Publié le 24 Jun 2020 - 00:54
DR MALICK NDIAYE, CONSERVATEUR DU MUSEE THEODORE MONOD DE L'IFAN-CHEIKH ANTA DIOP

‘’Il est légitime de demander un déboulonnement de la statue de Faidherbe’’ 

 

L’historien d’art, spécialiste du patrimoine, estime que la culture nécessite une remise en question perpétuelle qui explique l’aspiration des peuples africains à revoir comment l’histoire de la colonisation leur est racontée. Entretien…

 

Comment analysez-vous la polémique sur le déboulonnement ou non de la statue de Faidherbe au Sénégal ?

Il faut avant tout placer cela dans un contexte sociologique et historique. Cela est en rapport avec ce qui s’est passé aux Etats-Unis, avec la mort de George Floyd et ses conséquences à travers le monde, la lutte contre le racisme, le ras-le-bol général contre les violences policières un peu partout. Tout ceci ne représente que les symptômes d’une très longue histoire qui est ancrée dans les subconscients collectifs. C’est pourquoi ce qui est arrivé n’a pas été la cause de ce l’on est en train de vivre, mais en a été le rappel. Ce n’est pas la première fois que l’on réclame le déboulonnement de la statue de Faidherbe. Ce n’est pas la première que l’on demande de revisiter les signes qui rappellent l’esclavage et le colonialisme.

Et j’en fait une lecture légitime. Les sociétés modernes évoluent et chaque génération a des exigences nouvelles et une manière de se connecter avec le passé. Le passé et l’histoire ne sont que le fruit de négociations et de choix. C’est à nous d’apprécier à quelles figures s’identifier.  Si les générations passées ne l’avaient pas réclamé, cela n’engage qu’elles. Mais les autorités devraient faire attention aux demandes des populations. L’activisme culturel et social est une dense forme de réflexion. Cela nous permet d’explorer des failles de notre savoir. Donc, ceci n’est pas l’effet de quelques personnes qui en ont marre d’une statue. C’est plus profond que cela. Je ne vois pas des statues de Diéri Dior Ndella ou Lat Dior Diop, des fiertés des anciennes colonies, dans les places les plus représentatives de Paris. De même, je ne vois pas pourquoi des coupeurs de têtes doivent être dans des places de nos villes. Et il faut écouter cette jeunesse qui ne reconnait pas ces statues.

Que devons-nous faire de ces statues ?

La statue est un objet patrimonial. Le patrimoine est un repère historique, une manière de nous voir dans un miroir, un choix opéré par une communauté, le fruit d’une sélection. A un moment donné, une société identifie les objets que son histoire mérite de retenir et à travers lesquels elle désire se représenter. Mais ces statues sont des cicatrices. J’ai vu dans le débat que des personnes demandaient que tout soit contextualisé. Même en France. Certaines figures historiques sont coupables de racisme, d’exploitation de l’homme par l’homme, de violence ou de barbarie.

La transformation de leurs ressources à travers des faits d’utilité publique reconnue, peut basculer leurs actions dans une appréciation positive. Cependant, les statues leur rendant hommage doivent être contextualisées pour retracer toutes leurs actions. C’est très important ; car c’est une belle question de se demander comment Faidherbe est devenu Faidherbe. Quelle est l’histoire de Jean-Baptiste Colbert ? Celle d’Edward Colston que l’on a jeté dans les rues de Bristol (Angleterre) ? Ce sont ces questions qu’il faut se poser. La manière de sélectionner les objets est une manière de raconter l’histoire.

Cette statue, les noms de beaucoup de rues, les bâtiments coloniaux conservés représentent-ils un refus inconscient de l’indépendance culturelle ?

Je dirais qu’ils représentent la part sombre de l’inconscient culturel. La culture est une histoire intellectuelle qui nécessite une capacité de se poser des questions. Elle ne peut pas recevoir des modèles sans pour autant se poser des questions. Donc, cette inconscience commence à être remise en question. Il y a déjà eu des campagnes pour renommer des écoles, des rues et cela n’avait pas suscité beaucoup de réactions contraires.

Toute société avance par rapport à ses codes. L’histoire de l’esclavage peut être racontée de différente manière, de sorte que l’on n’oublie pas ces cicatrices qui font partie de notre histoire. Poser une statue pour la glorifier, sans préciser les barbaries que cet homme a pu commettre, est une manière d’avoir un récit inconscient, sélectif. Et si cette sélection n’est pas bien taillée, le projet républicain va droit dans le mur, puisqu’il n’est pas articulé au choix bien pensé des symboles et des signes qui permettent de donner espoir aux jeunes. Montrer que cette nation a résisté, qu’elle a vaincu, même si elle a été colonisée. Et le contre-exemple doit être contextualisé de sorte que l’on n’ait pas tendance à le glorifier par méconnaissance et par ignorance. Au fil des années, les générations passent et se rendent comptent qu’elles ont eu une mauvaise compréhension de tel ou tel sujet historique. C’est tout ce qu’une nation ne devrait pas faire.

Peut-on considérer que le Sénégal a été coupable de raconter l’histoire du point de vue du colonisateur plutôt que de celui du colonisé ?

On ne peut pas prendre le Sénégal comme un seul bloc, à travers le temps. Il fut des temps où des écoles ont été rebaptisées. Il y a eu un temps où une commission a été établie pour désigner ceux qui méritaient d’être considérés comme des héros nationaux. Donc, au fur et à mesure que le pays a évolué dans le temps, il s’est remis en question.

Aujourd’hui, dans un Sénégal monolithique, il y a l’Etat, la décision des municipalités et la chose fondamentale, le bon vouloir des communautés. Et la population a décidé d’avoir un rapport mitigé et dialectique avec le passé. S’il ne faudrait pas avoir une méconnaissance de l’histoire des colonisateurs, il est plus important de savoir comment raconter l’histoire.

Lamine Diouf

 

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