Publié le 8 Jan 2019 - 12:50
DEBUT DES AUDITIONS DE LA TRRC

La Gambie entame  son ‘’Ndeupp’’ national

 

Instituée par une loi en décembre 2017, la Commission vérité, réconciliation et réparation de la Gambie a entamé ses premières auditions, hier. Et c’est l’ancien commandant de la gendarmerie, Ebrima Chongan, qui a ouvert le bal des témoignages.

 

La Commission vérité, réconciliation et réparation de la Gambie (Trrc) a ouvert ses travaux ce lundi, avec l'audition de son premier témoin, Ebrima Chongan, un ancien commandant de la gendarmerie gambienne avant sa dissolution et commandant de la force tactique conjointe d'intervention, au moment du coup d'Etat ayant porté Yahya Jammeh au pouvoir le 22 juillet 1994. L'ex-capitaine Chongan a expliqué comment une multitude de circonstances et de frustrations au sein de l'armée gambienne ont abouti à deux mutineries, puis au coup d'Etat ayant basculé la Gambie dans les 22 ans de règne de Yahya Jammeh.

''Il y a eu d'abord le gel de la confédération de la Sénégambie. Cela induit moins de tâches pour les hommes de la gendarmerie entrainés à faire de la protection rapprochée des membres du gouvernement et des Vip ainsi qu'à assurer la sécurité auprès des bâtiments abritant des institutions de la République et du gouvernement. Et alors que nous étions soudain devenus redondants, la gendarmerie fut dissoute dans la police et plus tard s’est produite l'arrivée de l'armée nigériane qui n'a pas seulement remplacé la garde républicaine, mais a aussi pris le commandement de l'armée gambienne'', explique Chongan.

A la question de savoir quel est le lien entre la situation qu'il décrit et le coup d'Etat de Yahya Jammeh du 22 juillet 1994, Ebrima Chongan explique que les faits qu'il relate ont engendré une frustration aussi bien dans les rangs de l'armée que dans ceux de la gendarmerie.  Selon lui, certains de ces officiers dont Yahya Jammeh, ne cachaient plus leur envie de mettre fin à une situation où ils étaient réduits à porter un uniforme, alors que les décisions de commandement sur la souveraineté de leur pays étaient entre les mains des Nigérians. ''Une situation devenue plus persistante après la prise du pouvoir au Nigeria de Sany Abacha qui, de fait, était comme le président de la Gambie", renchérit Ebrima Chongan.

C'est sur ces entrefaites que deux mutineries ont éclaté avant la tournure décisive du 22 juillet 1994 avec le coup d'Etat de Yahya Jammeh. "J'ai été son commandant à la gendarmerie et son grand frère au camp militaire, Jammeh prenant ses repas à la maison, puisqu'il était célibataire et moi marié. Quand j'ai appris qu'il dirigeait les auteurs du coup d'Etat, j'ai tout de suite compris que le pire pouvait arriver à la Gambie, puisqu'il était de nature imprévisible et impulsive. Je connais très bien Yahya Jammeh. Je l’ai formé dans la gendarmerie. Il était un soldat indiscipliné et un comploteur permanent. Il prenait de l’alcool", affirme Ebrima Chogan à un membre de la commission.

Et Chongan de préciser que les germes du régime répressif étaient déjà là dès la prise du pouvoir des soldats le 22 juillet 1994. Car, souligne-t-il, après avoir suspendu la Constitution gambienne, "des dizaines d'officiels du gouvernement et des forces de sécurité ont été arrêtés et emprisonnés sans procès, avant d'être torturés et confinés à l'isolement dans des cellules infestées de rats et de moustiques'', selon le témoin. Ici, Chongan dit avoir vécu l'horreur dans une scène d'exécution factice, à la prison Mile Two de Banjul, une semaine après la prise de pouvoir de Yahya Jammeh.

''Les auteurs du coup d'Etat m'ont dit : ‘Fais tes dernières prières.’ J'ai répondu : ‘Non, je ne fais aucune prière, car j'irai au paradis, puisque vous m'aurez tué de toutes les façons. Et soudain ils ont tiré une série de rafales en l'air. Cela était court, mais il me semblait être une éternité".

Le témoignage d’Ebrima Chongan a surtout été l'occasion, pour les membres de la commission, de lui poser plusieurs questions pour comprendre comment le lieutenant Yahya Jammeh a su prendre le pouvoir et comment il a réussi à rallier ses supérieurs dans l'armée pour installer son régime. Dans ses réponses, l’ancien commandant de la gendarmerie gambienne, Ebrima Chongan, a pointé du doigt  "un manque de cohérence dans le commandement de l'armée, des services de renseignements démoralisés avec une police mal armée et très mal outillée pour des opérations de sécurité intérieur et surtout l'usage de la force et de l'intimidation par la junte militaire dès son arrivée au pouvoir".

Les auditions de témoins se poursuivent ce mardi à Banjul.

Instituée par une loi en décembre 2017, la Commission Trrc dispose de pouvoirs d’enquête et pourra, au terme de ses travaux dans deux ans, recommander des poursuites ou des réparations. Elle est présidée par un ancien diplomate auprès des Nations Unies, Lamin Sise, et comprend 11 membres dont quatre femmes.

Mame Talla Diaw

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