi… Finalement, on a un idéal commun. Par contre, si on en revient de l’évolution de l’humanisme dont vous parliez tout à l’heure, bien sûr qu’il y a actuellement un élément nouveau : il ne s’agit de voir seulement l’individu dans la société avec ses droits et devoirs, il s’agit de voir l’individu avec ses droits, ses devoirs et ce qu’il doit assurer pour le futur, l’aspect d’une écologie très vaste. Il ne s’agit pas d’assurer le bonheur ici et maintenant, mais penser plus loin. C’est une dimension supplémentaire à la réflexion maçonnique qui s’impose de plus en plus.

N’êtes-vous pas dans la projection ou peut-être dans l’utopie…

Ce n’est pas de l’utopie, c’est heu… Certes, l’idéalisme a toujours une part d’utopie, mais peut-être faut-il croire à une certaine utopie pour atteindre un résultat satisfaisant malgré tout. Il faut avoir un idéal, même si on sait qu’on ne le réalisera pas en totalité, on n’a pas le droit de ne pas essayer.

Ce que nous constatons dans nos pays, c’est qu’il y a une tension entre la franc-maçonnerie présente ici et les différents ordres religieux, surtout avec l’islam. Avez-vous pris en compte l’exacte mesure de cette situation ?

Oui, on doit la constater, bien sûr. Cela impose à nos sœurs et nos frères d’être relativement discrets, de ne pas mettre en péril leur sécurité, leurs familles, etc. Mais cette opposition résulte d’une incompréhension fondamentale de ce qu’est la franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie n’est pas une religion et n’a jamais voulu se poser en concurrent d’une quelconque religion, parce que ce n’est pas le même domaine. Les francs-maçons - et l’Ordre maçonnique mixte du Droit humain est très clair là-dessus – prônent une totale et absolue liberté de conscience. On peut être catholique, musulman ou athée, cela n’a aucune espèce d’importance, parce qu’on ne fait pas de religion. Le domaine de la franc-maçonnerie est essentiellement éthique, pas confessionnel. C’est une façon de se dire finalement : ‘’Voilà, on a un idéal, une vision d’une société idéaliste qu’on aimerait réaliser, de contribuer à l’avènement d’une société juste, égalitaire, qui offre à chacun les droits fondamentaux auxquels il peut prétendre.’’

D’aucuns pensent qu’il n’y a pratiquement que des athées chez vous…

Non, c’est absolument faux. Ici au Sénégal, par exemple, il y a des frères et des sœurs qui déclarent ouvertement être croyants, pratiquant les prières selon leurs religions.

Ce n’est pas antinomique ?

Ce n’est absolument pas antinomique. Et c’est de là que vient le malentendu, parce qu’il y a certaines franges de la maçonnerie qu’on appelle continentale par rapport au continent européen, où à une certaine période, il y a eu une certaine tendance athéiste. Mais vous avez aussi des obédiences maçonniques qui sont déistes, qui ne refusent absolument pas l’idée d’un créateur, d’un dieu, etc. Peut-être que les religieux ont de la peine à le comprendre et considèrent toujours qu’on est des concurrents. C’est tellement pratique de dire que ce sont des athées, donc on les combat. C’est un raccourci très, très abusif.

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“La franc-maçonnerie n’est pas une religion et n’a jamais voulu se poser en concurrent d’une quelconque religion, parce que ce n’est pas le même domaine.”

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Là, vous semblez assimiler la situation que vous vivez à une sorte de concurrence déloyale…

Oui, c’est comme cela qu’ils (les religieux) le voient, mais cela n’est pas fondé sur la réalité. La franc-maçonnerie est aconfessionnelle, elle garantit la liberté de conscience et la respecte.

Les valeurs de laïcité qui sont promus ne participent-elles pas aussi à cette défiance ?

