Publié le 23 Mar 2019 - 00:50
DURCISSEMENT POLITIQUE MIGRATOIRE ITALIENNE

La Botte, paradis perdu de l’immigration

 

Les immigrés (irréguliers) ne sont plus ce qu’ils ont été au milieu des années 1990. Une aubaine pour le pays d’accueil. L’Italie n’est désormais plus la terre promise pour les migrants. Au-delà des circonstances, non encore élucidées du détournement du bus scolaire par Ousseynou Sy à Crémone (Milan), ce mercredi, c’est le durcissement de la politique migratoire du gouvernement d’extrême-droite italien qui interpelle.

 

Le verdict d’Abdoulaye Bar Diouf est clair. L’affaire du bus scolaire détourné et incendié par Ousseynou Sy est du pain béni pour l’extrême droite italienne. ‘‘Le discours anti-migrant des politiciens italiens va prendre prétexte sur cette affaire pour renforcer une rhétorique qui va davantage stigmatiser les étrangers, les noirs et les musulmans notamment’’. Consultant émigration en tant que volontaire à l’Office Anolf (Association nationale transfrontalière, en italien), ce Sénégalais qui vit dans la Botte, depuis près de deux décennies, est d’avis que cette affaire Sy ne va substantiellement rien changer que les gouvernements italiens précédents n’aient déjà instauré, au milieu des années 2000.

Il regrette déjà cet amalgame de masse que le ‘‘carjacking’’ va renforcer, avec une stigmatisation des étrangers en Italie. ‘‘Ousseynou Sy est né en France et a été en Italie. Il a vécu plus que quarante ans en Europe et n’a jamais eu la nationalité sénégalaise. Mais les politiciens et la presse italienne se feront un plaisir de le désigner comme un Sénégalais, un africain, un extra-communautaire et de renforcer une peur déjà bien entretenue par la Ligue du Nord et tous les autres partis de droite’’, déclare-t-il au téléphone d’EnQuête, hier.

Mercredi matin, un chauffeur italien d’origine sénégalaise de 47 ans, Ousseynou Sy, a tenté de mettre le feu à un bus scolaire qu’il conduisait avec 51 écoliers d’un collège de Crémone, avant d’être arrêté par les carabiniers. Il a justifié son acte, d’après les premiers témoignages, par vengeance pour les milliers de migrants irréguliers morts dans la Méditerranée. Un supplice qui risque de se prolonger, puisque l’Italie a résolument pris l’option de restreindre de plus l’accès à son territoire à la migration irrégulière. Symbole de la radicalisation de la politique migratoire italienne, la loi Bossi-Fini – d’Umberto Bossi, à l'époque chef du parti xénophobe de la Ligue du Nord, et Gianfranco Fini, chef de file de d’Alliance nationale – votée en 2002, qui promeut un durcissement des conditions d'accueil des migrants en Italie pour décourager les candidats au départ des côtes africaines. Le texte, fait savoir lemonde.fr, dresse des quotas avec les pays sources, en fonction des besoins en main-d’œuvre de l’Italie et des opportunités économiques. Il instaure un fichier d'empreintes digitales pour les demandeurs de visas et prévoit l'installation de centres d'identification et de rétention sur tout le territoire, ainsi que des retours forcés.

Pour obtenir la nationalité italienne, les immigrés, doivent justifier dix années de présence ininterrompue dans la Péninsule. Dix-sept années plus tard, le gouvernement populiste de Giuseppe Conti, (formé par la Ligue et le Mouvement 5 Etoiles), encore plus à droite, continue sur cette lancée, avec Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur, comme figure de proue. Abdoulaye Bar Diouf estime que, même ‘‘la gauche italienne n’ose plus ; est de plus en complexée par la problématique de l’immigration, car chaque fois qu’elle se montre ouverte sur la question elle est sanctionnée négativement’’.

