Publié le 26 Apr 2020 - 02:41
DREAD MAXIM SUR LE CORONAVIRUS

“Pour que la lutte soit efficace, il faut un engagement communautaire’’

 

Il est celui que l’on surnomme le ‘’Prince du reggae sénégalais’’. Didier Maxime Amar Mbengue alias ‘’Dread Maxim’’ est apprécié pour ses textes instructifs qui parlent de paix, d’amour, d’unité africaine... Son œuvre transcende les frontières. Et il a partagé la scène avec Tiken Jah Fakoly. Avant cette pandémie, Dread Maxim s’apprêtait à faire une tournée européenne. Il devait se produire, courant avril, sur diverses scènes. Avec la pandémie, il n’a pu le faire ou du moins, disons qu’il a dû réinventer les choses. Pas de grands, mais de succulents concerts sur les réseaux sociaux, en attendant le retour à la normale. Dans cet entretien, il revient sur ce concept de concert en ligne, donne son avis sur la gestion de la maladie au Sénégal et en Afrique. Pour lui, la crise sanitaire doit permettre à l’Afrique de revoir ses priorités et de renégocier les termes de l’échange.

 

Comment est née, chez vous, l’idée de faire des concerts live sur les réseaux sociaux ?

Organiser un live sur les réseaux sociaux était une occasion, pour moi, de faire passer un message d’espoir et de sensibiliser mes fans face à la situation que vit le monde actuellement. Nous savons tous que la pandémie de la Covid-19 a frappé de plein fouet le monde, notamment notre cher pays le Sénégal. Aujourd’hui, la situation devient préoccupante et suscite des inquiétudes. En tant qu’artiste, je dois jouer ma partition, en sensibilisant mes fans à travers ma musique. Car le reggae, au-delà du côté ludique, est une musique porteuse de messages. Comme je l’ai dit dans ma chanson ‘’Musical Life’’, le reggae est une ‘’mélodie pour se détendre’’, mais également une ‘’musique pour apprendre’’.

En cette période incertaine, c’est également une façon de garder le contact avec les fans, en leur offrant un moment de détente à travers cette parenthèse musicale.

Peut-on s’attendre à un autre de ce genre, les jours à venir ?

Notre premier live virtuel a été un succès. Il a enregistré plus de 37 000 vues sur Facebook. Ce qui n’est pas négligeable. J’en profite pour remercier mes fans, à travers le monde, qui ont manifesté un engouement dès l’annonce du rendez-vous. Nous comptons le réitérer très prochainement. Nous réfléchissons dès à présent à un live hommage à Bob Marley le 11 mai prochain. Nous y travaillons. Nous invitons les fans à rester connectés. Nous ferons notre possible pour rendre un hommage mérité au Roi du reggae le 11 mai prochain. Quoi de plus naturel !

Au Sénégal, le reggae n’est valorisé que le 11 mai. Il n’y a presque de plateaux que ce seul jour de l’année. Que faudrait-il faire pour redonner vie aux spectacles reggae ?

Il faut déjà que les promoteurs de spectacles s’investissent un peu plus sur ce genre musical. La plupart des structures de production ne s’intéressent pas au reggae. Il n’y a pas assez de mécénat dans l’industrie musicale au Sénégal. Le business est entre les mains de quelques personnes. De notre côté, nous faisons le maximum pour que le reggae trouve sa vraie place dans cette industrie musicale sénégalaise. Mais le show ne suffit pas. Il faut nécessairement du business derrière. Il nous faut de grosses structures spécialisées dans le reggae pour redonner vie aux spectacles.

Est-ce qu’il serait possible que les artistes touchent des droits (des retombées économiques…) par rapport aux concerts virtuels ?

Apparemment, non ! Cela aurait été possible, si les réseaux sociaux reversaient les droits au niveau des structures de gestion des droits d’auteur. Je ne suis pas sûr que ce soit actuellement le cas.

Ne pensez-vous pas que l’une des leçons que les artistes sénégalais devraient tirer de cette pandémie est que le digital offre beaucoup de possibilités et qu’il faudrait un peu plus l’investir ?

Depuis quelques années, nous sommes entrés, certes, de plain-pied dans l’ère du digital avec les plateformes de streaming et autres. Mais, aujourd’hui, la pandémie de la Covid-19 est venue renforcer la place incontournable du digital dans la production artistique.  À la faveur de la maladie, l’offre culturelle et artistique a explosé sur le net. Une chose est sûre : la mutation digitale est déjà amorcée et ne risque pas de s’arrêter en si bon chemin. Elle offre une alternative certaine pour les artistes que nous sommes.

Ne devrait-il pas y avoir plus d’initiatives de ce genre durant la période post Covid-19 ?

