Publié le 3 Sep 2020 - 00:02
DECLARATION DU 30 AOUT 2020

La société civile ouest-africaine rappelle à l’ordre la ‘’CEDEAO des chefs d’Etat’’

 

Une quarantaine d’organisations socioprofessionnelles, de la société civile, du secteur privé et les citoyens de la CEDEAO a appelé, hier, à une revue de l’organisation sous-régionale pour mieux répondre aux aspirations des peuples, en lieu et place de celles des chefs d’Etat.

 

2020. L’année à laquelle la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), à travers la Vision 2020, devait consacrer le passage de la CEDEAO des Etats à la CEDEAO des peuples. Lancée depuis 2006, cette mission a été un échec cuisant. Car, ‘’aujourd’hui, nous nous rendons compte que nous sommes encore plus ancrés dans la CEDEAO des Etats et, pire, nous évoluons vers la CEDEAO des chefs d’Etat. Un club de présidents qui prennent des décisions à l’élaboration desquelles les peuples ne participent pas, ne les reconnaissent pas et qui font perdre à l’institution sa crédibilité’’.

Ce constat du Dr Cheikh Tidiane Dièye, Directeur du Centre africain pour le commerce, l’intégration et le développement (Cacid), Réseau Enda/Tiers-monde/Sénégal, est dur et amer, à l’image de 12 autres points relevés dans une déclaration des organisations socioprofessionnelles, de la société civile, du secteur privé, au nom des citoyens de la CEDEAO. Prononcée ce 30 août 2020, elle marque également l’expression de cette société civile ‘’communautaire’’ à l’endroit des chefs d'Etat et de gouvernement de la CEDEAO, de ‘’profondes préoccupations’’ et la formulation de 15 demandes pour un retour sur le bon cap de l’organisation sous-régionale.

Parmi les ‘’choses regrettables qui pourraient anéantir des décennies d’efforts et tirer la CEDEAO vers le bas’’, relevées dans la déclaration des membres de la société civile des 15 Etats ouest-africains : ‘’L’effritement de l’image de la CEDEAO au sein de la communauté et le sentiment de rejet grandissant chez les citoyens, qui pourraient saper durablement la légitimité de l’institution et compromettre l’appropriation de ses politiques par ces derniers.’’

La crise au Mali a fini de le démontrer. Les décisions prises par les chefs d’Etat, lors de leurs deux sommets extraordinaires sur le Mali, ont toutes été rejetées par le peuple malien (le retour au pouvoir d’Ibrahima Boubacar Keïta, l’exigence de la nomination d’un président de la transition et d’un Premier ministre pour une transition d’un an). A la place, la junte au pouvoir, avec une adhésion populaire, a lancé une concertation nationale pour prendre en compte les aspirations de tous.  

L’attitude des leaders de l’organisation sous-régionale vis-à-vis de Bamako montre, pour Mme Khady Fall Tall, que les aspirations des citoyens au sein de la communauté ne sont en rien prioritaires, aux yeux de ces décideurs.

En effet, regrette la présidente de l’Association des femmes de l’Afrique de l’Ouest (Afao/Sénégal), ‘’pendant des mois, le peuple malien était dans la rue avant la prise du pouvoir par les militaires. Des centaines de personnes ont été tuées au Mali, en 2019. Il y a eu fréquemment des problèmes communautaires, le kidnapping d’un candidat à la Présidentielle. Durant tout ce temps, l’on n’a pas entendu une déclaration de la CEDEAO pour déplorer cette situation. Dès lors que la junte est arrivée au pouvoir, ils se sont levés pour sanctionner’’. Souhaitaient-ils simplement venir en aide à un pote dans le pétrin ?

Maintenant que l’ancien président malien a démissionné de son poste et ne souhaite plus revenir, les décisions des chefs d’Etat à l’endroit de ce pays ne ‘’prennent toujours pas en compte les intérêts de la population’’, dénonce-t-elle.

Des sanctions illégales de la CEDEAO

Car en sanctionnant la junte sur le plan économique et commercial, ce sont les Maliens qui en pâtissent le plus. Et ‘’on ne peut pas cautionner des sanctions qui ne feront souffrir que la population’’, prévient Mme Fall. D’autant plus que, selon le Dr Cheikh Tidiane Dièye, ‘’les sanctions sont totalement illégales et dangereuses. Dans le communiqué de la CEDEAO publié avant le premier sommet des chefs d’Etat, la commission a invoqué le protocole ASP1 12 01 sur la bonne gouvernance et la démocratie. Sauf que les sanctions qui y sont inscrites en cas de coup d’Etat, parlent de suspension du pays des instances délibératives, de ne plus y organiser des réunions ou encore de refuser de soutenir les candidats de ce pays, lorsqu’ils concourent à des postes au sein de la communauté. Mais les chefs d’Etat sont allés au-delà de cela, en décrétant des sanctions économiques et commerciales contre le Mali. Ce qui est excessif, disproportionné et dangereux pour le peuple malien’’.  

