Publié le 25 Jan 2021 - 19:21
DECES DE JEAN MEISSA DIOP

Adieu l’expert !

 

Formateur hors pair, défenseur infatigable des couches vulnérables, le journaliste Jean Meissa Diop s’est éteint hier des suites d’une longue maladie.

 

Un vrai désastre ! Il était devenu le gardien du temple. Lui le grand expert autoproclamé ‘’inexpert’’. Jean Meissa Diop s’en est allé hier. Laissant derrière lui mille orphelins : sa famille d’abord, la presse, Ndiaganiao, mais aussi certaines couches sans défense. Au fil des ans, ses avis, dits trop humblement ‘’d’inexpert’’, étaient devenus une belle tribune pour la défense des mineurs et autres déficients mentaux. Quitte même à brûler ses confrères, un média coupable d’avoir enfreint les droits de ces personnes vulnérables. L’une des dernières en date est disponible sur sa page Facebook depuis le 5 janvier. Intitulé ‘’Quand caméras et reporters violent l’innocence’’, il s’indignait contre la mise en spectacle de la détresse de jeunes enfants talibés, face aux caméras. Il disait : ‘’Des enfants en détresse, des malades mentaux, des personnes dans la douleur et tant d’autres en situation de catastrophe ne sauraient être les stars d’exclusivités audiovisuelles. Le reporter doit respecter la douleur de ses interlocuteurs. S’interdire à franchir cette barrière est un des principes d’éthique du journaliste.’’

C’était Jean. Homme profondément juste. A lui seul, il était un tribunal des pairs. Ses avis valaient comme édits dans un milieu de la presse en profonde mutation. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas. On est tenu d’en prendre acte. Parce que c’est Jean. Parce que surtout, il était au-dessus de tout soupçon, de tout clivage, jalousie ou autres formes de méchanceté.

 Journaliste à la RTS, Moussa Joseph Faye témoigne : ‘’Jean, c’est la rigueur personnifiée. Il était très objectif dans le traitement de l’information, fin et juste dans ses analyses qui avaient une grande notoriété. C’est quelqu’un qui savait faire le départ entre ses croyances religieuses, culturelles et sa profession de journaliste. C’est ça Jean Meissa. Il a toujours donné au journalisme sa plénitude. Rien n’interférait dans sa pratique : pas les convictions religieuses, ethniques, rien.’’

Abondant dans le même sens, son ancien collaborateur au groupe Walf, Mademba Ndiaye, déclare : ‘’La presse perd un fin intellectuel dont la lecture des médias était d’une perspicacité incontestable.’’

Sorti du Centre d’étude des sciences et techniques de l’information (Cesti) en 1985, membre du Conseil national de régulation de l’audiovisuel jusqu’en 2018, l’enfant de Ndiaganiao était un professionnel accompli. Un formateur hors pair, selon nombre de témoignages de ses élèves et stagiaires. Habib Demba Fall revient sur ses débuts à ‘’Walf’’, sous l’aile protectrice du chroniqueur de ‘’Walf’’. ‘’Tout commence par un papier imprimé. Sans un mot. Jean Meïssa Diop venait de me le tendre. Que faire de ce papier ? Je ne savais pas trop. Je m’en ouvre à Abou Abel Thiam. Silence également de son côté. Juste un signe qui me désigne le téléphone fixe sur la table. J’ai eu une fraction de seconde pour réfléchir. Et j’ai compris qu’il fallait faire quelque chose. Qu’il fallait appeler au numéro sur l’invitation… Premier article le surlendemain. Deuxième article dans la foulée sur une session plénière à l’Assemblée nationale’’.

Ainsi forgé, l’actuel responsable de la communication de la Sones, au bout de deux semaines, se fait la main. Et plus tard, il comprit ce qu’était la méthode Jean. ‘’Il était adepte de ce qu’il appelait ‘la pédagogie de la piscine’. Le maître te laisse plonger, apprendre à nager et n’est jamais loin pour porter secours, au cas où…’’

Avec Jean, c’était bien plus que ça, d’après son ancien stagiaire devenu journaliste reporter dans son service. Pro jusqu’au bout des ongles, il insistait toujours sur la précision dans les mots, la concision, la primauté des faits et leur exactitude, le style… Ce qui a façonné le jeune Habib. Qui ajoute : ‘’J’ai très vite adhéré au style d’un orfèvre du mot doublé d’un inconditionnel des faits. Plus tard, l’ordinateur est devenu un outil ordinaire. Avant, c’était le ‘beefsteak’, ce papier pour impression modelé en format A4 pour servir de support d’écriture des articles. L’opérateur de saisie s’attelait à la reproduction du texte brut. Ensuite, le chef de service convie tout le monde à l’exercice de vérité : publiable ou non ? Et à cet exercice, Jean Meïssa Diop m’a beaucoup donné ! D’abord, l’habitude de lire l’actualité en développant des angles de traitement originaux’’.

