Publié le 5 Jun 2018 - 02:44
DR CHEIKH SADIBOU SENGHOR, MCR

‘’Kédougou est une région assez difficile, très excentrée’’

 

En plus d’un accès difficile et d’un déficit infrastructurel, la région de Kédougou manque surtout de spécialités, obligeant les acteurs de la santé à se rabattre sur Tambacounda. Médecin-chef de district de 2009 à 2013, puis médecin-chef de région depuis avril 2017, Dr Cheikh Sadibou Senghor connait bien les difficultés, mais aussi l’esprit d’innovation qui permet de faire le miracle dans cette partie oubliée du Sénégal. 

 

Comment se présente la situation sanitaire dans la région de  Kédougou ?

Nous sommes dans une région frontalière  avec la Guinée et le Mali. La région de Kédougou est un lieu de convergence du fait de l’existence de l’or qui attire les populations de la sous-région. Ces populations qui nous arrivent de la sous-région viennent avec d’autres cultures, d’autres comportements qui ne sont pas forcément les mêmes que nous avons ici. Dans ces pays de la sous-région, nous n’avons pas les mêmes performances dans le système de santé. La région de Kédougou est assez particulière, au-delà de la richesse de son sous-sol. Il y a le corridor qui passe ici, avec les camionneurs venant du Mali qui stationnent par moments dans la région.

Au-delà de ça, elle est caractérisée par l’existence de la flore, également de la faune. La plus grande partie du parc de Niokolo-Koba se trouve dans la région de Kédougou. Elle est ceinturée par le fleuve Gambie. Dans la région, les distances sont assez énormes, les populations sont dispersées parce que nous avons une population faible pour une superficie énorme, ce qui fait que la densité est de 10 hbt/km2.

La région de Kédougou est particulière, du fait de l’absence de nappe phréatique. Loin des saisons des pluies, nous avons des problèmes d’approvisionnement en eau, ce qui explique que les populations se servent des digues pour se ravitailler. Tout cela explique les quelques maladies qui existent dans la région. Durant l’année 2017, les statistiques indiquent que sur les cinq premières pathologies les plus fréquentes, sur les 175 693 patients consultés, nous avons constaté que le paludisme vient en première position, avec 29 %. Il est vrai que l’on parle de la maitrise de cette maladie qui est presque en pré-élimination dans la région du Nord. Mais, malheureusement, à Kédougou ça reste. Le premier motif de consultation est le paludisme, parce que les stagnations d’eau sont un socle. L’eau ne circule pas régulièrement. Kédougou est ceinturée par le fleuve.

La faune et la flore font que le paludisme continue à être un problème. Il y a le toux-rhume, surtout chez les enfants, qui vient en deuxième position, avec 12 350 cas durant la période de 2017, soit 7 %. Nous avons aussi la diarrhée, avec 6 %. Durant une certaine période de l’année, il y a un tarissement de la nappe phréatique ;  ce qui fait que les populations sont obligées d’utiliser d’autres sources d’eau pour se ravitailler. Il y a également les dermatoses. Quand on utilise l’eau de ruissellement, les eaux stagnantes, forcément, il y aura des manifestations dermatologiques. Elles représentent 2 % de l’ensemble des affections en 2017. Concernant le premier trimestre de l’année 2018, nous ne sommes pas encore en saison des pluies, ce qui fait que le paludisme est en troisième position. Nous avons en première position l’affection toux-rhume qui est de 10 %. Nous avons la diarrhée qui vient en deuxième position avec 8,4 %, le paludisme 7 %, la grippe qui est là durant la période janvier, février, mars, représente 1,7 % sur un total de 41 477 consultations durant les trois premiers mois.

Avec le mauvais état des routes, comment se font les évacuations des urgences ?

Dans la région, il y a trois départements, mais nous avons dans chaque département un centre de santé de référence et des postes de santé. Nous avons deux centres de santé de type 1, c’est-à-dire sans bloc opératoire, un service spécialisé et un centre de santé de type 2 à Kédougou qui est la capitale régionale. Dans le centre, nous avons un bloc opératoire, un service de radiographie, des spécialistes tels qu’un chirurgien généraliste, un gynécologue, qui fait que l’offre de service est fortement améliorée dans la région, notamment au centre de santé de Kédougou qui est un centre de référence.

C’est vrai que, par moments, nous recevons des cas qui ne peuvent pas être gérés à Kédougou et là, nous sommes obligés de nous rabattre sur l’hôpital régional de Tambacounda qui est distant de la région de Kédougou de 232 km. Malheureusement, pour le moment, nous perdons énormément de temps pour y accéder. C’est vrai que la route est en train d’être faite, mais en termes de timing, nous le faisons pratiquement en quatre heures de temps. C’est dire, quelquefois, les difficultés que nous avons, si nous avons des urgences à évacuer. Toutes les difficultés font qu’il y a une organisation dans chaque département, dans chaque district. Et nous utilisons nos moyens au maximum possible, du fait des distances énormes qui séparent les populations. Les agents qui sont là sont obligés d’être ingénieux, d’inventer des moyens pour permettre à cette population qui est un peu éloignée de bénéficier des soins.

En quoi consistent-ils, concrètement ?

