Publié le 26 Jun 2013 - 23:10
EDITO DE MAMOUDOU WANE

Leçons d'Amérique

 

"Le fait de pouvoir élire librement des maîtres ne supprime ni les maîtres ni les esclaves." (Herbert Marcuse)

Quel bon vent l'amène donc chez nous ? Ce soir, le Président américain foulera pour la première fois de sa vie la terre sénégalaise. Après avoir fait le tour du monde, fendu tous les nuages du ciel avec sa ''soucoupe volante'', visité l'Asie sous toutes ses coutures, l'Europe une dizaine de fois, le voilà enfin chez nous. Preuve que c'est l'économie et non les sentiments qui gouverne aujourd'hui le monde, l'axe des déplacements de Barack Hussein Obama épouse au millimètre près les mêmes contours que les sacro-saints intérêts économiques et géostratégiques des  États-Unis d'Amérique. La trajectoire dorée, c'est la Chine, l'Inde, l'Arabie Saoudite, Israël, la Turquie, la Russie, l'Angleterre, la France, etc.

C'est donc une sacrée bonne performance pour la Diplomatie sénégalaise d'avoir réussi à appâter l'homme le plus puissant du monde sur les terres arides du Sahel pour qu'il accepte d'y passer...48 heures. Hormis la parenthèse égyptienne (destinée au monde arabe), combien de fois d'ailleurs s'est-il déplacé en Afrique ? Une seule fois, au Ghana. Il semble bien que ses conseillers lui ont assuré que le moment est réellement venu de faire un tour en Afrique. De toutes les façons, il n'a plus à craindre qu'on lui flanque une casquette d'Africain. Plus aucun effet secondaire à prévoir sur l'électorat américain puisque Barack Obama ne sera pas de la prochaine présidentielle américaine. Sans dangers.   

En vérité, Barack Obama, n'a jamais fait de l'Afrique une priorité, a fortiori le Sénégal, pays pauvre très endetté, avec une croissance en dents de scie. Mais un pays où bien heureusement il fait bon vivre. Les machettes et les kalachnikovs ne sont jamais sortis des fourreaux comme ailleurs. Chrétiens, Musulmans et Animistes ne se font pas la guerre comme au Nigeria par exemple. La Côte d'Ivoire a beau être jalouse, mais la plaie sociale laissée par Gbagbo ne s'est pas encore cicatrisée. Et cerise sur le gâteau, nous avons réussi à imposer aux Africains un modèle démocratique solide, malgré quelques torpeurs, comme lorsque Me Abdoulaye Wade a voulu se cramponner au pouvoir pour le transmettre à son fils, Karim Wade, aujourd'hui en prison. C'est assurément cela notre force : la démocratie et la paix. Le Président américain pourra donc se pavaner sans risque de se faire exploser par un kamikaze et prôner le modèle sénégalais, rempart contre terrorisme et fondamentalisme religieux. Il peut bien s'autoriser à humer l'air pur de la Corniche, puisqu'il logera à l'hôtel Radisson, apprécier l'éclat de notre soleil national, aux rayons si purs et parler à toute l'Afrique (noire ?) depuis Dakar.

La sympathie que nous nourrissons à l'endroit du peuple américain, bien qu'il soit nombriliste à souhait, peut bien le justifier. Un peuple de plus de 300 millions d'âmes, aux croyances et couleurs arc-en-ciel, éparpillé dans 50 États et qui respire d'un même pouls. L'Amérique, c'est la liberté assurée à l'intérieur de ses frontières, une prospérité bien assise, même si elle est menacée par la percée chinoise (surtout en Afrique) et une société civile qui en impose. Le pays du possible où un Barack Obama, de père africain, peut non seulement se retrouver à la Maison blanche, mais remettre cela, cinq plus tard. Aurait-il été éjecté du bureau ovale après un premier mandat qu'on aurait pu considérer son passage comme un simple accident de l'histoire. Mais que le peuple américain lui ait renouvelé sa confiance est bien la preuve qu'il reste encore révolutionnaire. Cela signifie bien que même si la puissance de l'argent reste intacte au pays de l'Oncle Sam, que les chances de réussir sont minimes pour les couches défavorisées des ghettos de New-York et de Chicago par exemple, il y a toujours cette part de folie et d'esprit d'aventure qui laisse intact l'espoir. C'est sans doute là la marque des grandes nations.    

Mais il faudra, en écoutant Obama, oublier qu'il est noir. Les catégorisations raciales sont puériles à ce niveau de responsabilité. L'ex-Président iranien Ahmedinajad, d'origine juive, a été, pendant tout le temps qu'il est resté en fonction, l'un des cauchemars les plus en vue d'Israël. Obama est simplement Américain, tout comme  Ségolène Royal, née à Yoff, est 100% Française, de même que Rama Yade. Patriote jusqu'aux ongles, il fera passer les intérêts de son pays avant ceux de nos belles tronches de sahéliens bien racés. Il a su prouver que derrière son sourire d'ange, pouvait se cacher une personnalité froide, qui a suivi en direct l'assassinat de Ben Laden. Peut-on raisonnablement lui reprocher d'aimer et de défendre les intérêts de son pays ? Un pays qui sait être féroce quand il s'agit de défendre ses intérêts, comme le prouvent aisément les câbles de Wikileaks et tout récemment l'affaire d'Edward Snowden, traqué comme Julian Assange par la première puissance de la planète.

Mais l'absent le plus présent de la visite de Barack Obama sera sans doute la Chine. Le grand ''dragon asiatique'' a des arguments très valables pour contre-carrer l'hégémonie américaine dans le monde. Le chiffre d’affaires des échanges extérieurs entre la Chine et l’Afrique était évalué à 200 milliards de dollars en 2012, soit dix fois plus qu'il y a 12 ans.
L’ex -président chinois, Hu Jintao, avait  annoncé, que son pays allait doubler ses crédits au continent africain, pour un total de 20 milliards de dollars, avec les infrastructures, l'agriculture etc. comme cible prioritaire. Elle va réduire, à terme, l'influence de l'Europe sur le Continent noir, en enfilant la toge des intérêts bien compris des Brics.

En vérité, c'est ainsi que fonctionne le monde, que tout pays raisonnable doit s'atteler à bien arrondir ses biceps pour affronter ses rigueurs. Millenium challenge account, Agoa, Peace Corps, Usaid, tous ces programmes sont sans doute utiles, mais ce n'est nullement avec ces instruments que nous sortirons de la nuit du sous-développement. Inutile de trop tendre la main, faut plutôt casser le cocon pour libérer nos énergies propres. L'avenir n'a jamais été aussi ouvert...

 

 

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