Le droit humain est international, il est présent dans 60 pays ; en Europe occidentale, dans des pays comme la France, la Belgique. Mais il est présent aussi dans des pays anglo-saxons où la notion de laïcité n’était pas du tout la même qu’en France. D’ailleurs, on est bien implanté dans des pays qui ne pratiquent pas la laïcité ‘’à la Française’’. Moi, personnellement, je viens d’un pays (NDLR, Suisse) qui ne pratique pas la laïcité au sens français du terme, où la liberté de culte et de conscience est garantie à tous, mais où l’Etat se fonde sur des valeurs chrétiennes. Mais on a des sœurs et des frères au Maroc qui est un pays musulman, au Liban, etc. Ce que j’essaie de faire comprendre aux religieux, c’est qu’on n’est pas dans le même domaine. Nous, nous sommes dans le domaine éthique, et eux, sont dans le domaine confessionnel, religieux, spiritualiste. On se complète éventuellement, mais on n’est pas antinomique. Je vous le répète, au Droit humain, il y a des gens qui se déclarent croyants et pratiquants aussi bien au Maroc qu’au Sénégal.

Et c’est le Maroc qui a finalement accueilli la dernière manifestation qui devait avoir lieu au Sénégal, mais qui a finalement été interdite…

Voilà… Parce que le Maroc est assez… disons plus tolérant et les autorités n’ont pas vu de problème…

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“Il y a des secrets, mais ils ne sont pas nombreux. Il y a un secret qui est absolu, c’est l’identité des membres. Moi, je peux vous dire que je suis franc-maçon, mais je n’ai pas le droit de vous dire que Monsieur X ou Madame Y l’est aussi .”

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Vous pensez que le Maroc est plus tolérant que le Sénégal ?

Non, sur ce point précis et à ce moment-là… Mais là, ce n’est pas que le Sénégal ne soit pas tolérant, c’est parce qu’il y a eu un groupe de pression menaçant et je peux tout à fait comprendre que pour assurer l’ordre public, les autorités aient préféré annuler l’événement. Un gouvernement est responsable de la sécurité des citoyens. Je pense que c’était une décision intelligente et légitime. Je ne la critique pas du tout. Je n’en veux pas du tout à l’Etat sénégalais qui a fait ce qu’il pensait devoir faire.

Comment appréciez-vous aujourd’hui l’état des rapports de force entre vous et vos détracteurs ? Pensez-vous qu’il est possible, aujourd’hui, de faire le travail de sensibilisation pour assouplir certaines raideurs vous concernant ?

Il n’y a pas de force, parce que si on le dit, cela signifie qu’il y a confrontation. Or, le Droit humain, la maçonnerie en général, n’est pas de la confrontation. On ne dit pas : ‘’Vous avez tort’’, on dit simplement : ‘’Voilà nos valeurs, notre vision de l’Etat, de la société…’’ La maçonnerie en elle-même n’est pas une force politique, elle ne s’engage pas dans la politique d’ailleurs. L’enseignement maçonnique, c’est plutôt de dire aux membres de la franc-maçonnerie : ‘’Soyez actifs, engagez-vous dans la société. On ne vous dit d’être de gauche ou droite ; ça c’est votre affaire. Mais comme hommes et femmes, comme citoyens et citoyennes, vous devez être actifs dans votre société, vous devez contribuer à construire un pays, au bien commun. Faites-le comme vous voulez.’’ Ça, on le dit. Mais on ne dit pas : ‘’Votez à gauche, votez à droite…’’ Il n’y a pas de mot d’ordre, parce que ce ne serait pas respecter un principe de la loge : on ne parle ni de religion ni de politique. C’est une règle quasi-universelle dans la franc-maçonnerie. Alors, vous avez ici et là quelques acceptions, parce que vous avez quelques dérives comme cela arrive dans toute société, qu’elle soit politique, religieuse ou maçonnique, c’est humain… Il faut parfois rappeler quelle est la limite et quelle est la ligne à suivre.

Vous arrive-t-il d’exclure des gens qui sortent de votre ligne ?

Très rarement, très rarement… Mais cela peut arriver. Oui, cela peut arriver…

Est-ce que c’est arrivé au Sénégal ?

Pas à ma connaissance. Mais, de façon générale, chaque obédience maçonnique a ses règles, et celui qui ne veut pas s’y plier, qui ne veut pas s’identifier à l’idéal commun, n’a plus rien à y faire, c’est évident. Et celui qui utilise, qui instrumentalise la franc-maçonnerie pour du business ou pour des affaires privées très personnelles, n’y a pas sa place. Et il nous arrive de dire à quelqu’un d’en arrêter là et que cela vaut mieux.

Et qui décide de cette mesure ?

C’est très démocratique, la franc-maçonnerie. Dans tous les domaines qu’on appelle disciplinaire, il y a toujours un jury qui se réunit, on entend toujours la personne concernée avant de prendre une décision ; celle-ci n’est jamais prise par une seule personne.