Il y a beaucoup de stratégies communautaires qui sont initiées à Kédougou. Je parle de stratégies avancées intégrées où toutes les équipes sortent pour aller vers les populations pour leur offrir tous les paquets de service disponibles dans les postes et centres de santé. Egalement, par rapport à l’utilisation des agents de santé communautaires, l’expérience des distributeurs de soins à domicile fait partie de la région de Kédougou. Des agents communautaires, c’est-à-dire les populations que nous avons formées. On a mis à leur disposition des outils pour détecter précocement le paludisme. En cas de diarrhée également, on leur donne des médicaments pour assurer une première prise en charge, avant que les cas ne s’aggravent. Dans le cadre des infections respiratoires, toux, rhume, il y a les antibiotiques pour prendre en charge prématurément les cas retrouvés au sein de la communauté et à domicile.

Maintenant, si les cas s’aggravent, ils sont là pour les envoyer vers les structures de santé de référence. Aujourd’hui, on a mis en place cette stratégie et on est en train de réfléchir même par rapport à ce package de prise en charge du paludisme, de la diarrhée, de tout ce qui tourne autour de ça, nous sommes en train de voir comment élargir le package dans le cadre de la surveillance épidémiologique, surtout les maladies à haut potentiel épidémique comme la rougeole, de donner une définition simple, mais également d’essayer de voir, dans le cadre de la prise en charge de la nutrition, qu’est-ce qu’on peut faire avec ces relais pour que la prise en charge de la nutrition soit effective au sein des communautés. Tout cela fait que sur le plan performance, la région de Kédougou fait des résultats bien que l’on ait des difficultés en termes de ressources humaines, surtout de personnel technique...

Est-ce que vous pouvez comprendre qu’une région aussi vaste puisse ne pas disposer d’hôpital ?

Kédougou, en réalité, est une région assez difficile, très excentrée. Sur le plan infrastructure également, je pense qu’il y a des efforts à faire. Il est vrai que c’est une jeune région qui est née en 2008 ; elle a tout juste 9 ans. J’ai pu exercer dans cette région de 2009 à 2013 (en tant que médecin-chef du district de Kédougou). Mais quand on regarde le rétroviseur, il y a énormément de choses qui ont été faites. Beaucoup de choses ont été améliorées, mais le gap reste encore énorme. C’est vrai que le fait qu’il n’y ait pas d’hôpital est un problème. Mais, aujourd’hui, l’hôpital régional de Kédougou est en train d’être construit. Le site a été identifié, la pause de la première pierre aura bientôt lieu, l’entreprise commence à s’activer pour la construction de cet hôpital. Ce qui est sûr, c’est qu’avant la fin de l’année, l’hôpital va commencer à sortir de terre. Pour le moment, on a surtout des difficultés de spécialistes. Dans toute la région, il n’y a que le chirurgien général et le gynécologue. Ce qui veut dire qu’en termes de spécialité comme pédiatrie dans le cadre de la lutte contre la mortalité infanto-juvénile, de cardiologue, on est obligé de se rabattre sur Tambacounda pour une prise en charge.

Mais le développement est un processus. La route pour faciliter l’accès Salimata -  Kédougou est en train d’être faite. Pour faciliter l’accès vers le site où sera installé l’hôpital régional, le pont a été déjà construit. La route Tamba - Kédougou est en train d’être faite. Si on parvient à faciliter l’accès vers Tamba et le département de Salimata, en plus de l’hôpital régional, je pense que les populations de Kédougou seront bien prises en charge.

Vous avez parlé tantôt de problème de spécialistes. Mais est-ce que les problèmes de la région ne contribuent pas à faire fuir les acteurs de la santé ?

Comme je l’ai dit tantôt, c’est une région excentrée. En matière d’infrastructures, les points de prestation de santé qui répondent aux normes sont minimes. Sur les 43 points de prestation, il n’y a que 19 qui répondent aux normes ; c’est-à-dire des postes de santé avec dispensaire, maternité et logements. Ça pose problème effectivement dans la fidélisation. J’ai l’habitude de dire que le paradoxe est qu’on est à 700 km de Dakar, mais la vie coûte deux fois plus cher qu’à Dakar. Pour avoir un logement, il faut au minimum 125 000 F Cfa, 150 000 F Cfa et la denrée alimentaire est multipliée par deux ou par trois. Il est difficile de demander à un agent de l’Etat d’être là avec le minimum qu’il a comme salaire. Je pense que l’autorité administrative en est consciente, les collectivités locales ont été assez bien sensibilisées pour qu’elles puissent participer au maintien de ces agents dans la région. Le plaidoyer est en train d’être porté à leur niveau pour qu’elles puissent faire de sorte qu’un agent affecté à Kédougou puisse être à l’aise pour exercer dans la région au bénéfice des populations.

Vous enregistrez combien de départs par année en moyenne ?

On ne peut pas estimer, mais, en 2017, nous avons eu presque 27 départs dans la région. C’est un renouvellement permanent. L’Etat fait des efforts en affectant un personnel à Kédougou. Malheureusement, il se pose tout le temps le problème de la formation. Quand le personnel arrive, on est obligé de le former. Après l’avoir formé, il part et un autre arrive et là on est obligé de faire des formations permanentes, continues. C’est ça qui fait que c’est une région assez difficile. Mais c’est une véritable école, on apprend énormément parce qu’on est obligé de mettre en place des stratégies pour parer à toutes les pathologies, mais également des stratégies pour permettre à ces populations qui sont souvent très loin des structures de bénéficier des prestations offertes. Il y a également le volet sensibilisation.

Sur le plan professionnel, il y a énormément de choses à faire dans la région. Les agents qui sont là et qui restent ici sont des agents qui ont beaucoup d’expérience.

PAR BABACAR WILLANE

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