Publié le 7 Feb 2020 - 21:01
DETTE INTERIEURE

Un drame social et économique dans le secteur des BTP

 

Malgré les multiples chantiers lancés par l’Etat, les entreprises sénégalaises du BTP plongent, jour après jour, dans le gouffre, du fait de la dette que leur doit le Trésor public. Une véritable bombe sociale, si l’on sait que ces dernières emploient des milliers de Sénégalais et tirent la croissance économique du PIB.  

 

Entre les chiffres et la réalité, il y a parfois à manger et à boire. Récemment, à l’occasion du lancement de la gestion budgétaire 2020, le ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, se réjouissait d’un excédent budgétaire en 2019. Autrement dit, l’Etat a pu non seulement prendre en charge ses dépenses, mais aussi s’est même permis quelques réserves dans sa trésorerie. ‘’Le financement exceptionnel engrangé en 2019, disait le ministre, a permis le report, sur la gestion 2020, d’un solde de trésorerie, mobilisable au 1er janvier sur les comptes du Trésor général de l’Etat, d’un montant de 145,34 milliards de francs CFA’’.

Très content de ces résultats financiers affichés par ses services, il informait qu’en ce début d’année 2020, l’Etat a pu s’acquitter, avec aisance, aux premières dépenses urgentes et prioritaires pour un montant de 58 milliards. ‘’Au total, le Sénégal affiche une bonne santé économique et financière, au terme de la gestion 2019 et tous les indicateurs économiques et financiers sont respectés’’, se félicitait Daouda Diallo devant tous les chefs de service de son département.  

Mais parce que l’Etat est puissant et hyper protégé, ses créanciers se trouvent dans l’incapacité de lui exiger le paiement de leur dû. L’une des principales victimes de cette dette intérieure galopante, d’année en année, ce sont les entreprises du BTP (le secteur des bâtiments et travaux publics). Ces dernières se meurent à petit feu. Certaines n’en peuvent plus et commencent à répercuter le supplice sur les pauvres travailleurs. La semaine dernière, le Consortium d’entreprises (CDE) s’est débarrassé de 200 salariés pour motif économique. Deux cents pères de famille qui se retrouvent ainsi au chômage, du jour au lendemain. Leurs camarades, encore en poste, s’inquiètent pour leur sort. Ce cadre de la boîte témoigne : ‘’Aujourd’hui, nous sommes tous sur la sellette. Ces gens ont été licenciés sans préavis. Moralement, ils n’ont pas été préparés, alors que ce sont des pères de famille dont certains ont fait plusieurs années dans l’entreprise. Je pense qu’on aurait pu les aviser bien avant, pour qu’ils puissent se préparer en conséquence.’’

Très amer, notre interlocuteur essaie de se mettre à la place de ces laissés pour compte dont certains, rappelle-t-il, trainent des maladies. ‘’Ils ont pu tenir, notamment grâce à la prise en charge médicale dont ils bénéficiaient de la part de l’entreprise. Que vont-ils devenir, maintenant qu’ils perdent leurs emplois ? Et on les a libérés avec des modiques sommes qui varient entre 400 000 et 1 million au maximum. C’est très regrettable. Nous déplorons aussi l’attitude des délégués du personnel qui ont cautionné ces licenciements. Ils n’ont rien fait pour l’éviter. Aujourd’hui, nous avons l’impression qu’ils ont été vendus’’, regrette-t-il.  

‘’L’Etat doit plus de 100 milliards de francs CFA…’’

Mais, rectifie le secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de la construction, de bâtiments et travaux publics (SNTC/BTP) Djaraf Ndao, ces délégués ont, bien au contraire, tout fait pour la sauvegarde des intérêts des travailleurs. Son syndicat, dont ils dépendent, a même pris un inspecteur du travail pour que leurs droits soient préservés.

‘’Maintenant, souligne-t-il, un licenciement, c’est toujours très difficile pour un père de famille. Nous le déplorons tous, mais la situation est tellement difficile que l’entreprise n’a rien pu faire pour sauver les emplois sans compromettre la sauvegarde de l’outil de travail. Je dois rappeler qu’ils ont bénéficié de toutes les indemnités auxquelles ils avaient droit. Et en cas de recrutement, ils sont la priorité’’.

Un véritable drame, en tout cas, pour les concernés dont certains avaient des contrats à durée indéterminée. A en croire M. Ndao, le principal responsable de cette situation, c’est l’Etat du Sénégal qui rechigne à payer les arriérés. ‘’Depuis plus d’un an, nous ne cessons d’alerter, mais les réactions restent assez timides. La situation est encore plus difficile pour le CDE qui n’a pu bénéficier d’aucune rentrée d’argent. Or, en termes d’effectifs, c’est la plus grande entreprise avec 4 000 à 4 500 employés. A un moment donné, l’Etat lui devait 20 milliards de francs CFA. C’est très difficile de tenir dans ces conditions’’.  