Quand certains de vos membres chefs d’Etat s’accrochent, par exemple au pouvoir, est-ce que la franc-maçonnerie a le pouvoir d’exclure ces membres très influents ?

J’ai l’impression que ceux qui arrivent si haut ont déjà démissionné de la franc-maçonnerie auparavant. Je ne sais pas si c’est un avantage pour eux de faire savoir qu’ils sont francs-maçons. Je crois qu’à un moment donné, celui qui a des ambitions politiques se met en sommeil, parce que malheureusement – vous avez évoqué les fantasmes qui sont liés à la franc-maçonnerie – ça sera toujours facile à certains de dire qu’il y a des complots… Je pense que quelqu’un qui a des ambitions politiques et qui les réalise peut le rester dans la tête, garder son idéal de franc-maçon, et on souhaite qu’il le conserve. Moi, je ne connais pas de chef d’Etat franc-maçon actuellement.

Ah oui ?

Alors, il y en a peut-être en Afrique, mais je veux parler des vrais francs-maçons, des francs-maçons idéalistes.

Il se dit aussi que vous êtes très hiérarchisés…

La hiérarchie existe, par exemple, dans la société des motocyclistes, nageurs… il y un président, un trésorier, un secrétaire, un directeur technique… Bien sûr que dans l’organisation, en tant qu’association, il y a une hiérarchie, mais qui est élective. Et c’est toute année ou tous les deux ans, voire les trois ans, rarement plus qu’il y a des élections, pour renouveler le bureau ou le comité…

Levons le voile sur le secret qui entoure vos rites initiatiques. Au Sénégal, il se dit que vous faites des prières sur la peau de chien et avez des rites à la limite sataniques.

Alors là, ce sont des fantasmes. Et si vraiment on devait égorger des chiens, d’abord cela se saurait, et il n’y a rien qui est contraire à la morale courante et à la loi. Vous savez, on n’est pas si secret que cela, s’il y avait des débordements de ce type, il y a longtemps que cela se saurait. Non, ce sont des fantasmes qui servent d’ailleurs ceux qui pensent que nous sommes une association néfaste et nuisible, et qui trouvent des arguments pour diaboliser.

Mais il y a des choses que vous gardez pour vous-mêmes, tout n’est pas révélé…

Il y a des secrets, mais ils ne sont pas nombreux. Il y a un secret qui est absolu, c’est l’identité des membres. Moi, je peux vous dire que je suis franc-maçon, mais je n’ai pas le droit de vous dire que Monsieur X ou Madame Y l’est aussi ; c’est la liberté de chacun de se dévoiler ou de ne pas le faire. Le deuxième secret maçonnique, il tient de la nature même du travail ; c’est un travail de réflexion fondamentalement individuel : la recherche du sens, qu’est-ce que je fais, quelle est le sens de mon existence… C’est quelque chose de tellement personnel que le secret est difficilement communicable. Il y a un côté incommunicable, parce que c’est profondément intime. Et puis, il y a un troisième secret, c’est celui des délibérations et des rites. Mais vous allez sur Internet, et vous avez dans le détail, avec une parfaite exactitude, tout le déroulement des cérémonies maçonniques. Donc, le secret est très relatif.

Quid de la confidentialité qui entoure les délibérations ?

Le secret des délibérations, c’est pour garantir la liberté de parole. Si je sais que mes paroles vont être rapportées et exploitées, il est clair que l’expression n’est plus tout à fait libre. Alors, ce qu’on dit en loge, ce n’est parfois pas aussi intelligent ni aussi subtil qu’on l’imagine peut-être, mais enfin, c’est important de savoir que ce je dis ne sera pas rapporté à tel autre ou au public.

Parlons un peu des différences culturelles qui peuvent exister entre vos membres. Est-ce que vous intégrez les approches culturelles des populations comme les Africains, les Asiatiques, parce que les Lumières, c’est quand même un héritage européen ?

