Publié le 23 Mar 2018 - 05:49
DOCTEUR BOLY DIOP, SECRETAIRE GENERAL DU SAMES

‘’Nous allons cibler des structures qui vont prendre en charge les urgences’’

 

En négociation avec le gouvernement, depuis 4 ans, pour l’application des accords signés, le syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames) a décidé d’aller en grève le lundi 26 mars avec une centralisation des urgences. Dans cet entretien, docteur Boly Diop explique pourquoi ils sont arrivés à ce stade.

 

Vous avez décidé de centraliser les urgences, dès lundi. Pourquoi en êtes-vous arrivés à ce stade ?

Le syndicat est sorti de sa réserve parce que, depuis la réunion du 12 février avec le Premier ministre, il n’y a pas eu une suite sérieuse. On nous a convoqués le 28 février. Mais la rencontre a été reportée. Nous avions décidé d’attendre, étant donné qu’on est dans le processus. Une autre réunion a été convoquée pour le 8 mars, mais elle a également été annulée. Donc, le gouvernement a annulé deux fois de suite des réunions, sans prendre des mesures concrètes, alors que tout le travail technique a été fait. La base ne comprend pas cette lenteur.

On s’est réunis le 12 mars, avec l’ensemble des ministères sectoriels, mais à notre grande surprise, le Premier ministre est absent. Aucune décision n’est sortie de cette rencontre. C’est un rendez-vous manqué. On a pris sur nous et nos responsabilités. Parce que trop, c'est trop. Il faut que le gouvernement arrête, afin que l’on puisse régler nos problèmes, afin de retourner dans les structures et travailler. Comme nous l’avons annoncé, nous avons dépassé l’étape des grèves où on faisait trois jours ou une journée. Si nous allons en mouvement, c’est pour cette fois faire la centralisation des urgences. Le lundi 26, le Sames a donné le mot d’ordre pour que les camarades puissent respecter ce principe de centralisation. On a remarqué pour le déplorer que le gouvernement ne réagit que devant des actions comme ça. Nous avons utilisé tous les moyens de lutte pacifiques que la constitution nous a donnés.

On a fait des correspondances à l’ensemble des institutions de ce pays pour les informer de la situation. On a rendu visite à certains chefs religieux, des hommes politiques pour les sensibiliser sur le fait que les médecins ne doivent pas sortir dans la rue pour exiger l’application des accords signés. Cette démarche  est restée sans suite. On a fait des déclarations, on a porté des brassards rouges. On a fait deux marches nationales et le gouvernement est resté insensible à nos préoccupations. La base est restée unanime, en disant que si on doit sortir, c’est pour que le gouvernement règle définitivement la question. Cela veut dire que, quand on commence la grève de 72 heures, du lundi au mercredi au niveau national, ça ne sera pas toutes les structures qui vont prendre en charge les urgences.

On va cibler des structures qui vont prendre en charge les urgences et les autres structures ne vont pas travailler. Nous allons communiquer avec la population pour qu’au niveau de chaque région, s’il y a des besoins en matière de soins, la structure indiquée soit connue. C’est une menace que nous allons mettre à exécution pour faire comprendre au gouvernement que trop, c’est trop. Quand on est acculé, dos au mur, on est obligé de réagir. On ne comprend pas ce gouvernement. Dakar a son plan de centralisation. Pour des raisons de stratégie, on ne va pas le dévoiler aujourd’hui. On va attendre samedi pour partager avec la population afin qu’elle puisse prendre des mesures adéquates. Mais également mettre le gouvernement devant ses responsabilités, parce qu’il n’a pas joué son rôle dans cette négociation.

Vous ne vous sentirez-pas coupables, en cas de mort d’homme pour non-assistance à personne en danger ?

Depuis 2014, on pense à la population. Parce que, pour un médecin, aller en grève et ne pas soigner, c’est dur. Parce que notre raison d’être, c’est la population. Mais en contrepartie, on demande à cette population de comprendre les médecins et de les appuyer dans cette lutte. Aujourd’hui, on est là en train de lutter, mais il y a beaucoup de médecins qui sont sortis du pays pour monnayer leurs talents ailleurs. Nous, nous avons décidé de rester ici pour soigner nos compatriotes qui  n’ont pas les moyens d’aller à l’extérieur pour se faire soigner. C’est pourquoi, je dis que notre combat doit être le leur. Il faut que la population s’implique et fasse comprendre au gouvernement que les médecins qui sont là et exercent dans les zones les plus reculées ont tout donné pour leur pays.