Les organisations regrettent ce qui s’est passé en 2019 avec l’Eco, la monnaie unique de la CEDEAO que des pays membres de l’UEMOA essayent de substituer au franc CFA. Mais aussi que l’organisation sous-régionale ne se prononce pas, dans ce contexte de pandémie qui secoue le monde et ses Etats membres, sur la situation sanitaire actuelle et les leçons que l’on puisse en tirer sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la région.

Un point qui amène la présidente de l’Afao/Sénégal à rappeler que ‘’les gens doivent se souvenir qu’il s’agit d’une communauté économique. Les pères fondateurs ont mis en place cette CEDEAO pour avoir une voie économique de développement de notre région. Au cours du temps, la politisation à outrance a fait que nous voyons un certain accaparement de l’appareil CEDEAO par le Sommet des chefs d’Etat pour avoir un droit de vie et de mort sur les Etats et, par conséquent, sur les peuples’’.

Un Conseil économique et social de la CEDEAO

Pour toutes ces raisons et bien d’autres listées dans la déclaration signée par une quarantaine d’organisations sociales, politiques, syndicales et religieuses de l’ensemble des pays de la CEDEAO, les demandes à l’attention des chefs d’Etat comprennent la ‘’dépolitisation la Commission de la CEDEAO en réduisant sans délai le nombre de statutaires à un maximum de 5 au sein de la Commission de la CEDEAO (au lieu des 16 actuellement)’’. Ceci pourrait permettre d’économiser de précieuses ressources pouvant être investies dans des projets de développement régional qui profiteraient aux citoyens de la communauté.

La déclaration met aussi l’accent sur la nécessité de mettre en place et rendre fonctionnel le Conseil économique et social de la CEDEAO, comme émanation des représentants des organisations socioprofessionnelles et de la société civile des Etats membres de la CEDEAO en tant qu’organe consultatif autonome sur les sujets économiques, sociaux et de développement de la communauté. Mais encore le besoin de prêter une attention particulière à l’industrialisation de la région par l’élaboration et l’articulation entre les politiques commerciale et industrielle, assorties de dotations budgétaires appropriées afin de créer un environnement propice à la création d'emplois décents, en particulier pour les femmes et les jeunes.

Afin de s’assurer d’un redressement de la marche de l’organisation sous-régionale vers ses objectifs originels, les organisations socioprofessionnelles, de la société civile, du secteur privé et les citoyens de la CEDEAO dans leur ensemble ont promis de prendre désormais une part active dans la vie de la communauté et d’assurer le suivi de la mise en œuvre de leur Déclaration du 30 août 2020.

GUINEE

Contre vents et marées, Alpha Condé candidat à un 3e mandat

Un des points saillants de la demande des organisations de la société civile au sein des pays de la  CEDEAO, formulée hier à l’endroit des chefs d’Etat de l’organisation sous-régionale, était d’’’interdire, proscrire, mettre hors-la-loi et/ou refuser définitivement et de manière définitive tout changement, altération et/ou modification de la Constitution ou de tout statut en vigueur d'un État membre de la CEDEAO, dans sa nature ou sa période, visant ou destiné à rendre tout chef d’État éligible pour un troisième mandat’’.

 Difficile d’être plus clair, lorsque Mme Khady Fall Tall, Présidente de l’Association des femmes de l’Afrique de l’Ouest (Afao/Sénégal), portant la voix de ses homologues, rajoutait : ‘’Nous ne sommes pas d’accord sur les troisièmes mandats. Ni sur l’idée, la forme ou la tentative.’’ 

Toutefois, cela n’a pas empêché le président guinéen, Alpha Condé, d’annoncer sa candidature à un troisième mandat. En effet, son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) a mis fin, hier, à un faux suspense, tant l’issue semblait évidente, en annonçant dans un communiqué lu à la télévision nationale RTG, que ‘’le président Alpha Condé sera bien notre candidat à l’élection présidentielle’’.

Après plusieurs mois de contestations à Conakry, ayant fait une dizaine de morts, l’opposition guinéenne dénonce.

A 82 ans, Alpha Condé, élu en 2010 et réélu en 2015, avait dit ‘’prendre acte’’, sans formellement s’engager, mais en demandant à sa formation et à ses alliés de s’engager sur un programme centré sur les femmes, les jeunes et les plus démunis. La Constitution guinéenne limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Mais l’adoption, en début d’année, d’une nouvelle loi fondamentale qui maintient cette limitation, lors d’un référendum boycotté par l’opposition, permet au président sortant de remettre les compteurs à zéro, affirmaient depuis des mois ses partisans.

Le président ivoirien Alassane Ouattara a lancé la première sonde, en annonçant sa candidature à un troisième mandat. Cette candidature d’Alpha Condé en appelle peut-être une autre.

Lamine Diouf

 

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