Publié le 3 Nov 2019 - 23:32
DAOUDA THIANDOUM (AMENAGEUR, URBANISTE ET GEOMARKETEUR)

Une ‘’boulimie foncière fait qu’on est en train de vendre petit à petit les espaces verts qui existent’’ à Dakar

 

Daouda Thiandoum est un urbaniste. Il est également le chef du Service régional de l’aménagement du territoire de Dakar. L’aménageur revient, dans cet entretien, sur l’importance des espaces verts publics, la pression foncière qui agresse les espaces existant, entre autres sujets.  

 

Le constat, à Dakar, est le manque d’espaces verts. Est-ce que c’est une vue de l’esprit ou une réalité ?

Il faut le dire, la ville est construite par opposition à la nature, donc au monde rural en général. L’homme, à un moment donné, a voulu s’affranchir de cette ruralité, raison pour laquelle il a construit sa ville. On a construit sur la ruralité, c’est-à-dire sur l’espace rural, en y apportant du béton. Donc, c’est comme si, en quelque sorte, l’homme voulait se débarrasser de l’arbre urbain, d’espaces verts dans son cadre de vie. On a constaté que, depuis les années 90, il y a une tendance qui est en train de s’opérer : la nature et les espaces verts deviennent de plus en plus indispensables dans l’espace urbain. A partir de là, il faudrait créer un peu plus d’espaces verts. Ce qui fait qu’on a aménagé des zones qui sont dédiées, comme au niveau de certains ronds-points. De quelques infrastructures, on a commencé à faire venir le vert.

Si on regarde de manière générale les plans de lotissement, en prenant l’exemple de Dakar qui est une ville coloniale, on voit que des espaces verts ont été prévus dans ces endroits-là. La place de l’Indépendance étant un exemple parfait. C’est un constat : depuis l’indépendance du Sénégal, on a greffé des communes avec une rareté d’espaces verts dans nos villes nouvelles (villes qu’on a construites après l’indépendance). Ce qui fait que, non seulement le legs colonial est peu entretenu, mais aussi, on a construit des villes sans donner une place à l’arbre.  Ce qui fait que, si on analyse de manière générale, certes, il y a dans l’agglomération dakaroise des espaces verts un peu partout, mais, en effet, il y a aujourd’hui un manque de plus en plus de ces espaces dans l’aire urbaine.

Aménager un espace vert, est-ce une priorité chez une population urbaine ?

Le Sénégal est un pays rural. On a plus de zones rurales qu’urbaines. On constate, à l’exception de la ville de Touba, pratiquement que la plupart de nos villes proviennent du colonisateur et ce dernier vit dans une situation scellée. L’aspect social est moins développé chez le colonisateur, en termes de vie en communauté que chez les Africains. Par contre, c’est dans ces espaces-là que le colonisateur retrouve ce que les Africains ont dans leur maison familiale. Peut-être que cela pourrait expliquer le fait que, dans l’aménagement urbain des villes coloniales, forcément, il y a une présence d’un espace vert, comme une zone de détente, de loisirs, une zone récréative où les gens peuvent se retrouver, avant de retourner dans leurs habitats. Au moment où les Africains ont quand même des espaces qui sont ouverts où il y a la famille, les amis et où ils peuvent discuter.

Est-ce que dans les politiques publiques, la dimension environnementale est prise en compte ?

Oui, pratiquement. Si on fait juste une analyse historique, depuis les années 90, sur tous les gouvernements qui se sont succédé au Sénégal, il y a un ministère en charge de l’Environnement. Et on a même rajouté aujourd’hui cette notion de développement durable. Le Sénégal est quand même signataire de pas mal d’accords dans le monde. Donc, il ne peut pas ne pas respecter ces accords. De toute façon, aujourd’hui, on ne peut rien faire sans l’environnement, l’écologie. On parle de ‘’ville verte’’, de ‘’ville durable’’, de ‘’ville intelligente’’.  Et, souvent, dans ces villes, la place de l’environnement est quand même indéniable. Donc, c’est vraiment une priorité d’Etat. Sur tous les projets structurants ou autres, pratiquement, il y a une étude d’impact environnemental qui est demandée aux promoteurs. Et sous la houlette des autorités administratives et des services techniques de l’Etat, il y a un quitus qui est donné au projet qui respecte nos réglementations en matière d’environnement.

Qu’est-ce qui explique alors ce manque d’espaces verts à Dakar ?

Il y a une pression foncière, en quelque sorte, pour la simple raison que Dakar souffre de son succès. C’est un territoire exigu. Dakar représente 0,28 % du territoire national où vivent pratiquement 30 % de la population nationale. La majorité de la production nationale provient de Dakar. Cette concentration d’activités, cette fonctionnalité accrue que Dakar joue à l’international, fait que les gens demandent de plus en plus du foncier. Ce qui entraine que ces espaces récréatifs qui ont été réservés sont agressés. De plus, on remarque, dans les projets de lotissement, que des espaces sont prévus, mais, une fois en phase d’opérationnalisation ou quelques années plus tard, ils n’existent plus, de manière générale. Cette boulimie foncière fait qu’on est en train de vendre petit à petit les espaces verts qui existent au niveau de l’agglomération dakaroise.

Quelles peuvent être les conséquences d’un manque d’espaces verts sur les populations urbaines ?

