Publié le 13 Jun 2017 - 23:36
EDUCATION ET FORMATION DES MILITANTS DANS LES PARTIS POLITIQUES

Le renoncement !

 

La tendance au renoncement des partis politiques dans la formation de leurs militants est lourde de conséquences. Le niveau bas du débat politique, le recours quasi-permanent aux invectives et à la violence physique dans le champ politique, les actes de vandalisme, l’insubordination, l’impréparation à l’exercice du pouvoir... sont autant d’effets pervers engendrés par la négligence de cette question centrale. Dont les tristes répercussions déteignent sur la vie des formations politiques elles-mêmes et la démocratie sénégalaise qui se veut majeure. EnQuête s’est intéressé à cette formation, jadis au cœur de l’activité politique, aujourd’hui en décadence.

 

La presse sait se montrer impitoyable. Elle l’a été hier avec la coalition de l’opposition qui a volé en éclats. ‘’Manko cassé par les intrigues et les jeux de dupes’’ ; ‘’Manko en lambeaux’’ ; ‘’Manko la guerre de trois’’ ; ‘’La fin de l’hypocrisie’’ ; ‘’Les coups tordus entre alliés’’… voilà un florilège des titres qui ont barré les Unes d’hier. Ainsi, faut-il voir dans ‘’ces petits meurtres entre amis’’, pour reprendre le titre de Libération, un lien avec le déficit de formation voire l’absence de formation dans les partis politiques ? En tout cas, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le landerneau politique sénégalais ; en atteste l’explosion de violences qui ont émaillé le processus des investitures au sein de BBY, avant que le Président Macky Sall n’arrête tout.

’Il faut le dire, les événements qui ont marqué l'espace politique sénégalais, ces dernières années, démontrent à suffisance la carence de beaucoup de partis politiques dans le domaine de la formation militante’’, faisait remarquer  le Professeur Mawloud Diakhaté, directeur du Centre de Formation, de Documentation et de Communication (CFDC), autrement, l'Ecole du parti de l’Alliance des Forces de Progrès (AFP), il y a quelque temps. En effet, l'investissement dans l'éducation politique et la formation civique qui rythmaient, pendant les premières décennies de l'après-indépendance, les activités des partis de masse comme l'Union Progressiste Sénégalaise devenue, Parti socialiste (PS), mais aussi les partis de la gauche d'obédience marxiste-léniniste, sont en train de s’estomper de façon inquiétante. Les militants de ces formations, nous dit-on, étaient reconnaissables tant par les éléments de langage qu'ils véhiculaient que par leur comportement civique.

De nos jours, la réalité de la situation est tout autre. ‘’Objectivement, les partis de gauche se ressentent, quelque part, et de leur environnement et de leur volonté de massification. Le tri qui se faisait à l’entrée, en ce qui les concerne, n’est plus aussi rigoureux, aussi sélectif que cela. Pour cette raison, on ne peut dire de certains de leurs militants qu’ils sont forgés comme l’étaient certains de leurs aînés, qu’ils ont la même curiosité intellectuelle, la même envie d’apprendre’’, reconnaît le nouveau secrétaire général du Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), Samba Sy.

Sous un soleil moins agressif, la circulation peu animée à la rue Mermoz sur laquelle se trouve le siège de l’Alliance Pour la République, les membres de la Convergence nationale des jeunesses républicaines se livrent à une séance de bagarre, d’injures avant l’arrivée de leur présidente, Thérèse Faye Diouf. Celle-ci les a convoqués, ce jour-là, pour analyser les résultats du référendum du 3 mars 2016. Pour Mamy Faye, membre de la Cojer de Biscuiterie, la formation doit être une activité constante pour contrebalancer les aléas de la politique qu’elle invite à faire autrement que le spectacle qu’offrent régulièrement ses camardes à l’opinion sénégalaise. ‘’Nos formations sont principalement axées sur le Plan Sénégal émergent (Pse) et les réalisations faites, depuis 2012, par le président. Elles se tiennent tous les trois mois au Grand-Théâtre et dans les départements pour les jeunes qui doivent savoir où en est le Sénégal, où est-ce que le président Macky Sall a pris le pays et là où il compte l’amener’’, déclare-t-elle. Un avis qu’un de ses camarades, sous couvert de l’anonymat, ne partage pas. A l’en croire, l’école du parti de l’APR n’existe que de nom.

‘’Je suis membre du Parti socialiste, depuis longtemps, mais je ne suis pas au courant des activités de formation que l’on y organise. Même si ces formations existent, elles sont destinées aux cadres du parti et non aux militants à la base’’, accuse Moussa Ndaw. ‘’Avec Abdoulaye Bathily, même le wolof était de rigueur dans nos longues séances de formation. Il ne tolérait pas les légèretés langagières’’, se remémore un militant de la Ligue démocratique (LD), lors des 20 ans de l’anniversaire de ce parti. Une chose reste sûre, les conséquences de la négligence de la formation et de l’absence d’un encadrement des militants dans les partis politiques peuvent conduire aux pires extrémités.

‘’Le manque de formation est, pour beaucoup, la raison de l'exacerbation des rapports dans le champ politique. Avant, les joutes étaient verbales ou à coup d'affiches (que les maoïstes de l'époque appelaient les dazibao). Aujourd’hui, les jeunesses s'affrontent même à l'intérieur d'un même parti, à coup de pierres ou armés de coutelas et de coupe-coupe’’, souligne l’idéologue de l’Afp M. Diakhaté  qui rappelle qu’un parti aux militants mal formés est sans avenir. Pour le militant, le renoncement à la formation se traduit par une médiocrité mentale et comportementale. D'ailleurs, beaucoup ne se privent pas de qualifier les jeunes de certains partis politiques, du fait de leurs comportements, de "sauvageons"!

Par ailleurs, l’évocation de la formation des militants dans les partis politiques conduit tout naturellement  à  un questionnement plus global, à savoir l’éducation politique et civique du citoyen. Mais, au regard de la législation sénégalaise actuelle, la question de la formation militante, quoique jugée fondamentale par l’ensemble des acteurs rencontrés, n’apparaît pourtant pas comme une obligation, mais émane plutôt d’une volonté des partis eux-mêmes d’encadrer le militant, le citoyen. ‘’L'article 2 -alinéa 4- des Statuts de l'Alliance des Forces de Progrès, portant définition de son Objet, dispose que le parti, "dans le cadre de ses programmes d'activités élaborés et adoptés par ses instances compétentes, met en œuvre des objectifs visant l'éducation politique et la formation civique de ses adhérents, l’accroissement du bien-être social et matériel des Sénégalais", renseigne le Pr Mawloud Diakhaté. L’institutionnalisation des écoles de parti et de la formation temporaire ou permanente obéissent à cette démarche volontariste. 

MAMADOU YAYA BALDE

 

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