Publié le 30 May 2020 - 22:07
DEFICIT DE POCHES SANGUINES AU SENEGAL

De mal en pis…

 
 
 
La pandémie de Covid-19 appauvrit les banques de sang, surtout qu’il y avait déjà des déficits récurrents. Les chiffres actuels inquiètent.
 
 
Depuis l’avènement du coronavirus au Sénégal, les réserves en poches de sang s’amenuisent. Les Sénégalais ne donnent plus de leur sang. Juste avant la mi-mars, le directeur du Centre national de transfusion sanguine (CNTS) Saliou Diop, lançait l’alerte. Une baisse de 25 % a été enregistrée. ‘’Nous avons constaté que, depuis la communication qui est faite pour éviter les rassemblements, on a une réduction importante du nombre de donneurs de sang’’, disait-il. D’ailleurs, depuis cette date, il ne cesse de rassurer les populations sur le fait que toutes les dispositions ont été prises pour que les collectes se fassent sans aucun risque de contamination.  
 
Toutefois, ses multiples appels contre le report ou l’annulation des collectes sont restés vains. Chose qui aggrave le déficit. 
 
Les besoins nationaux sont estimés à 150 000 poches par an. La pénurie de sang est récurrente. En 2018, par exemple, il y a eu un gap de 52 000. Mais cette année, la pandémie a enfoncé le clou. Or, 25 % des femmes décèdent lors d’un accouchement en raison d’hémorragies. Il va de soi que, si la situation perdure, la mortalité maternelle a encore de beaux jours devant elle. A cela s’ajoute les malades souffrant d’insuffisance rénale. De l’avis du professeur Saliou Diop, on ne doit pas attendre que l’urgence soit là pour réagir. ‘’Dans les pays développés, on a 30 dons pour 1 000 habitants, pendant qu’au Sénégal, nous sommes à 6,5 pour 1 000 habitants. Il existe beaucoup de raisons socio-économiques qui font que tout le monde ne participe pas à l’effort du don de sang. Plusieurs Sénégalais n’ont pas accès aux médias’’, ajoute-t-il. 
 
Le 27 mars, l’agent de sensibilisation Serigne Mame Mbaye Koté décrivait, dans une interview avec ‘’EnQuête’’, une situation intenable. ‘’En temps normal, nous avons entre 50 et 60 poches par jour. Actuellement, le maximum atteint, c’est 20. Ce qui veut dire qu’il y a un manque qu’il urge de corriger. La norme, c’est d’avoir 10 poches pour 1 000 habitants. Avant l’épidémie, nous étions à 6 poches pour 1 000, mais en ce moment, nous n’avons même pas 2 poches pour 1 000 habitants’’. 
 
De ce fait, le centre ne gérait que les urgences, à savoir les opérations et les femmes en salle d’accouchement. Sauf que là encore, la quantité transfusée est réduite.  
 
Ce samedi, une collecte d'urgence est organisée au CNTS qui espère enregistrer une forte mobilisation. Ses membres ont lancé une alerte dans les réseaux sociaux et dans les médias à l’endroit de certaines associations, pour inciter les Sénégalais à réagir. 
 
3 QUESTIONS A FATOU KINE DIOP DIONE (chargée de communication au CNTS)
 
‘’Les frigos sont vides, il n’y a plus de stock de sang disponible’’
 
La pénurie de sang, cette année, est plus prononcée, vu le contexte. Au Centre national de transfusion sanguine, on a choisi de mettre l’accent sur les alertes via Internet.
 
Le centre a donné plusieurs alertes ces dernières semaines. Quelle est la situation actuelle au niveau des banques de sang ?
 
Depuis le début de la pandémie, la difficulté majeure du Centre national de transfusion sanguine, c'est que les donneurs se font de plus en plus rares. Certains ont peur de venir dans les structures de santé, pensant qu'ils pourraient être contaminés par le virus. D'autres sont confinés. L'autre problème, c'est que nous avions l'habitude d'organiser des collectes mobiles, c'est-à-dire en dehors du centre, dans les ministères, les entreprises, les écoles, etc. Vous constatez que les écoles sont fermées, la majorité des entreprises, les mosquées également et en plus les rassemblements sont interdits. A cause de tous ces facteurs liés à la pandémie, nous recevons de moins en moins de donneurs bénévoles et volontaires. Ce qui entraîne une rupture du stock de sang. 
 
A Dakar, la situation est visiblement préoccupante. Comment se présente-t-elle dans les régions ?
 
Nous sommes dans un pays constitué de 95 % de musulmans et nous venons de terminer le mois de ramadan. Donc, dites-vous que 95 % de la population ne viendra pas donner du sang, parce que, quand on jeûne on ne peut pas faire de don de sang. Les 5 % de la population qui reste, c'est-à-dire les chrétiens, avait l'habitude d'organiser des collectes dans les églises, durant le mois de ramadan.
 
Ce sont eux qui nous aidaient à tenir, mais puisque cette année, les églises sont fermées et les rassemblements interdits, vous pouvez imaginer la catastrophe. Cela, même si avant le mois de ramadan, nous avions essayé d'organiser des collectes avec les associations et même dans les régions et avec certaines structures, malgré la pandémie, en mettant en place et en respectant les mesures d'hygiène pour essayer de continuer à sauver des vies... 
 
Au centre, durant ce mois, on recevait pour la plupart des ‘’dons en faveur de’’ c'est-à-dire un donneur qui vient se faire prélever pour son malade. Sur 10 donneurs, les 8 étaient des ‘’dons en faveur de’’. Face aux cas d’urgence, les patients étaient obligés de demander à leurs familles de venir donner de leur sang, pour pouvoir subvenir à leurs besoins en transfusion.  La conséquence, elle est là, palpable. Les frigos sont vides, il n'y a plus de stock de sang disponible et les malades attendent d'être transfusés. Il y a une pénurie de sang, malgré toutes les stratégies mises en place pour parer à cette situation.
 
Quelles actions menez-vous en termes de sensibilisation ?
 
La sensibilisation au CNTS se fait tous les jours à travers les réseaux sociaux, les médias. Nous n'attendons pas les situations d'urgence pour sensibiliser. Mais face à chaque situation, nous mettons en place des stratégies que nous adaptons, même s'il y a parfois des réticences. Le message que nous lançons encore à la population est de ne pas attendre les situations d'urgence. En cette période de pandémie, il y a toujours des malades qui ont besoin de sang. Nous avons mis en place, dans nos structures, des mesures de sécurité et d'hygiène, comme il est recommandé. N'arrêtons pas de donner du sang, nous devons sauver des vies. Demain (aujourd’hui samedi) nous espérons recevoir du monde et cela permettra de conscientiser encore sur le don de sang. Des masques seront distribués aux donneurs et nous veillerons au respect des mesures préventives.  
 
 
EMMANUELLA MARAME FAYE
 

 

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