Une ville doit respirer. Aujourd’hui, si on parle de la détérioration de l’effet de serre, c’est en fonction de la production du gaz carbonique. Les villes sont les producteurs par excellence du gaz carbonique. Ainsi, on doit reboiser nos villes pour les mettre en adéquation et avoir une ville attractive, accueillante, apaisée où le citadin pourrait se sentir à l’aise.

Aujourd’hui, dans d’autres pays, les citadins acceptent de payer des taxes pour acheter du foncier pour les réserver aux espaces verts. Les espaces verts doivent être une des préoccupations fondamentales des citadins.

On note, çà et là des dépôts sauvages d’ordures dans des espaces qui peuvent être valorisés pour le bien-être des populations. Est-ce que cette problématique est prise en charge par les services de l’urbanisme ?

C’est un acte d’incivisme qu’il faudrait signaler et cela ne participe pas à l’attractivité de notre territoire. Pour le visiteur, la rue est par excellence un lieu public. Et dans ce lieu, le touriste a besoin de voir des choses qui sont quand même attractives. Et souvent, il y a une odeur nauséabonde, parce que les habitants autochtones y jettent leurs ordures. Un tri sélectif de ces ordures pourrait être une solution pour éviter ces cas. Aussi, il appartient aux concessions en charge des ordures de ramasser. Il faut aussi respecter le code de l’urbanisme qui est très clair là-dessus. Tous les citoyens doivent être en phase avec ces instruments juridiques.

Il faudrait alors une sensibilisation ?

Exactement. Mais aussi, il faut le dire, Dakar est en train de devenir de plus en plus une ville propre. C’est vrai que nous ne sommes pas encore au niveau des villes comme Accra ou Kigali, mais des efforts sont en train de se faire. Les autorités locales doivent surtout lancer de grandes campagnes de sensibilisation à destination de la population. On ne peut pas faire des actions d’en haut et qu’au niveau local, il y ait des actions contradictoires à celles prônées par l’Etat. On doit sensibiliser et communiquer davantage. Parce que quand un individu n’est pas conscient de l’utilité d’une action, il va toujours être sur la défensive, mais dès l’instant qu’on le convainc de manière simple, il agit. L’enjeu n’est pas uniquement local, mais est devenu international. Dakar est en compétition avec toutes les grandes villes africaines. Il est aujourd’hui une vitrine. On doit rendre cette ville compétitive et attractive. Et cela passera forcément par ces canaux de communication qu’on doit déployer.

A Dakar, rare sont les quartiers où on prévoit des aires de détente, voire des espaces verts. Que faut-il faire pour rectifier le tir ?

Nous avons des concepts nouveaux comme ‘’ville verte’’, ‘’ville durable’’. Il y a des modèles qui ont réussi à travers ces concepts comme en Asie, aux Etats-Unis et même chez nous en Afrique, et on devrait se lancer dans cette dynamique. Il y a des villes qui s’activent dans le développement des villes durables au Sénégal et cela montre que, de plus en plus, il y a un sentiment de faire changer les choses qui grandit, non seulement, chez les pouvoirs publics, mais aussi chez les populations. Des associations citoyennes s’activent dans ces domaines pour changer les comportements. Et on a besoin de ça pour aérer nos rues, que ces dernières soient à l’image de tout ce qui se fait partout dans le monde. Zéro déchet, c’est possible. Il nous faut juste adopter une économie circulaire pour modifier nos comportements, en ce qui concerne le recyclage. On doit encourager les populations à choisir une démarche d’économie circulaire, de recyclage pour pouvoir, avant même d’acheter un produit, savoir l’éliminer. Quand on arrivera à ce niveau, on ne verra plus de déchets dans nos rues, et ces dernières vont être de plus en plus agréables à vivre.

Quelle est la part de responsabilité de la population citadine ?

Pratiquement, elle est la principale responsable. Parce que c’est elle qui achète, qui consomme et qui jette. Une taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom) que le citadin paye à la municipalité pour ramasser le déchet existe. Donc, la municipalité vient en dernière position, dans ce processus. Si elles payent et que, derrière, le maire ne fait rien, les populations pourront la réclamer. Mais si, par contre, ces dernières ne payent pas, elles ne pourront pas aller se plaindre auprès de la mairie. Puisque cette dernière n’aura pas les moyens de prendre en charge les ordures. Et c’est là que l’Etat va venir en appoint. D’ailleurs, c’est ce qui se passe aujourd’hui avec l’Unité de gestion et de coordination des déchets (Ucg) gérée directement par l’Etat pour appuyer les collectivités territoriales qui n’ont pas les moyens de se prendre en charge. C’est vrai que c’est une compétence transférée, mais souvent ces communes ont des difficultés pour ramasser directement les ordures ménagères.

Que dit le plan directeur de l’urbanisme ?

Ce sont des outils d’opération, d’aménagement urbain. Il y a des outils stratégiques et des outils d’opération. Ces instruments permettent, aujourd’hui, de voir, à une échelle réduite, une prévision du sol. C’est le plan d’urbanisme de détail (Pud). Et le plan directeur d’urbanisme (Pdu) est beaucoup plus macro, en termes d’orientation. Il organise les grandes orientations de l’occupation de la ville, de l’organisation de l’espace urbain. Mais c’est le Pud qui détaille, à une échelle beaucoup plus réduite, les éléments qui sont prévus dans un espace urbain. Et Dakar a des documents sur ce sens-là, depuis très longtemps. D’ailleurs, le Pdu 2025 est reporté en 2035 pour pouvoir tenir compte des orientations de l’Etat.

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