Publié le 21 Sep 2017 - 23:30
ÉCONOMIE

La croissance n’est pas une mesure du bien-être social

 

La première décade de ce mois de septembre a été marquée par la démission et, donc, la nomination d’un nouveau gouvernement. La phrase la plus récurrente a, alors, été de dire qu’il s’agit d’un gouvernement formé en vue de la présidentielle de 2019. Mais au-delà de toute l’anormalité que traduit cette phrase, l’on est en droit de rappeler au nouveau gouvernement ainsi constitué, fut-il de la manière la plus humble qui soit, que le fait de nous rappeler, à chaque fois que de besoin, que nous avons une croissance de plus 6% induit simplement le décalage qui existe entre nos réalités. Et alors, il nous plait de vous dire que la vôtre n’est qu’une illusion, car ce supposé taux de croissance, fût-elle vraie ou point, n’est nullement une mesure du bien-être social.

La croissance est un concept économique qui, certes, recouvre le sens que vous avez bien voulu lui donner. Elle traduit bien une mesure quantitative du volume de la production économique et de la richesse d’un pays pour une période donnée. Toutefois, il s’agit d’un concept qui ne cadre pas avec la finalité que vous lui accordez. D’une part, elle ne renseigne en rien sur le niveau de répartition sociale de ce volume de production et de richesse. D’autre part, elle ne traduit pas l’amélioration des conditions socioprofessionnelles des populations. Et enfin, notre croissance ne saurait permettre une bonne mesure de notre économie largement informelle. L’essence même du développement n’a pas fondamentalement comme soubassement la croissance. Et vouloir nous faire croire autre se fait, purement et simplement, dans un esprit sournois et manipulateur. En réalité, la production et la richesse telles qu’elles en ressortent ne traduisent que l’état des plus fortunés du pays et elle cache mal les inégalités sociales qui en sont basilaires.

Il est aujourd’hui important, à l’instar du monde évoluant, de prendre en compte des données beaucoup moins objectives et qui insistent sur le ressenti réel de la population. Pour un bon gouvernement qui aspire à bien agir pour son peuple et à retrouver sa confiance, il est devenu inéluctable d’accorder une part importante au concept de « bien-être » qui traduit le vécu économique et social, mais non l’illusion d’une croissance. Car il importe de prioriser un tel paradigme pour le glissement d’une logique purement statistique à logique sensiblement orienté vers le ressenti social.

En cela, permettez que je rappelle, comme le dit l’OCDE, que « le bien-être est un phénomène multidimensionnel, qui recouvre des aspects de la vie aussi divers que l’engagement civique, le logement, le revenu des ménages, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, les compétences ou encore l’état de santé » ; tous éléments qui reflètent la qualité de la vie des populations. En réalité, le niveau de vie des populations et la qualité de leurs vies sont largement tributaires des différentes composantes du bien-être ainsi évoqué.

Il me plait de vous rappeler que la déliquescence de l’engagement civique des Sénégalais, tel que cela est souvent soulevé, découle d’une perte de confiance que vous refusez de voir ; perte de confiance à l’endroit non seulement de la finalité souterraine de l’action publique, mais encore de l’ensemble de la classe politique sénégalais. Le logement est devenu beaucoup plus problématique depuis qu’une loi a été prise pour alléger son coût. Au passage, c’est à se demander si la décision publique s’arme d’un bon dispositif de suivi au même moment qu’elle est produite. Parce que si tel est le cas, il ne s’agira que d’effet d’annonce dont le résultat sera des spéculations qui n’auront de victime finale que la population lambda.

La question du vécu quotidien du citoyen relativement à son pouvoir d’achat, à l’accès aux services sociaux de base et l’accès à l’emploi constitue un véritable problème qui crée des situations de « rouspétance » et de défection que les différents gouvernements vous précédant ont toujours refusé de voir. De surcroît, l’accès à la santé ne dépend pas seulement de la disponibilité de l’infrastructure, mais aussi du pouvoir d’achat des ménages. Certes, la CMU est mise en place, mais dans la pratique, elle s’apparente plus à un trompe-l’œil et ce que votre régime refuse de voir c’est qu’elle ne fonctionne pas. La question de la compétence devient problématique du fait simplement de la faible qualité de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation. Non seulement il n’existe pas une réelle prise en compte de la problématique « éducation ». Mais encore, il faut noter un réel décalage entre l’offre professionnelle et la demande y afférente du fait de la faible qualité et de l’offre de formation dans l’enseignement pré-Bac et post-Bac. Ce qui a des effets néfastes sur l’employabilité des jeunes diplômés.

Enfin, l’entreprenariat rencontre d’énormes écueils qui bloquent l’initiative des jeunes. Parmi ceux-ci, la question du financement reste l’une des plus problématiques quand on sait tout le fardeau que constitue la recherche de financement au Sénégal. S’y ajoute, pour ce qui est surtout de l’artisanat, le manque de politique claire de préférence nationale qui aurait permis de rendre plus viables les entreprises locales, et, par ricochet, la formalisation de bonne partie du secteur informel.

Cher membre de ce nouveau gouvernement, tout cela étant évoqué, il apparait fondamental de résoudre les difficultés que vivent réellement les Sénégalais. Il est important que vous reveniez à l’essentiel et que vous arrêtiez de nous répéter à outrance que le Sénégal a un taux de croissance de plus de 6%. Prenez le bien-être comme référentiel de l’action publique, car le PIB, et donc la croissance, est un indicateur peu fiable de ressenti social. Certes, la croissance est un buzzword, un mot fétiche censé traduire la situation économique. Mais en faire une référence ultime, une mesure juste de l’action publique revient à mal prendre en compte la   situation sociale du pays. Il est, en effet, admis qu’une hausse de la croissance n’équivaut guère à une hausse du bien-être social – paradoxe d'Easterlin bien connu des économistes. Il faut partir sur un indice « mieux vivre » pour asseoir une action performante et proactive capable d’avoir des impacts réels et considérables sur le vécu quotidien du Sénégalais lambda.

La prise en compte du mieux-être est fondamentale pour des politiques meilleures orientées vers une vie meilleure des populations. Et il serait tout à votre honneur, bien avant qu’on en vienne à 2019, que vous œuvriez pour le développement humain et l’émergence sociale des sénégalais. Car de cela seulement naîtra le mieux-être social du Sénégal ainsi que le réconfort et la décrispation des Sénégalais.

Cheikh Sadibou SEYE 

Doctorant en Science politique spécialisé en Gouvernance publique.

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