Publié le 31 Dec 2020 - 01:44
DRAMES DE L’IMMIGRATION CLANDESTINE

Plaidoyer pour ces jeunes qui ont choisi, malgré tout, de ne pas partir

 

Phénomène universel le plus prégnant de notre humanité en partage, la migration a traversé toute la grande histoire des sociétés humaines et survécu aux turpitudes du temps ainsi qu’aux vicissitudes et aléas de l’évolution de notre espèce.

Avant d’épouser les contours actuels de ce phénomène massif dont les médias, à l’échelle du globe, tentent de rendre compte au quotidien comme une lourde charge dans la gestion des affaires publiques des pays et des peuples du monde, la migration s’est manifestée  comme le moteur essentiel des transformations qualitatives majeures qui ne pouvaient résulter que du salvateur brassage des peuples et de leurs civilisations occasionné lui-même par les premiers déplacements humains, d’un lieu vers un autre. En effet, de la préhistoire à nos jours en passant de l’antiquité à la chute de Rome en 476 après Jésus-Christ, la migration a été, entre autres, le facteur le plus déterminant du peuplement de toutes les régions de la terre. 

Ce n’est que par la suite, et beaucoup plus tardivement à la faveur de velléités hégémonistes des peuples occidentaux et notamment des premiers explorateurs portugais hollandais anglais et français qui ont tiré tout le bénéfice de la révolution née du compas et de la boussole et ensuite  de la machine à vapeur que la migration des hommes s’est développée avec ses tares, à une vitesse de la lumière aux mépris de la morale, des lois et des règlements en vigueur de tous les coins de la terre. Le très ravageur commerce triangulaire et l’esclavage qui en est le pendant et la colonisation constituent les deux premières grosses dérives de cette entreprise dont, à dessein, on fait sembler de tout faire pour gommer les liens de cause à effet avec cet avatar moderne de la mobilité humaine connue sous cette nouvelle appellation de I’ immigration clandestine.

Tout ceci pour rappeler combien il est nécessaire de relativiser l’analyse du phénomène migratoire pour éviter de tomber dans le travers des interprétations tendancieuses. Bien qu’elle soit un phénomène universel son analyse et sa synthèse pour en tirer des conclusions doivent de se faire en tenant compte des contextes économiques et géopolitiques qui varient suivant que l’on considère ces pays et ces peuples.

Pour ce qui concerne notre pays, le Sénégal, au-delà de toutes les logiques politiques déployées pour éradiquer ou minorer ce fléau, un autre mal plus profond existe et persiste avec les risques d’un réveil brutal si une attention particulière ne lui est pas prêtée. C’est le sort des compatriotes restés au pays. Et qui ont librement décidé de rester au pays, refusant ainsi d’abonder ce flot déferlant de morts ou cette vague humaine incessante en direction de l’Europe à la recherche de cette pitance sublimée sous une tragique quête du bien-être et dont le leitmotiv « Barça ou Barsaax » serait le fallacieux mais dramatique prétexte. Ils sont nombreux ces jeunes compatriotes plus précisément dans les artères de la ville de Dakar ; laquelle ville devenue l’épicentre de l’économie du pays où des centaines, voire de milliers de jeunes occupent ou cherchent à occuper des espaces publiques pour étaler des produits ou des marchandises, de fripes, de denrées alimentaires, d’ustensiles de cuisine et autres.

Je les côtoie régulièrement durant mes temps de distraction pour les voir braver quotidiennement les rigueurs d’une météo ingrate ; sacs au dos, tenant de petits attelages remplis de bibelots et autres objets en tout genre, (gobelets, petits matériels d’usage courant ou de produits de toilette à base de parfum ou de savon etc.), ces vaillants marchands ambulants mettent en évidence leur talent et leur capacité pour gagner honnêtement leur vie. Parfois à la lisière du droit commun et des limites de l’illégalité. Mais le plus souvent ou quasiment tout le temps au prix d’efforts surhumains qui ne lésinent sur rien et au prix de tous les risques bravés.

 La précarité et les risques volontairement encourus sont le lot quotidien de jeunes dont une frange de plus en plus importante de jeunes filles d’où l’impérieuse nécessité de plaider pour une analyse plus approfondie de leur situation socio-économique et de leur statut professionnel du moment (beaucoup de ces jeunes  issus du monde rural sénégalais sont titulaires de diplômes d’universités et d’études supérieures). Cette nécessaire analyse à faire sur leur « cas » devant tenir compte davantage d’une question d’opportunité pratique et non plus seulement de droit ; en intégrant, en conséquence le problème de la légitimité.

 Ils sont nombreux au Rond-Point Colobane et environs, Rond-Point Liberté 6 et environs, Rond-Point Petersen et environs, aux artères de l’autoroute de la Patte d’Oie, sur le canal de la gueule-tapée, aux abords de l’Université Cheikh Anta Diop, de l’Hôpital Universitaire de Fann jusqu’à la Poste ou dans des espaces de marchés, sans oublier les allées et venues à la faveur des embouteillages sous la vigilance du service de la sécurité publique qui leur demande, de temps à autre, de libérer ces espaces pour des causes d’utilité publique ou sanitaire.

Mais ce qu’il faut retenir de ces compatriotes dont la plupart sont des jeunes de la tranche de ceux qui risquent leur vie en prenant les pirogues à destination des Iles canaries, au-delà de ce qui a été dit : c’est qu’ils ont fait le choix de rester au pays. Ils ont fait le choix du pays pour travailler au pays et pour le pays. Et leur choix n’est pas facile. Au contraire c’est un choix qui consiste à rester pour affronter les contraintes de la vie alors qu’ils avaient un autre choix : la possibilité de céder aux mirages de l’ailleurs européen qui pour s’embarquer, au péril de leur vie dans ces rafiots de la mort garantie en haute mer ; qui encore pour braver les affres du septentrion incertain sur les chemins sans issues de ce vaste et terrible désert du Sahara.

Et dés lors qu’ils sont restés tout en sachant qu’il y’à une possibilité de gagner, un tant soit peu, leur pain dans ce pays auquel ils croient, pays, à la fois de rêve et de déception, pour faire face aux difficultés auxquelles ils sont confrontées, l’Etat à l’obligation de les assister et les encadrer en vue, au moins, de minorer l’essor de cette immigration clandestine qui se développe d’avantage.

Par ailleurs, au moment où les politiques, les chantres auto-proclamés de la « Société Civile », les « droits-de-l’hommistes » et autres dont certains ne sont rien de plus que des « politiciens cagoulés », au moment où, tout ce joli monde nous tympanise par des harangues en soutien aux politiques du régime ou d’attaques du même acabit contre ce même régime, nos compatriotes appelés ‘’Modou Modou’’ ‘’ Baol Baol’’ ou autres se verraient mieux d’être soutenus par voies de presse ou dans les manifestations pour une amélioration de leurs conditions de vie.

 Aussi et s’il est indéniable que l’Etat n’a de cesse développé diverses politiques de lutte contre l’immigration clandestine dans le sens des compatriotes qui ont quitté le pays ou qui s’apprêtent à le faire, le moment est venu d’étudier le sort ceux-là qui ont décidé de rester contre vents et marées car comme l’a dit Blaise Pascal, je cite :  ‘’ le cœur a ses raisons que la raison ignore’’.

 Ces compatriotes décidés à rester. Ils ont fait un choix de raison et de cœur. Ils ont fait le choix de notre pays, le Sénégal. Pour ma part, je leur souhaite un bon courage et surtout une bonne continuation. Pour que vive le Sénégal.

Nalla Ndiaye,

Chercheur en Science Politique Ucad

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