Avec cette situation déliquescente, c’est la croissance même du pays qui risque d’être entamée. Le BTP représentant un des moteurs de la croissance économique. ‘’Au lieu de soutenir les grandes entreprises, l’Etat est en train de les tuer. Aujourd’hui, toutes les PME, dans ce secteur, sont à l’agonie, parce que ce sont les majors qui les font travailler. Si ces dernières sont dans des difficultés, les PME ne peuvent tenir. Il urge que l’Etat paie cette dette qui n’a que trop duré’’. Rien que pour les grandes entreprises (CDE, Eiffage, CSE, Soseter), l’Etat doit plus de 100 milliards de francs CFA, renseigne le syndicaliste.

‘’L’Etat les préfère aux Chinois et Turcs’’

Aussi paradoxal soit-il, ces difficultés du BTP surviennent à un moment où les pouvoirs publics ont lancé plusieurs grands travaux, dont une nouvelle ville encore à construire à Diamniadio. En plus de ne pas être payées, les entreprises sénégalaises, évoluant dans le BTP peinent également à gagner certains grands marchés. ‘’L’Etat les préfère aux Chinois et Turcs qui remportent la plupart des marchés. Ces dernières sont super avantagées, parce que leurs gouvernements les soutiennent. Vous ne les voyez jamais se plaindre de la dette’’.

Pendant que l’Etat rechigne à payer les entreprises sénégalaises, il n’a presque jamais failli en ce qui concerne le paiement du service de la dette extérieure. Professeur Malick Sané explique : ‘’En général, les pays font tout pour payer la dette extérieure, prioritairement, pour préserver la crédibilité de leur signature, en vue de bénéficier de nouveaux prêts. Pour le paiement de la dette intérieure, il y a généralement des lenteurs, surtout dans nos pays.’’ Or, renseigne-t-il, selon les critères de convergence de l’UEMOA, l’Etat ne doit avoir aucune accumulation. Ni en termes de dette extérieure ni en termes de dette intérieure.

‘’Mais, dans la réalité, souvent, il y a des arriérés en ce qui concerne la dette intérieure. Cela peut être dû à des tensions budgétaires. Ce qui est normal, car il y a un décalage entre le recouvrement des impôts et les dépenses qui sont quotidiennes. L’existence de la dette intérieure est tout à fait normale pour un pays. Mais, ici, la difficulté, c’est son accumulation qui fait qu’on en arrive à des montants très élevés’’.

Cela engendre un cycle vicieux qui débouche généralement sur des situations difficiles et pour les entreprises, les travailleurs et l’Etat. ‘’Si les entreprises ne sont pas payées, elles vont emprunter au niveau du système bancaire. Ce qui génère des charges supplémentaires qu’elles auraient pu éviter. Quand elles ne parviennent pas à trouver des fonds, c’est soit des licenciements de personnels, soit la clé sous le paillasson. Et cela, naturellement, va impacter la croissance’’.

Saluant les efforts de l’Etat qui, par la commande publique importante, essaie de tirer le secteur vers le haut, M. Sané insiste également sur la nécessité d’instaurer plus d’équilibre dans sa gestion. Aux entreprises du BTP, le spécialiste requiert la diversification des partenaires pour ne pas dépendre exclusivement de la commande publique.

Dans le secteur des BTP, on a comme l’impression qu’il existe une croissance à double vitesse. D’une part, les firmes étrangères qui fleurissent, de l’autre, les entreprises nationales qui semblent se trouver dans une maladie chronique. Pendant que certains accusent une discrimination au détriment des sociétés sénégalaises, Malick Sané croit plus en un décalage au niveau des ressorts économiques et financiers. ‘’Je ne crois pas en une discrimination qui léserait les entreprises nationales. Le problème est que les entreprises étrangères ont des structures plus solides, une clientèle plus diversifiée parfois, ou bien une maison mère qui leur permettent de disposer de ressources. Ce qui n’est, souvent, pas le cas de nos entreprises qui ont même parfois des difficultés à prendre en charge les marchés qui leur sont confiés’’.

LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE

Une liberté encadrée

Il ressort des articles L60 et suivants du Code du travail que, pour tout licenciement pour motif économique, l’employeur doit réunir les délégués du personnel et rechercher avec eux toutes les autres alternatives possibles, avant de pouvoir procéder auxdits licenciements. Parmi ces mesures alternatives possibles, la loi cite : la réduction des heures de travail, le travail par roulement, le chômage partiel, la formation ou le redéploiement du personnel.

‘’Le compte rendu de cette réunion, établi par l’employeur, doit être, dans un délai de huit jours, communiqué à l’inspecteur du travail et de la sécurité sociale. Lequel dispose d’un délai de 15 jours, à compter de cette communication, pour exercer, éventuellement, ses bons offices’’, indique l’alinéa 2 de l’article 60.

Mais ce licenciement doit être accompagné du paiement de tous les droits du travailleur. Aux termes de l’article 62 alinéa 5, ‘’le travailleur licencié pour motif économique bénéficie, en dehors du préavis et de l’indemnité de licenciement, d’une indemnité spéciale non imposable payée par l’employeur et égale à un mois de salaire brut. Il bénéficie également, dans son ancienne entreprise et pendant 2 ans, d’une priorité d’embauche dans la même catégorie’’. 

MOR AMAR

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