Oui, on est bien d’accord là-dessus. Je ne peux pas parler pour les autres, mais pour moi, le droit humain est international, c’est-à-dire qu’il accepte une diversité énorme – on est dans 60 pays - de conception sociale, politique, philosophique, mais aussi maçonnique. Et il est bien évident que cette diversité est une richesse, et le Droit humain veut préserver cette diversité. On dit aux frères et sœurs sénégalais : ‘’Soyez ce que vous êtes’’, parce ce que c’est comme cela que c’est intéressant, parce que vous contribuez à la richesse de la diversité. Cette richesse de la diversité est très intéressante sur le plan maçonnique, parce qu’elle m’oblige à dire : ‘’Vous avez une autre culture, vous êtes différents de moi, peut-être on ne parle pas la même langue, mais on a quelque chose de commun.’’ Notre rôle de franc-maçon, c’est d’aller au-delà de la spécificité et de trouver le dénominateur commun, et on se retrouve dans l’humain. Et la diversité en ce sens nous la souhaitons. Alors oui, il y a les rituels qui sont partiellement adaptés, qui peuvent l’être dans une certaine mesure, il y a un langage qui peut être spécifiquement africain, enfin sénégalais, ivoirien, etc.

En tant que maçon, quelle réflexion vous inspire le monde actuellement, avec la crise de la Covid-19 ?

En tant que maçon, cela m’inspire certainement des craintes pour les hommes et les femmes, les citoyens et les citoyennes, les jeunes et les enfants qui peuvent peut-être être affectés, et d’une manière grave pour certains qui sont plus vulnérables et qui peuvent en mourir. Je crois qu’il y a une forme d’empathie, de solidarité pour ces personnes qu’il est normal d’exprimer, de ressentir. Et au-delà, tout malheur a un aspect positif qui est qu’on va être obligé de repenser assez profondément à la fois nos liens sociaux, nos activités, nos méthodes. Je pense qu’il va y avoir des conséquences sur les plans philosophique et moral. On ne peut ne pas se poser des questions à propos des conséquences, et si c’est terminé deux ou trois mois après, recommencer comme avant. Je pense que c’est une bonne occasion de se poser de sérieuses questions… On voit, par exemple dans certains pays, que les liens sociaux se récréent ; en Italie, on voit que d’un balcon à un autre, des voisins se parlent, se font des signes, chantent… C’est anecdotique, mais symptomatique que dans une situation pareille, on retrouve des liens sociaux. Maintenant, c’est intéressant de se demander comment prolonger cela, au-delà de la phase critique du virus.

Sur le plan économique, on voit qu’en quelques jours, la densité de la pollution a considérablement diminué. Il y a là quelque chose d’intéressant ; cela veut dire qu’en peu de temps, on est capable de changer de comportement. C’est une occasion idéale de se poser la question à ce propos, et certainement on va le faire en loge : il s’agira de voir quel bilan humain tirer dans ce qui s’est passé.

Au vu de ce qui se passe par rapport au non respects de certains accords comme celui sur le climat, comment comprenez-vous que les humains ne réagissent que sous la contrainte ?

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“Ici au Sénégal, par exemple, il y a des frères et des sœurs qui déclarent ouvertement être croyants, pratiquant les prières selon leurs religions.”

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La nature humaine est bien complexe. Malheureusement, on constate que des réflexions les plus approfondies se font consécutivement à une crise, un événement majeur parfois tragique. On est dans une période où le néolibéralisme explose pendant qu’on voit des milliers de morts. Je pense que les gouvernements vont petit à petit en tirer les enseignements, les conséquences. Dans leurs milieux, leurs cercles familiaux et professionnels, les francs-maçons ont probablement le devoir de porter cette idée-là. Ils ne vont pas donner des leçons aux autres, mais les appeler à la réflexion et à dire qu’il y a peut-être quelque chose à faire, à changer et à proposer. J’espère que ce travail-là va se faire. Les francs-maçons ne sont pas une force politique. Ce sont des gens qui, dans la société où ils vivent, rayonnent, si je puis dire, et diffusent un certain idéal, une certaine vision des choses qui peuvent contribuer à transformer la société. C’est cela le but de la franc-maçonnerie, pas de s’imposer.

Finalement, l’être humain est bien fragile…

L’humain est très fragile. On le voit maintenant avec cette crise, et il y a aussi – et ça c’est le côté humain le plus négatif – ce matérialisme qui est une faiblesse de la civilisation mondiale. C’est la responsabilité majeure des gouvernements de changer les choses par l’éducation, c’est-à-dire la transmission des valeurs aux enfants, aux jeunes, à la société.

PAR MAMOUDOU WANE

 

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