Il y aura évidemment un avant et un après Covid-19. Cette fenêtre digitale n’est pas prête de se refermer, c’est ma conviction. Nous réfléchissons sur comment faire du live virtuel un rendez-vous ponctuel avec les fans et sous quel format. Nous reviendrons là-dessus très prochainement. Pour cela, il faudra réfléchir sur la question de la rémunération et des droits d’auteur.

Comment analysez-vous la manière dont la lutte contre la propagation du coronavirus se fait en Afrique, notamment au Sénégal ?

La maladie de Covid-19 est apparue en fin 2019 dans la ville de Wuhan, en Chine. Elle s’est propagée à travers le monde, entraînant des milliers de morts et mettant à rude épreuve les systèmes de santé des pays les plus développés. Jusqu’ici, l’Afrique est le continent qui a enregistré le plus petit nombre de décès. Malgré cela, certains prédisent l’hécatombe sur le continent. Dans de nombreux pays, la riposte est organisée pour barrer la route à la pandémie.

Notre pays a enregistré son premier cas déclaré positif le 2 mars 2020. Depuis, le nombre de cas ne cesse d’augmenter. Le plus inquiétant est l’apparition de cas issus de la transmission communautaire. Si cette tendance se maintient, notre pays risque de connaître une crise sanitaire sans précédent. Plusieurs initiatives sont mises en œuvre pour organiser la riposte. Mais des efforts restent à faire. Certaines populations semblent ne pas saisir la gravité de la situation et continuent à adopter des comportements irresponsables et des attitudes de défiance vis-à-vis de l’autorité, en violant le couvre-feu et l’interdiction de voyager.

Pour que la lutte soit efficace, il faut un engagement communautaire. L’État devrait aussi mieux orienter sa communication et veiller au respect scrupuleux des mesures. J’en appelle également aux populations à faire preuve de responsabilité, en respectant les mesures édictées. C’est ainsi que nous parviendrons à bouter cette maladie hors de chez nous. Se protéger, c’est protéger les autres.

‘’C’est une fenêtre ouverte, une nouvelle opportunité qui s’offre au vieux continent de repenser ses politiques de développement, de redéfinir les termes de nos échanges avec le reste du monde, notamment avec l’Occident’’

À votre avis, pourquoi certains violent le couvre-feu ?

Le non-respect du couvre-feu par certains jeunes dans certaines parties de la capitale peut être analysé de plusieurs manières. D’une part, cela traduit une certaine défiance vis-à-vis de l’autorité. Ce qui interroge sur les valeurs civiques et la perception de l’Etat chez nos jeunes. L’État aurait-il failli quelque part dans sa mission ? Les jeunes ont-ils perdu confiance en l’autorité publique ? Quelles sont leurs perceptions sur l’autorité publique et comment ces dernières influencent leurs attitudes vis-à-vis de celle-ci ? D’autre part, cela traduit une certaine inconscience. Pour quelles raisons ces jeunes adoptent encore de tels comportements récalcitrants, malgré toute la communication et la sensibilisation faites sur la maladie ? La réponse à toutes ces questions nous permettra certainement de comprendre ces comportements. Heureusement que l’État semble prendre les choses en main. Toutefois, je déplore la violence usée par les forces de l’ordre à l’encontre de certains concitoyens, tout au début du couvre-feu. Certes, l’État a le monopole de la violence légitime. Mais, en pareille circonstance, l’usage de la violence me semble tout à fait inapproprié. Cela peut susciter un sentiment de défiance envers les forces de l’ordre. Aussi, j’en appelle au sens des responsabilités de tout un chacun.

Quelles leçons l’être humain doit retenir de cette situation, à l’après Covid-19 ?

Le nouveau coronavirus a frappé le monde de plein fouet, chamboulant nos modes de vie. Aujourd’hui, nous vivons un moment presque inédit. Cette pandémie nous enseigne à quel point l’être humain peut être fragile. Elle nous offre l’opportunité de repenser les fondamentaux de notre existence. Elle interroge la solidarité et le rapport à autrui. En tant qu’Africain, elle est l’occasion pour nous de revoir nos priorités. C’est une fenêtre ouverte, une nouvelle opportunité qui s’offre au vieux continent de repenser ses politiques de développement, de redéfinir les termes de nos échanges avec le reste du monde, notamment avec l’Occident. Au sein du continent, c’est pour nous le moment de dépasser les égoïsmes nationaux et le nationalisme égoïste. Face à la pandémie, certains ont prédit le pire pour le continent. C’est le moment de prouver au monde entier que l’Afrique n’est pas un continent maudit, en faisant preuve de beaucoup plus de solidarité entre États africains.

BABACAR SY SEYE

 

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