Engagement d’expulsion de 500 000 en un an

En novembre dernier, la Chambre des députés italiens a adopté à une large majorité – 396 oui contre 99 non –, le décret-loi sur l’immigration. Il fixe dans ce domaine de nouvelles règles très restrictives. Il remplace en particulier les permis de séjour humanitaires, actuellement octroyés à 25 % des demandeurs d’asile et d’une durée de deux ans, par divers autres permis, comme ‘‘protection spéciale’’, d’une durée d’un an, ou ‘‘catastrophe naturelle dans le pays d’origine’’, d’une durée de six mois, entre autres. Le décret-loi se donne d’autres avantages, comme la procédure d’urgence pour faciliter l’expulsion de demandeurs dangereux, la réorganisation du système d'accueil des demandeurs d'asile, la généralisation de l’usage des pistolets électriques, ou l'évacuation des bâtiments occupés.

Une législation qui semble correspondre à l’engagement pris par Matteo Salvini, en décembre 2018, d’expulser 500 000 personnes, en une année. Des chiffres largement exagérés, au vu des statistiques du Pew Research Center qui affirme qu’en Europe, l’afflux de la population de migrants subsahariens est estimé à presqu’un million de demandeurs d’asile (970 mille) entre 2010 et 2017. Quant au rapport 2015 d’Eurostat, il fait état de moins de 7% d’étrangers vivant dans l’Union Européenne sur 507 millions d’habitants. L’Italie, membre fondatrice de l’Union européenne, ne semble aucunement disposée à ramollir sa ligne de conduite pourtant.

Au début du mois 2018, le pays a refusé d’accueillir le navire ‘‘Aquarius’’, avec 629 migrants à son bord, qui se dirige vers Malte qui refuse à son tour, condamnant les migrants à une errance d’une semaine dans la Méditerranée avant que l’Espagne ne se propose comme solution. ‘‘Le bon temps pour les clandestins est fini : préparez-vous à faire vos valises (...) aucun vice-passeur ne doit accoster dans les ports italiens’’, avait-il lancé le 3 juin 2018 en Sicile, faisant référence aux Ong humanitaires comme étant des vice-passeurs. Pour ne laisser aucun doute à ceux qui s’attendent à un quelconque infléchissement de sa politique, Matteo Salvini d’ajouter que ‘‘des milliers de gens qui sont dans l’illusion qu’à Catane, en Sicile, et dans toute l’Italie il y a le logis et le travail pour tous. (...) Il n’y a pas assez d’habitations et de travail pour les Italiens à plus forte raison pour la moitié du continent africain’’.

Intégration

La Botte a récemment rendu publique son intention de ne pas signer le pacte de l’Onu sur les migrations, comme s’y était engagé le président de centre-gauche Matteo Renzi, en 2016. Une ligne politique qui expose de plus en plus les émigrés en situation irrégulière. Les conséquences sont dramatiques pour les Sénégalais d’Italie et même ceux d’autres pays de la péninsule ibérique qui appliquent la même ligne. Après Idy Diène tué en Florence, en mars 2018, le cas est toujours irrésolu, malgré le ferme engagement pris en son temps par le ministère sénégalais des Affaires étrangères. En Espagne aussi, Magatte Fall à Almeria, Mor Sylla à Salou, Abdoulaye Mbengue à Palma de Mallorca, El hadji Ndiaye à Pampelune, Mame Mbaye Ndiaye et Ousseynou Mbaye à Madrid font partie de la liste macabre de Sénégalais de la diaspora tués dans des circonstances pas toujours éclairées.

De sombres perspectives pour Abdoulaye Bar Diouf qui estime que, pour le moment, la solution réside dans un effort d’intégration que doivent fournir les expatriés dans la Botte. ‘‘Je ne dis pas qu’il faut perdre sa culture, mais il faut bien parler la langue italienne, au moins, et savoir respecter les lois de ce pays. C’est le minimum’’. Consultant en football et agent intermédiaire de joueurs africains, cadre de l’association Anolf qui se bat pour une meilleure de condition de vie des migrants, M. Diouf est d’avis que le gouvernement sénégalais doit accentuer la considération qu’il accorde aux compatriotes de la diaspora. ‘‘Le type d’associations que nous avons peuvent servir de tremplin et donner des indications aux politiques à mener dans les pays où se concentrent les expatriés sénégalais’’, conclut-il. 

OUSMANE LAYE DIOP

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