Publié le 8 May 2020 - 19:28
DR NDIEME TOURE (RESPONSABLE DE LA BANQUE DE SANG DE L’HÔPITAL DE THIÈS)

‘’Il arrive que nous ayons trois poches par jour’’

 

La pandémie de la maladie à coronavirus et le mois de ramadan ont fini de créer une pénurie endémique de sang, à la banque du centre hospitalier régional de Thiès. La cheffe dudit service, Docteur Ndiémé Touré, alerte et affirme que les signaux sont au rouge.  

 

Depuis l’apparition de la pandémie du nouveau coronavirus au Sénégal, certains ont commencé à déserter les hôpitaux. Par peur certainement d’y choper le virus ou d’être stigmatisés à leur retour. Des gens n’y vont pas, même quand ils sont malades. A fortiori, y aller uniquement pour donner de son sang.

Dans les hôpitaux, beaucoup de services sont désertés par des patients introuvables. C’est le cas de la banque de sang du centre hospitalier El Hadj Ahmadou Sakhir Ndiéguène de Thiès. Une désertion qui n’est pas sans conséquence. Selon la responsable de la banque, les donneurs fréquentent de moins en moins le service qu’elle dirige, en cette période de pandémie et de ramadan. Les rares qui y viennent, dit docteur Ndiémé Touré, sont souvent des accompagnants et donnent de leur sang pour sauver leurs parents. Avec un besoin mensuel estimé à 500 poches distribuées aux hôpitaux et centres de santé de toute la région, la banque de sang de l’hôpital régional de Thiès est presque vide.

‘’Nous avons toujours eu une pénurie de poches de sang. Mais, cette année, avec la crise sanitaire liée au coronavirus qui a coïncidé avec le mois béni de ramadan, nous vivons une situation beaucoup plus difficile. Avant l’apparition de la maladie à coronavirus, nous collections plusieurs poches par jour, parce que les donneurs n’hésitaient pas à venir dans notre service. Maintenant, ce n’est plus le cas. Il arrive que nous ayons seulement trois poches par jour. Cela nous est déjà arrivé. Encore que ces trois poches ont été obtenues grâce à des accompagnants. Donc, ces trois poches de sang sont réservées aux patients des donneurs. Parfois, on a du mal à obtenir cinq poches’’, se désole Dr Touré.

La pénurie survient dans un contexte de besoin pressant en sang. En effet, le centre hospitalier régional El Hadj Ahmadou Barro Ndiégène a connu une extension. L’année dernière, un centre de dialyse y été inauguré par le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr. Depuis lors, des malades effectuent des séances d’hémodialyse sur place. Outre ce service de dialyse, une petite unité de chimiothérapie a vu le jour dans ledit établissement sanitaire public, plus précisément au service maternité.

D’après le Dr Touré, tous ces services, y compris les urgences, ont besoin de sang en permanence. ‘’L’urgence est là. Donc, si on n’a pas de poche de sang, il sera difficile de traiter certains patients. A notre niveau, on ne voit pratiquement plus de donneurs. Pour avoir quelques poches, on fait appel aux donneurs. Mais avec le ramadan et la pandémie, ce n’est pas du tout évident de les avoir. C’est vraiment très difficile pour nous’’, s’inquiète la responsable de la banque de sang du centre hospitalier régional de Thiès.

Le couvre-feu, l’autre frein

Si le ramadan est une excuse indiscutable pour certains donneurs, il y a un autre élément qui freine l’activité de la banque de sang : le couvre-feu. Celui-ci, qui entre en vigueur à 20 h, semble accroître le manque de sang au niveau de la structure de santé. L’année dernière, renseigne le Dr Touré, des donneurs se rendaient régulièrement à la banque, après la rupture du jeûne, pour donner un peu de leur sang. Mais cette année, avec le couvre-feu décrété par le président de la République pour contrer la propagation du virus, cela n’est plus possible. Cette mesure constitue donc un frein à la collecte du liquide qui ‘’sauve des vies’’.

A 20 h, rappelle le docteur Ndiémé Touré, personne ne peut sortir. ‘’En 2019, nous avions lancé un appel solennel aux fidèles musulmans pour qu’ils viennent donner de leur sang après la rupture. On réussissait à obtenir des poches pour résorber certains gaps. Aujourd’hui, la donne a complètement changé. Car avec ce couvre-feu instauré par l’autorité, nous ne voyons pratiquement personne. Je prie pour qu’on n’ait pas beaucoup de personnes admises aux urgences, sinon ça sera trop compliqué. En tout cas, nous sommes trop fatigués’’, poursuit-elle.

Aussi, le Dr Touré soutient que pour cette année, il leur sera ‘’extrêmement difficile’’ d’engranger 6 000 poches comme en 2019. Pour permettre à la banque de retrouver son stock habituel, la responsable du service demande aux autorités administratives locales de leur fournir une autorisation de circuler afin que son équipe et elle puissent aller à la rencontre de leurs principaux donneurs qui se trouvent à l’intérieur des autres départements de la région. Elle appelle également les populations à ne pas déserter la banque et à venir donner de leur sang pour sauver des vies.

‘’Je sais que tout le monde a peur de venir à l’hôpital, en cette période de maladie. Les gens ont peur peut-être d’y choper le virus. Mais je leur donne ma parole : toutes les dispositions strictes sont prises, à l’entrée comme à l’intérieur du service, pour protéger tous les donneurs. Encore une fois, je rappelle que ce qui nous inquiète cette année, c’est le couvre-feu, parce qu’on n’aura pas ceux-là qui venaient après la rupture du jeûne’’, indique-t-elle.

La demande reste encore forte. Cependant, la banque de sang va continuer plus ou moins à subir les effets du couvre-feu.    

GAUSTIN DIATTA (THIÈS)

 

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