La nation doit être regardante vers eux. Nous dénonçons une injustice sociale. L’Etat doit rétablir l’équité. Les études ont montré que, si vous prenez 40% des médecins sénégalais formés, une partie est à l’étranger pour travailler. Allez dans les capitales américaines, européennes, vous ne verrez que des Africains dans leurs hôpitaux, alors que leurs populations ont besoin d’eux. Mais à cause de certaines pratiques, ils sont obligés d’y rester. On a décidé d’organiser cette centralisation. Nous dirons à la population les structures où elle pourra se soigner. On pouvait ne pas arriver à ce niveau. Parce que cela fait 4 ans que nous courons derrière ce gouvernement. Donc, la responsabilité incombe entièrement et pleinement à ce gouvernement.

Est-ce le contexte préélectoral qui vous a poussé à durcir le ton ?

Cela peut être une des raisons. C’est le président lui-même qui a dit que 2018 est une année sociale. Cela veut dire que les problèmes sociaux doivent être réglés. Le contexte nous est favorable aujourd’hui, et quand on doit durcir le ton, c’est le moment. Si le gouvernement doit bouger et régler les problèmes, c’est maintenant qu’il doit le faire. Nous mettons à notre niveau tous les moyens et toutes les stratégies pour que le gouvernement puisse matérialiser les accords. On ne va pas nous dire qu’on a profité du moment, parce que celui qui négocie pendant quatre ans et trouve une circonstance favorable, va l’exploiter à fond pour dépasser cette étape.

Depuis combien d’années êtes-vous en négociation avec le gouvernement ?

Le processus de négociation avec le gouvernement du Sénégal a débuté en septembre 2012. Après l’élection du Président, le Sames a déposé une plateforme revendicative au mois de juillet. En septembre de la même année, les deux parties ont commencé les négociations en réunion technique jusqu’en mars 2014 qui a abouti à la signature du protocole d’accords. De 2012 à 2014, nous avons tenu plus de 100 réunions techniques, avant d’arriver à la signature. Toutes les questions ont été bien discutées, bien analysées. Les accords sur lesquels le gouvernement est tombé d’accord avec nous pouvaient être matérialisés dans un bref délai. On a signé ces accords dans un contexte où il y avait la maladie à virus Ebola et le syndicat avait pris sur lui la décision de signer les accords et de faire face à la maladie. Depuis le 31 mars 2014, date de la signature, le gouvernement a pris un temps de répit pour l’application. C’est sur insistance du Sames que la commission de suivi a été instaurée pour la matérialisation des accords.

Ces accords portaient essentiellement sur quatre grands points. Le premier avait trait au statut du médecin. Parce que le médecin entre tard dans la fonction publique et il est souvent classé au corps des non-fonctionnaires. Donc, ceci posait un problème pour d’abord le salaire du médecin qui n’était pas conséquent, mais aussi, pour la retraite qui est fixée à 60 ans. Par rapport à cette problématique, le gouvernement a dit que cette question était à l’étude, dans le cadre d’une grande commission et de façon approfondie, il ne peut pas donner son accord tout de suite, mais dans le futur, il verrait comment la régler. Le gouvernement a également décidé de porter le projet du statut particulier du praticien hospitalier qui devrait être à l’étude au ministère de la Santé, pour qu’il y ait le corps des praticiens hospitaliers qui va régler un lancinant problème de la disponibilité de ressources humaines qualifiées dans les hôpitaux, aussi bien à Dakar que dans les régions. Le troisième sous-point, par rapport au statut des médecins, était en rapport avec le premier point, c’est le départ à la retraite à 68 ans que le gouvernement n’avait pas accepté sur le coup. Mais au fil des négociations, le gouvernement a été convaincu que c’est normal que les médecins puissent être libérés à 65 ans.

