Publié le 24 Jan 2020 - 07:12
DR FALLOU SAMB SUR LA LEGALISATION DU CANNABIS

‘’Une catastrophe sanitaire et sociale’’

 

La légalisation agitée du cannabis, depuis quelques jours, par Seydi Gassama d’Amnesty International, serait un précédent dangereux pour le pays. Selon le Dr Fallou Samb, ce serait même une catastrophe sanitaire et sociale, si cette proposition, qui cache bien des cafards, venait à être adoptée.

 

Il n’y est pas allé par quatre chemins. Pour docteur Fallou Samb, il convient, d’abord, de rappeler ce qu’est le cannabis et quels ravages il provoque sur la santé des concitoyens, en particulier chez les adolescents. Chez ces jeunes dont le cerveau est en cours de maturation, souligne le médecin, le cannabis produit des effets particulièrement néfastes, souvent irréversibles. De nombreux troubles physiques et psychiques sont observés, pouvant mener à la schizophrénie.

A son avis, le mécanisme d’action du cannabis est bien connu. Il s’agit, entre autres, de la substance psychotrope. ‘’Le tétrahydrocannabinol (THC) est très soluble dans les lipides. De ce fait, il se fixe aux membranes cellulaires. Il franchit aisément la barrière hémato-encéphalique et s’accumule dans le cerveau. Il y persiste très longtemps. Le THC d’un seul joint demeure plus d’une semaine dans cet organe’’, explique Dr Samb.

En outre, il soutient que son élimination dans les urines dure huit semaines. Après plusieurs joints, cela peut durer au moins deux mois. ‘’Au niveau du cerveau, il provoque de nombreux troubles. C’est la perturbation de la mémoire, défocalisation de l’attention, incoordination motrice, la potentialisation des effets abriant ou hallucinogènes. Il cause également la désinhibition conduisant à des prises de risques, l’anxiété et la dépression’’, fait-il savoir.

Autres effets soulevés par le médecin, c’est que les enseignants constatent que les élèves ont des difficultés à ordonner leurs pensées et manquent d’attention pendant les cours. ‘’La situation s’est encore aggravée, avec l’augmentation constante de la concentration en THC dans les cannabis vendus actuellement. Il y a cinquante ans, le joint contenait 2 à 3 % de THC, alors qu’aujourd’hui, le taux peut atteindre 40 % et devient plus puissant qu’un rail de cocaïne’’, révèle ce membre de l’Ordre national des médecins du Sénégal.

‘’Le cannabis seul est responsable de 300 morts de la route’’

Selon le Dr Samb, l’un des dangers du cannabis est que son addiction conduit souvent vers la recherche de drogues plus dures, comme la cocaïne. ‘’On estime que 10 à 20 % des patients passent à une consommation plus forte et deviennent accros au crack. Le cannabis seul est responsable de 300 morts de la route et les risques d’accidents mortels sont 14 fois plus élevés, lorsque l’alcool est associé’’, relève-t-il.  Il estime que l’un des arguments des partisans de la légalisation, qui prétendent un contrôle sur la qualité du cannabis produit légalement, est fallacieux. Parce que la porosité de nos frontières, l'instabilité des pays qui nous entourent risquent de faire du Sénégal une plaque tournante de la drogue.

Un autre argument invoqué est l’inefficacité de la répression, telle qu’elle est pratiquée. En vérité, soutient le gynécologue, ceci n’est pas fondé. La criminalisation des drogues par la loi Abdou Latif Guèye, dit-il, est très dissuasive. Elle a permis d'amoindrir les dégâts médicaux et sociaux.

Sur ce, il a lancé un appel pour sauver nos enfants du cannabis, avant qu’il ne soit trop tard. Pour cela, suggère le médecin, il faut que les pouvoirs publics prennent conscience qu’il est indispensable d’appliquer réellement notre arsenal répressif. Mais également de mettre en place un plan de prévention destiné à informer nos jeunes élèves, dès l’école primaire, sur les dangers de cette drogue. A son avis, l’expérience vécue par les pays qui ont légalisé le cannabis doit nous inciter à refuser cette éventualité dans notre pays. ‘’La logique financière et économique ne doit plus primer sur la santé de notre société. Introduire la légalisation du cannabis serait synonyme d’une catastrophe sanitaire dont nos pouvoirs publics porteraient une lourde responsabilité devant l’histoire et nos générations futures’’, avertit-il.

’’La logique financière et économique ne doit plus primer sur la santé de notre société’’

Enfin, certains justifient cette campagne pour la légalisation, par la présence de vertus thérapeutiques dans le cannabis et n’hésitent pas à parler de ‘’médicament’’.  Or, précise notre interlocuteur, en l’état actuel, le cannabis ne répond pas à la définition d’un médicament. À ce stade, il convient de rappeler ce qu’est un médicament et les étapes successives qu’il doit traverser avant d’être mis sur le marché.

‘’Un médicament est une molécule possédant des propriétés préventives ou curatives à l’égard des maladies humaines et animales, susceptible de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques. De la découverte de la molécule à l’autorisation de mise sur le marché (AMM), un médicament doit franchir, avec succès, différentes phases, s’étalant sur environ dix ans. Il s’agit de la phase de recherche et développement, d’étude de toxicologie, de recherche clinique’’.

 La dernière phase, d’après le médecin, comprend elle-même une phase 1 (étude de la tolérance), une phase 2 (étude de l’efficacité), une phase 3 (essai comparatif) et une phase 4 (administrative).  ’’La mise au point d’une nouvelle spécialité coûte environ 800 millions d’euros. Enfin, pour que le médicament obtienne l’AMM, il doit présenter un bon rapport bénéfices/risques’’.

Selon lui, environ 75 types de cannabinoïde ont été identifiés dans la plante, parmi lesquels le THC (tétrahydrocannabinol) et le CBD (cannabidiol) sont les plus documentés. À ce jour, précise-t-il, aucun de ces composés d’origine végétale n’a fait l’objet d’un protocole d’étude en vue d’une AMM. Donc, aucun ne peut être qualifié de médicament.

Néanmoins, se basant sur les effets biologiques évidents du THC, certains prétendent utiliser la plante cannabis elle-même.

Le cannabis, un médicament ?

Or, justifie le médecin, la composition en THC et autres composés est extrêmement variable, suivant le plant. Cette variabilité, dit-il, s’oppose à la conception que l’on a d’un médicament, qui doit être une substance pure, agissant à des doses déterminées. De plus, ‘’jusqu’à présent, étant donné l’insolubilité du THC, traiter des patients en leur faisant fumer soit la plante elle-même, soit sa résine, reste une méthode peu contrôlable, tant le passage des principes à l’organisme est aléatoire. Le THC étant essentiellement soluble dans les lipides, sa rémanence et son élimination sont des paramètres difficiles à appréhender. C’est encore une difficulté qui s’oppose à la notion de médicament’’.

Pour docteur Fallou Samb, seule une substance issue du cannabis et ayant obtenu une AMM pourrait être qualifiée de ‘’médicament’’. Comme ce fut le cas pour bon nombre de molécules d’origine végétale présentes aujourd’hui dans notre pharmacopée. ‘’Ceci n’exclut pas que les recherches puissent se poursuivre pour mieux connaître les mécanismes d’action du cannabis. Pour autant, nul individu responsable ne devrait, en toute conscience, utiliser l’argument du médicament pour justifier sa légalisation’’.

VIVIANE DIATTA

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