Homme affable, disponible et très généreux quand il s’agit d’encadrer de jeunes confrères, le formateur au Cesti ne se limitait pas à ses stagiaires et autres élèves des écoles et instituts. Samba Diamanka est journaliste au ‘’Témoin’’. Il raconte sa part de Jean Meissa. ‘’On discutait beaucoup. Souvent, je le consultais et il me donnait beaucoup de conseils. Il me demandait de lire, surtout les articles de certains anciens comme Tidiane Kassé. Jean était quelqu’un de très disponible. Quand on a créé le site Senenquête avec mon ami Serigne Abdou Khadr… on le sollicitait beaucoup. Et il ne nous renvoyait jamais à un autre jour. Il était toujours disponible’’.

En plus d’être sortis de la même école de journalisme, les deux partageaient le même engouement pour le réseau social Facebook. Malgré plusieurs générations de différence. D’ailleurs, dira M. Diamanka, des anciens, il est des plus présents sur la toile. ‘’C’est l’un des anciens qui n’a pas cédé la place aux jeunes dans les RS. Il fait partie des anciens qui maitrisent bien les nouveaux médias. Il était très actif. Il publie tout le temps. Il me disait qu’il aimait bien le style de mes ramassages sur Facebook’’.

Ainsi, c’est un des derniers mohicans qui quitte la barque. Malgré une santé chancelante, Jean n’a jamais lâché prise. Ses sorties étaient toujours des plus pointues, des plus pertinentes, des plus rigoureuses. On sentait toute la vigueur du journaliste aguerri, cultivé. Jusqu’au jour où on le voit en chair et en os. Seule sa force, son énergie débordante permet de nous rassurer, de garder notre sérénité.

Pour Moussa Joseph, ses conseils résonnent toujours en lui comme viatique. ‘’Quand j’étais à Ziguinchor, il m’appelait souvent pour me donner des conseils, en me demandant de traiter l’information avec objectivité, mais aussi avec responsabilité. Jean était malade, mais personne ne pouvait le sentir. C’est vraiment quelque chose que je retiens de lui. Cela montre qu’on peut traverser des difficultés dans la vie : des problèmes dans son milieu de travail, mais cela ne doit pas apparaitre dans le travail’’. Et d’ajouter sur un ton empreint de tristesse : ‘’J’ai connu Jean par l’intermédiaire d’Antoine Ngor Faye, mais aussi de Martin Faye, avec qui il formait un trio inséparable. Il m’appelait déjà frérot. Par la suite, il a découvert que je suis un camarade de promo au CEM de son épouse Diariétou Ndiaye. Cela nous a davantage rapprochés. J’étais ainsi devenu en même temps son ‘goro’. Il me disait, à l’instar de mes autres camarades de promo : ‘Vous m’avez réservé la plus belle femme au monde.’

Ainsi, au-delà du professionnel, Jean fascine ses jeunes confrères par son humanisme, son sens élevé du partage, de l’humilité. ‘’Nous devons beaucoup apprendre de lui, renchérit Diamanka. Malgré toute sa notoriété, on se souvient encore de ce journaliste qui l’avait attaqué frontalement, qui l’avait traité de tous les noms, mais Jean n’a jamais répondu. Il avait toujours l’humilité et la courtoisie en bandoulière. C’est un homme exceptionnel. Des hommes comme lui, c’est rare d’en trouver. Je retiens son humilité, sa grande rigueur, sa générosité’’.

Mais Jean, c’est avant tout le journaliste émérite de presse écrite. Une des plus belles plumes de sa génération. Samba Diamanka confirme : ‘’Lire deux phrases de Jean, c’est comme lire un ouvrage.’’ Après Sidy Lamine en décembre 2018, Abdourahmane Camara en décembre 2019, c’est un des piliers du groupe Walf qui quitte ainsi le monde de la presse sur la pointe des pieds. Ce, alors qu’on n’a même pas fini de pleurer un autre mohican des médias sénégalais, en l’occurrence Babacar Touré. L’un de ses interminables combats aura été de préserver toute la dignité d’une corporation menacée de toute part. ‘’Les bouffons, disait-il dans une de ses chroniques, n’auront pas raison du journalisme’’.

GANA GNING, MAIRE DE NDIAGANIAO

‘’Nous avons perdu un digne fils’’

Edile de la commune de Ndiaganiao, Gana Gning ne tarit pas d’éloges pour Jean Meissa Diop, le digne fils du terroir. ‘’C’est quelqu’un qui aimait profondément son terroir. Il était très social. C’est aussi un vrai croyant’’. Même si la profession ne lui permettait pas d’être tout le temps présent, Jean a toujours été du côté des siens. Tout le monde peut se rappeler de sa posture sans équivoque dans le différend qui avait opposé Ndingler au milliardaire Babacar Ngom. Il n’a eu de cesse de faire des sorties pour exiger le respect du droit des paysans.

Selon le maire, Ndiaganiao perd un digne fils. Et d’ajouter : ‘’C’est aussi le Sénégal et la démocratie qui perdent. Parce que c’est la presse qui fait vivre la démocratie et Jean en était un des piliers.’’ Du journaliste, il dira : ‘’Je l’ai connu très intègre, courtois et très intelligent. C’est un homme qui aimait son métier et qui l’exerçait avec abnégation. Sa plume était très plaisante, très pointue avec des analyses profondes.’’

MOR AMAR