Le deuxième grand point avait trait au régime indemnitaire. Sur ce point, le gouvernement avait renvoyé tous les syndicats en 2012 à un petit système de rémunération. En disant qu’il ne peut rien faire par rapport au régime indemnitaire, mais qu’on leur donne le temps de finir l’étude. Et qu’au bout, les inégalités et les iniquités puissent être corrigées. Mais, dans le protocole que nous avons signé, ils étaient d’accord que le médecin sénégalais est mal rémunéré, eu égard à sa hiérarchie. Parce qu’on est de la hiérarchie A spéciale et la rémunération ne suit pas. On est les derniers de la classe, en termes de rémunération. Même les catégories inférieures étaient mieux rémunérées que nous. C’est pourquoi, dans la clause signée avec nous, le gouvernement s’est engagé à corriger cette injustice sociale, au plus tard en fin mars 2015.

On était convaincu que les résultats allaient être en notre faveur. Le troisième point portait sur l’accès au logement. Parce qu’on est mal payé et on n’est pas solvable dans les banques. Donc, il fallait que le gouvernement accompagne le syndicat pour l’octroi de terrains à usage d’habitation. Sur ce, on avait trouvé un accord avec le gouvernement qui avait décidé de nous octroyer au total 15 hectares. Notre surprise a été grande, parce qu’il a été identifié à Diamniadio 5 hectares, mais, de fil en aiguille, il s’est avéré que Diamniadio est érigé en pole urbain et il n’est pas possible qu’on ait des logements là-bas. On est tout à fait d’accord avec cela. Ce que le gouvernement a réalisé, c’est d’avoir donné 40 parcelles au syndicat au niveau de la Zac de Thiès. C’est la seule réalisation visible que le gouvernement a faite. Il était prévu également, dans les autres régions : Kaolack, Diourbel Richard-Toll, Ziguinchor, de donner des logements ; on est dans l’attente. Par rapport à l’ensemble de ces accords signés, peu ont eu des matérialisations. C’est ce qui a amené les mouvements entre 2014 et 2015. Les choses n’avançaient pas. Nous avons mené la lutte qui s’est terminée par une marche. Après, on a rangé la hache de guerre pour revenir en 2016 avec des alliances avec les autres syndicats de la santé. On a fait des sit-in. Nous avons constaté qu’à chaque fois que nous allons en mouvement, le gouvernement avance d’un pas.

Quels sont les points d’achoppement ?

Je rappelle qu’en 2017, nous n’avons pas été en mouvement. Nous avons donné du temps au gouvernement pour que l’ensemble des accords puissent être réglés. Mais nous avons le regret de constater que le gouvernement n’a pas avancé sur ces dossiers. C’est ce qui explique que nous ayons repris la lutte en 2018. On est vraiment déterminé, parce qu’on est à la veille de l’élection présidentielle. Le président a annoncé cette année comme une année spéciale, on va prendre la balle au rebond. Pour nous, c’est une année au cours de laquelle les solutions doivent être trouvées. Lors de la réunion avec le Premier ministre, le 12 février 2018, on a constaté que le gouvernement n’a pas avancé. Sept points ont été retenus, lors de cette réunion, devant être matérialisés dans les plus brefs délais. Le premier point a trait au statut particulier du médecin. Le syndicat a déposé un mémorandum qui retrace la pertinence et la qualité de cette demande. On a été surpris de constater que le gouvernement n’a pas bougé sur cette question. Le deuxième point non plus n’a pas connu d’avancée significative. C’est la retraite à 65 ans. Le ministère du Travail n’a pas fait son travail. Il était question de convoquer une réunion technique pour statuer sur les propositions du Premier ministre.

Le troisième point concerne le régime indemnitaire des médecins pharmaciens et chirurgiens-dentistes. Le Premier ministre a instruit au ministre du Budget de faire un travail technique qui a été fait. Les conclusions sont sur sa table, mais aucune décision n’a été prise. Ce qui est vraiment surprenant. Le quatrième point concerne le pré-équipement des médecins nouvellement recrutés. Le ministre du Budget nous a donné des rendez-vous qu’il n’a pas honorés et rien n’a été fait. Le cinquième point concerne l’indemnité de spécialisation médicale. Il y a une lenteur qu’on ne comprend pas du côté du gouvernement. Le dernier point, c’est en rapport avec les parcelles à usage d’habitation. Depuis les négociations de 2016, le gouvernement avait promis au Sames de donner des parcelles au Lac Rose, comme le pôle urbain de Diamniadio. Lors de la dernière réunion, le ministre de l’Urbanisme a donné l’emplacement, mais jusqu’à présent, le travail technique reste à être finalisé.

VIVIANE DIATTA

Section: