Publié le 14 Jan 2013 - 15:53
EDITO DE MAMOUDOU WANE

Au forceps

 

 

L'ancien ambassadeur de la France au Sénégal est un visionnaire. Juste avant de quitter notre pays, en 2010, l'académicien Jean-Christophe Ruffin qui s'est fait forger son épée d'Immortel par le talentueux sculpteur Ousmane Sow a accouché sur 300 pages, aux Editions Flammarion, un chef-d’œuvre digne des plus grandes fictions policières de l'histoire. Avec une bonne dose de profondeur en plus. Katiba est passé presque inaperçu, il décrit pourtant, à quelques nuances près, la réalité fort complexe que nous sommes en train de vivre au nord-Mali, où plusieurs groupes organisés, d'intérêts divergents, ont réussi à installer l'anarchie dans un État trois fois plus vaste que la France dont les 2/3 échappent aujourd'hui au contrôle du pouvoir central. Le diplomate doublé d'agent de renseignement décrit un mouvement progressif, organisé autour de Katiba (brigades de combat) au terme duquel les vrais acteurs finissent par dévoiler leur vrai visage. Cela se passe entre le Sahel, Paris et Alger. Les terroristes finissent par mourir, dans des guet-apens organisés en bonne intelligence avec les services secrets algériens.

 

 

Or, pour comprendre les ressorts profonds de la crise multiforme qui se déroule dans le Nord-Mali, il ne faut surtout pas perdre de vue l'Algérie. Elle est au cœur du processus. Ce pays qui a fait blocage à toute intervention armée dans la zone jusqu'à ce que la France soit contrainte de forcer le bouchon, s'est évertué ces dernières années à constituer une zone tampon pour y déverser toute sa poubelle terroriste. Elle a indirectement alimenté en vivres, moyens ou carburant, ces aventuriers du désert, moulés dans un cocktail idéologique assez complexe : radicalisme religieux, réclamation d'indépendance et propagande islamiste internationale.

 

Un des acteurs-clefs de la crise malienne, Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), plus connu sous le nom de Groupe salafiste pour la prédication et le combat, n'est en réalité qu'un groupe dissident issu des flancs du groupe islamique armé (GIA) qui fera plus tard allégeance à Oussama Ben Laden. Sa zone d'opération est aujourd'hui aussi étendue que la région désertique du Sahel jusqu'aux frontières sénégalaises et mauritaniennes. Ce groupe qui vit de racket et de contrebande ne gêne plus Alger qui préfère le voir bien loin de ses frontières. Tout comme son frère jumeau, issu de ses flancs, après une dissidence, le Mouvement pour l'unicité et le Jihad en Afrique de l'ouest (Mujao) qui occupe depuis un an la ville de Gao en y imposant la charia. Dans ce cocktail sahélien, on retrouve Ansar Dine, qui signifie en arabe "compagnons du Chemin", un groupe islamique dirigé par Iyad ag Ghali, qui a animé la rébellion touareg au début des années 1990. Ce groupe, apparu en mars 2012 a participé de façon active à l'insurrection malienne en 2012.

 

Le Sahel a même sa Casamance, le MNLA précisément, mouvement qui revendique l'autodétermination et l'indépendance de l'Azawad, territoire rassemblant les trois régions maliennes de Kidal, Tombouctou et Gao. Ce mouvement veut bâtir un État avec comme base identitaire les Touaregs qui se sont toujours considérés comme différents des Maliens et même...supérieurs du fait de leur métissage et de leur proximité culturelle avec les arabes. Il faut bien dire que le colonisateur français, dans sa politique du diviser pour mieux régner, a joué sur ces différences, les accentuant pour contrôler ces peuples semi-nomades fortement rebelles.

 

Il est curieux que la communauté internationale, les pays africains en premier, se soient accommodés ces dernières années d'une telle situation, lourde de tous les dangers. Et nul doute que la chute de Kadhafi a permis à ces mouvements de renforcer leur arsenal de guerre. Beaucoup de mercenaires proches de l'ancien guide libyen sont venus grossir les rangs de ces organisations qui circulent en pick-up dans les espaces fort étendus du Sahel. Le missile sol-air qui a abattu l'hélicoptère de l'Armée française et tué un officier provient sans doute de cet arsenal. Entre les trafics de toutes sortes sur les vastes espaces du Sahel et les prises d'otages bien rançonnées, ils ne manquent pas non plus de moyens financiers pour se constituer un bon trésor de guerre. Les armes et les moyens...

 

 

La pieuvre n'est donc pas facile à contrôler du fait de ses nombreuses tentacules et de la densité historique de la crise qui se joue sous nos yeux. Il est seulement dommage que 50 ans après les Indépendances, ce soit la France qui donne encore le coup de gong. Et que nos troupes ne s'engagent dans la bataille qu'après les rafales françaises. Sur le plan des symboles et même des véritables rapports de forces, il faut bien se rendre à l'évidence : nous avons encore du chemin à faire. La dislocation de l’État malien par des ''katiba'', pour encore parler comme Ruffin, révèle les fragilités de nos si jeunes républiques.

 

Il faudra cependant saluer la volonté politique exprimée par le Sénégal qui a pris le risque de s'engager dans une guerre qui peut avoir des conséquences pour notre pays. Comment ne pas relever que la Mauritanie, pays frontalier, n'a pas voulu franchir le Rubicon ? L'histoire qui lie les peuples malien et sénégalais est si profonde que se croiser les bras serait criminel. Nos drapeaux affichent les mêmes couleurs. Nos liens transcendent les seules relations économiques et prennent leurs sources dans nos histoires communes. Si lointaines. Bien au-delà des ''jihad'' d'El Hadj Omar Foutiyou Tall. Nous sommes les seuls pays au monde à partager la même devise : ''Un peuple, un but, une foi'' alors que nous aurions pu garder des liens encore plus forts si la Fédération du Mali n'avait pas volé en éclats en 1960. Ne faut-il pas aussi rappelé que le dernier Président du Mali avant le coup d'Etat du 22 mars 2012, Amadou Toumani Touré, a été exfiltré de Bamako par le Sénégal ? Il vit depuis lors en exil à Dakar.

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